Regards croisés sur le développement économique au Maroc

Un forum socialiste aux échanges fructueux


Mourad Tabet
Vendredi 20 Décembre 2019

D’éminents économistes ittihadis ont pris part au premier forum lancé par l’USFP mercredi dernier à l’auditorium de la Bibliothèque nationale de Rabat sur « Le développement économique au Maroc : Regards croisés », et ce en présence de l’ancien Premier secrétaire de l’USFP,Abdelouahed Radi, ainsi que des membres du Bureau politique.Il s’agit de Driss Khrouz, Mekki Zouaoui,Abdelali Doumou et Tarik El Malki.

Driss Khrouz : Malgré son développement, l'économie marocaine n ’ est pas inclusive

Driss Khrouz a été le premier à prendre la parole durant ce premier forum d’une série de forums que le parti de la Rose compte organiser tout au long des trois prochains mois dans six régions, et ce dans le cadre de la commémoration du soixantième anniversaire de la création de l’USFP. Son intervention a porté essentiellement sur la problématique du développement et de la croissance au Maroc. Selon ce professeur de l’économie à l’Université Mohammed V à Rabat et ancien directeur de la Bibliothèque nationale, la question du développement du Maroc se pose depuis des années. Il a mis en avant que les progrès que le Maroc a accomplis depuis le rétablissement de la confiance avec le gouvernement d’Abderrahmane El Youssoufi dans plusieurs domaines (l'industrie, le tourisme, le commerce, l’énergie…), soulignant que la mobilisation économique a donné des résultats importants au niveau du développement économique du pays qui s’est traduit, depuis 2012, par une croissance économique s'élevant en moyenne à 4,5 % par an grâce à l'ouverture de l'économie marocaine à l'économie mondiale. Malgré ces aspects positifs, l'économie nationale ne produit aujourd'hui qu'une faible valeur ajoutée par rapport aux économies émergentes. Il y a plusieurs raisons qui expliquent cet état de fait. Selon lui, l'économie marocaine, malgré son développement, n'est pasinclusive.Il a également noté que la croissance économique n’a pas produit d’emplois suffisants, soulignant que même si l’on affirme que le taux de chômage a régressé, il n’en reste pas moins qu’il atteint actuellement 9,6 %, et que le chômage frappe particulièrement les jeunes et les femmes. Driss Khrouz ne s’est pas contenté d’appréhender la problématique de la croissance et du développement du point de vue quantitatif, mais il a aussi mis l’accent sur le plan structurel qui constitue, selon lui, un élément important dans l’analyse de ladite problématique. La jeunesse marocaine s’est ouverte au monde extérieur. En effet, plus de 44 millions de Marocains utilisent un téléphone portable, ce qui fait que « le modèle marocain n’est plus son modèle de référence », a-t-il mis en exergue. Au terme de son intervention, Driss Khrouz a avancé plusieurs propositions poursortir de la crise actuelle. Il a, ainsi, mis l’accent sur la nécessité de se penchersérieusementsur les problématiques de l’éducation, de l’enseignement, de la formation et de la production culturelle, ainsi que sur la place de la femme au sein de la société, le développement rural, le développement territorial (la question de la régionalisation), la confiance en l’Etat et en les institutions, l’économie numérique, l’économie du savoir et sur la lutte contre la corruption.

Abdelali Doumou : L’économie marocaine demeure une économie composite basée essentiellement sur la rente

Dans son intervention durant ce forum qui a été modéré par Mehdi Mezouari, membre du Bureau politique de l’USFP, Abdelali Doumou, professeur d’économie, a essayé de définir, d’un point de vue scientifique, la notion même de « modèle de développement », indiquant que pareil concept induit que l’organisation de l’économie repose sur un système doctrinal cohérent, sachant qu’il y a plusieurs doctrines économiques qui sont diamétralement opposées (le capitalisme, le socialisme,…). Partant de ces doctrines, a précisé Abdelali Doumou, le Maroc ne dispose pas d’un système économique harmonieux, mais d’un système composite (Doumou se réfère ici au concept utilisé par le sociologue marocain Paul Pascon pour qualifier la société marocaine). Dans ce système coexistent le capitalisme libéral, quelques aspects précapitalistes et des éléments de l’économie de rente. Il n’y a donc pas une seule logique mais de nombreuses logiques qui sont en conflit. Il a, par ailleurs, noté que notre économie demeure basée sur l'agriculture, l'immobilier et les services. Sa caractéristique principale est qu’elle est fondée sur la rente et non sur les règles de jeu du marché. Lesquelles sont basées sur la concurrence et l'égalité des chances entre les entrepreneurs. « La nature même des politiques publiques de notre pays favorise l’économie de rente », a-til martelé. L’intervenant a, par ailleurs, rejeté les approches techniques, voire technocratiques censées apporter des solutions aux dysfonctionnements de l’économie marocaine. Selon lui, ces dysfonctionnements nécessitent plutôt des réponses « institutionnelles » et « politiques ». Pour lui, créer de la richesse et réaliser un développement durable et pérenne passe nécessairement par la rupture avec le modèle économique fondé sur la rente et le passage à une économie de marché basée sur la concurrence et l’égalité des chances entre tous les acteurs. Par la suite, Abdelali Doumou a mis l’accent sur une autre problématique importante, à savoir celle de la relation entre l’Etat central et ce qu’il appelle « l’Etat des territoires ». Selon lui, si l'Etat central dispose de moyens financiers importants et de pouvoirs étendus (92 % des ressources financières), l'Etat des territoires n'a pas les ressources financières (8 % seulement) et les pouvoirs nécessaires à la mise en œuvre des programmes élaborés au niveau des régions et des provinces. C’est cette dualité qui explique que les résultats des énormes investissements publics ne sont pas ressentis par les habitants. Pour cette raison, « nous avons besoin d’un Etat des territoires fort et efficient », a-t-il conclu.

Mekki Zouaoui : Le problème du développement est lié en grande partie à la faiblesse des ressources humaines

Pour sa part, Mekki Zouaoui, professeur d’économie à l’Université Mohammed V à Rabat, a mis l’accent sur l’importance de la qualité des ressources humaines. D’après lui, il ne peut y avoir de développement économique sans un enseignement de qualité formant des compétences et des ressources humaines de qualité, soulignant que la révolution industrielle et le développement des Etats modernes et des économies émergentes sont dus essentiellement à la qualité de leurs ressources humaines. Dans ce sens, il a estimé que le Maroc ne dispose pas à l’heure actuelle des indicateurs nécessaires pour entrer dans le club des pays émergents. Cet économiste a aussi assuré que notre pays a toujours manqué de politique volontaire claire dans le domaine de l'éducation et que cette situation se perpétue jusqu’à présent, soulignant que la proportion du budget alloué à la formation continue dans le budget du département de l’Education ne dépasse pas 0,1 % contre 2,5 % dans un certain nombre de pays similaires au notre. Mekki Zouaoui s'est dit également surpris de l'absence de «formation continue obligatoire» dans la loi-cadre sur l'éducation. Il a dans ce sens mis en lumière la responsabilité des syndicats dans la crise de l’enseignement qui ont toujours combattu la formation obligatoire pour défendre leurs intérêts catégoriels au détriment de l'intérêt général du pays.

Tarik El Malki : Le système fiscal doit être revu dans le cadre du nouveau modèle de développement

Quant à l’intervention de Tarik El Malki, économiste et membre du Bureau politique de l’USFP, elle a misl’accentsur la nécessité de réformer le système fiscal pour qu’il devienne « un système juste et équitable ». Selon lui, le nouveau modèle de développement doit également se pencher sur la question de ce système qui doit être revu, car«il n'y a pas de développement durable sans une économie forte, agile et intégrée et il n’y a pas de croissance économique rapide, forte et intégrée sans une politique fiscale équitable », a-t-il mis en valeur, appelant à jeter les bases d'un nouveau système capable d'élargir l'assiette fiscale, d'accroître la compétitivité des entreprises et de renforcer le pouvoir d'achat des ménages. Tarik El Malki a, par ailleurs, critiqué l'absence au niveau du PLF 2020 de la plupart desrecommandations formulées par les 3èmes Assises nationales de la fiscalité tenues en mai dernier à Skhirat. « Bien que les 3èmes Assises aient débouché sur 10 recommandationsimportantes visant à réformer le système fiscal, aucune d'entre elles n'a été introduite dans la loi de Finances 2020 », at-il déploré. Ce membre du Bureau politique de l’USFP a, dans ce cadre, appelé à une réforme fiscale visant à renforcer le pouvoir d'achat des ménages, à mettre en place l’impôt sur la fortune et sur l’héritage et à créer un fonds de cohésion sociale financé par les impôts et appelé à réformer l’impôt sur la valeur ajoutée en en réduisant le taux appliqué aux produits de grande consommation. Il convient de rappeler que le Premier secrétaire de l’USFP, Driss Lachguar, avaitsouligné dans des déclarations à la presse faites avant le début de ce forum que «la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) ne se substituera pas aux institutions constitutionnelles, car nous sommes un Etat de droit». D’après lui, cette commission « n’est, en fin de compte, qu’une cellule de réflexion dont l’objectif est de proposer de nouvelles idées à S.M le Roi». Le dirigeant socialiste a également relevé que l’évaluation portera sur « la production de cette commission. Nous ne sommes pas des devins comme ceux qui ont osé prononcer desjugements à l’emporte-pièce à l’encontre des membres de cette commission », dénonçant par là les graves accusations portées par l’ancien chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, contre elle. Par ailleurs, Mehdi Mezouari avait souligné dans son allocution introductive prononcée en l’occasion que la direction du parti a tenu à ce que les forums socialistes soient des chantiers ouverts et non centralisés pour débattre des grandes questions nationales et proposer son point de vue sur les mutations importantes que connaît le Royaume, soulignant que le but est de proposer des alternatives à propos des différentes problématiques sociales, économiques, politiques et culturelles. Il avait également affirmé que ces forums débattront de six grandes problématiques, à savoir le développement économique, l’exigence de l’édification d’un Etat démocratique, la question sociale, l’intégrité territoriale, leslibertés individuelles et la question culturelle, ajoutant que le prochain forum sera organisé à Fès.


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