Shakespeare, la haine et les échecs


Par Pol Mathil (Journaliste au quotidien belge Le Soir)
Mercredi 16 Septembre 2009

A l’occasion du 25e anniversaire de leur grand duel échiquéen, Garry Kasparov et Anatoly Karpov disputeront, du 21 au 24 septembre prochain, un match-exhibition, à Valence. Kasparov y voit la nostalgie des grands duels qui ont, entre 1984 et 1990, défrayé la chronique, et bien au-delà du sport, s’inscrivant dans le temps et dans les enjeux de la Perestroïka et de la Glasnost quand, dans tous les domaines, se jouait l’avenir de la Russie. Qu’il y ait de la nostalgie, c’est évident. Mais pas seulement. « La haine, a dit George Bernard Shaw, c’est la vengeance du poltron. » Pas seulement aux échecs.
Pour gagner aux échecs, il faut haïr l’adversaire. C’est peut-être grâce à la haine que Bobby Fischer est devenu le seul étranger qui, en reprenant en 1974 au Russe Boris Spassky le titre mondial des échecs, a réussi à provoquer en Union soviétique un deuil national. Garry Kasparov ne haïssait personne. Il le savait, certes, comme Chamfort : « On ne joue pas aux échecs avec un bon cœur… » Mais celui qui, pendant quinze ans, régna sans partage sur les 64 cases a toujours respecté les règles.
Et quand, à plus de 40 ans, Kasparov s’est retiré de la compétition pour passer à la politique, il haïssait non pas un homme, mais « la dictature. »
Haïssait-on Anatoly Karpov, aussi champion du monde, grand rival de Kasparov, et si oui, qui le haïssait ? On n’en sait rien.
Il était un très loyal citoyen de l’URSS et membre du parti communiste mais, en général, loin d’un militantisme agressif. Aujourd’hui, il est célèbre surtout pour sa passion de philatéliste. Il possède notamment la plus grande collection de timbres… belges.
Que les deux champions ne furent pas de proches amis ne surprendra personne. La Russie n’est pas un paradis ; les échecs c’est « la diagonale du diable » ; les énormes prix excitent la passion, quant à la nature humaine… Leurs rencontres sont entrées dans l’Histoire. Celle de la haine ? Probablement pas. Celle des échecs – certainement oui.
Durant leur carrière, entre 1984 et 1990, ils ont disputé cinq championnats du monde. Kasparov mène d’une marge étroite : 21 gains, 19 pertes et 104 parties nulles. Deux duels sont d’anthologie. Le premier, commencé le 10 septembre 1984 à Moscou, est connu comme « le marathon des échecs ». Karpov défendait son titre et, après 27 parties, menait 5-0. Cinq mois et 40 parties nulles plus tard, Karpov ne menait que par 5-3 et il était évident que Kasparov, de 12 ans son cadet et plus résistant, allait gagner. C’est alors qu’éclata un scandale sans précédent : le président de la Fédération internationale des échecs (Fide), Florencio Campomanes, archétype du « compagnon de route » communiste, interrompit le match pour permettre à Karpov, le Soviétique, de garder le titre. Partie remise : le duel, recommencé le 2 septembre 1985, fut sans appel. Kasparov conquit le titre. Nina Nabokova connaît Shakespeare. Pour elle, Karpov et Kasparov « sont un peu les Capulet et Montaigu russes » : ils se vouent une haine inextinguible. Je ne le crois pas.
La Russie a changé. Kasparov ne hait pas un homme, mais le régime de Poutine. Karpov a lui aussi changé et a tenté de rendre visite à Kasparov en prison, où celui-ci passait cinq jours pour avoir participé à une marche de l’opposition. Karpov en a été empêché, mais son geste ne doit pas être oublié.


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