I l y a trois mois, Sadyr Japarov se trouvait en prison et faisait le deuil de parents et d'un fils morts pendant qu'il était derrière les barreaux. Cet ancien député populiste se trouve désormais aux portes de la présidence du Kirghizstan. Le destin de Sadyr Japarov a été bouleversé à la faveur d'une crise politique dont ce pays d'Asie centrale a le secret, en octobre, lorsque ses partisans ont profité du chaos ambiant pour l'arracher de sa cellule avant qu'un tribunal n'annule sa condamnation pour prise d'otage. En quelques semaines, il se voit remettre les commandes de l'Etat face à un président démissionnaire et se porte candidat à la présidentielle organisée dimanche, après avoir rapidement obtenu le soutien des principaux hommes d'influence au Kirghizstan. Cette ascension fulgurante, qui a même pris de court la Russie, un allié clé de son pays, a mis en lumière, selon ses détracteurs, le rôle joué par les puissants réseaux du crime organisé, avec lesquels M. Japarov dément avoir quelque lien que ce soit. De tels retournements de situation sont toutefois emblématiques de cette ex-république soviétique, où les destins politiques se font souvent d'abord par les manifestations et seulement après par les urnes. La campagne présidentielle de Sadyr Japarov, qui a rassemblé des stades entiers de partisans malgré la pandémie provoquée par le coronavirus, est portée par un slogan des plus simples : "Sadyr - Président". Les mêmes mots avaient été scandés par les protestataires en octobre à Bichkek, la capitale, pour exiger la démission du président Sooronbaï Jeenbekov, accusé d'achats de voix massifs aux dernières législatives. M. Jeenbekov avait cédé, devenant le troisième président kirghize depuis l'indépendance en 1991 à démissionner en pleine période de turbulences politiques. Nommé chef de l'Etat par intérim, Sadyr Japarov a démissionné en novembre afin de prendre part à la présidentielle, pour laquelle il est ultra-favori, non sans avoir oublié de placer des alliés à tous les postes clés. Sadyr Japarov, 52 ans, s'est lancé dans la politique en tant que député en 2005, après avoir bâti un petit business pétrolier dans sa région natale d'Issyk-Kul, dans l'Est kirghize. Il gagna en influence sous le patronage du président de l'époque Koumanbek Bakiïev, qui le nomma en 2008 à la tête de l'agence de lutte contre la corruption. Le travail de cette structure ne toucha jamais la famille de M. Bakiïev, pourtant accusé d'être le principal bénéficiaire des détournements de fonds d'alors. Kourmanbek Bakiïev a été renversé pendant une violente révolution en 2010, la deuxième qu'a connue le pays après celle de 2005. Des affrontements ethniques entre Kirghizes et la minorité ouzbèke ont aussi fait des centaines de morts. La même année, un parti d'opposition nationaliste dont Sadyr Japarov fut l'un des dirigeants remporte les législatives mais est écarté de la coalition gouvernementale. Son activité politique est dès lors associée aux manifestations chaotiques, dont une action en 2013 qui a vu un gouverneur être brièvement pris en otage et enduit de pétrole. M. Japarov fuit alors le pays après l'ouverture d'une enquête pénale et se sert de son exil pour soigner ses connexions avec la diaspora des migrants travaillant en Russie et au Kazakhstan. Lorsqu'il retourne au Kirghizstan en 2017, il est arrêté et condamné à onze ans et demi de prison pour prise d'otage. Derrière les barreaux, cet homme, qui a toujours clamé son innocence, perd sa mère et son père, ainsi que l'un de ses fils, mort dans un accident de la route. S'il l'emporte, Sadyr Japarov sera confronté à une économie amorphe et mise à mal par la Covid-19 et devra donner suite à ses promesses de lutter contre la corruption et le crime organisé. Gagner la confiance, essentielle, du grand frère russe sera un autre défi.
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Sadyr Japarov, de la prison aux portes de la présidence kirghizeLibé
Lundi 11 Janvier 2021
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