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A l'opposé du spectre politique, ces élections traduisent et surtout confirment l'approfondissement du divorce aux plan sociologique et géographique entre la gauche et les couches urbaines. Le scrutin de 2007, reflétait déjà cette tendance en forme d'avertissement. Mais le fait nouveau tient dans le fait que pour la première fois, une partie de l'électorat de la Koutla s'est reportée sur le PJD. Lequel PJD est tout simplment devenu, grâce à une stratégie subtile et redoutable de repositionnement sur tous les sujets qui ont fait l'actualité, l'acteur central autour duquel gravite le débat politique dans notre pays.
A présent, la perspective d'une alliance de la Koutla avec le PJD pour composer une majorité gouvernementale place l'USFP et le PPS devant un dilemme qu'il leur appartient d'affronter dans ses implications effectives sur les plans politique et idéologique. La question déborde très largement l'accord sur un programme de gouvernement, et engage à mon sens des considérations qui touchent à l'avenir de la construction démocratique.
Les termes de l'équation sont froidement les suivants :
Si l'on tient compte du référentiel idéologique et politique qui fonde l'identité et le positionnement historiques de ces partis (USFP et PPS) dans le combat pour l'avènement d'une société démocratique, l'on peut dire que du point de la cohérence de la composition de la coalition, nous sommes confrontés avec l'offre du PJD, à une situation qui est à l'opposé de celle à l'œuvre aujourd'hui avec la coalition sortante. On pourrait en résumer schématiquement les termes de la façon suivante : la gauche est partie prenante aujourd'hui d'une coalition dont elle partage grosso modo (par conviction ou par défaut ) bien plus l'arrière-fond idéologique que les positions politiques.Par arrière-fond idéologique j'entends, pour aller vite, sinon une sensibilité affirmée, du moins une prédisposition à l'endroit des valeurs universelles constitutives d'une certaine conception de la modernité.
En revanche, si l'on considère le référentiel politique de la gauche (et non de l'usage qui a en été fait), la distance qui la sépare de la sensibilité des autres composantes de la coalition sortante (RNI, MP ) me paraît relever de l'évidence historique. Cette ligne de démarcation tient pour l'essentiel à la conception qui les sépare sur l'évolution nécessaire du rôle et de la place de la monarchie dans le système politique marocain. Je concède sans peine, qu'à l'épreuve effective du pouvoir et de son exercice, la gauche se soit fourvoyée, estompant du coup cette ligne de démarcation historiquement fondée. Je crois l'avoir, pour ma part, suffisamment souligné depuis 2002 en qualifiant cette attitude de « renoncement intéressé», pour rester dans les euphémismes. Cette distance qui les sépare est à mon sens, équivalente à celle qui sépare en politique le compromis de la compromission. Mais ce n'est pas ici le sujet.
Face à cette équation, et à l'exclusion de toute stratégie opportuniste de course aux portefeuilles drapée dans un argumentaire spécieux, (que je me refuse ici à envisager, ce qui ne veut pas dire qu'elle doive être exclue) au moins deux attitudes sont me semble-t-il possibles :
L'attitude première consisterait à répondre favorablement à l'offre du PJD, au motif essentiel que la conjoncture à venir imposera au gouvernement de prioriser dans son agenda des mesures qui requièrent une capacité d'action politique dans la conduite et l'exécution des affaires de l'Etat. Le PJD étant sur ce plan crédité d'un préjugé favorable. Sa légitimité conjuguée à celle de la Koutla qualifierait et prédisposerait au mieux ces acteurs pour revendiquer un tel programme, que rend possible la nouvelle Constitution. Une détermination dans « la mise en œuvre démocratique de la Constitution », placée au coeur de l'agenda de la coalition fonderait et cimenterait cette alliance. Séduisant en première approximation, cet argument n'en comporte pas moins des risques qui ne peuvent être éludés. Le premier et non des moindres, serait d'entretenir indéfiniment une forme de relativisme en brouillant les lignes de clivage polarisant le champ politique entre un camp conservateur et un camp progressiste. Or, la nécessité de clivages clairs est au fondement d'un système démocratique sain.
Une formule politique guidée par le PJD, avec l'agenda politique énoncé ne serait recevable par la gauche, que si elle est motivée par des considérations extraordinaires appelant la formation d'un gouvernement de coalition nationale qui justifierait que l'on suspende momentanément les clivages. A l'appui de cette formule, deux raisons peuvent être invoquées : la première consisterait à dire que le processus constituant n'est pas achevé, et qu'il ne prendra fin qu'avec l'adoption de lois organiques structurantes, qui exigent un minimum de consensus. La seconde abonderait dans le même sens en faisant valoir que le Maroc est confronté à des défis économiques et sociaux que la crise actuelle et à venir au sein de l'Europe est amenée à amplifier.
Il reste qu'au final il nous revient de trancher l'alternative suivante : soit l'on considère que le Maroc est mûr pour s'accommoder d'un rythme démocratique normal et donc respectueux des exigences d'une alternance lisible et compréhensible par les citoyens. Soit à l'inverse, l'on argue que le consensus sur les règles du jeu politique reste à faire et à parfaire, et que seule une formule extraordinaire est de nature à y conduire.
La deuxième attitude possible est, à l'inverse de la première, celle qui privilégierait la cohérence idéologique sur l'agenda politique. Elle consisterait à décliner l'offre du PJD au motif que la convergence politique potentielle ne suffit pas à fonder une coalition gouvernementale contre nature au plan idéologique. Cette attitude n'est pas forcément exclusive d'une prise en compte du potentiel de convergence politique entre le PJD et la gauche, mais qui dans le cas d'espèce, n'impliquerait pas forcément la participation de la gauche au gouvernement. La gauche pourrait même envisager un soutien parlementaire à toutes les mesures politiques qui lui semblent aller dans le bon sens. Après tout, le PJD avait adopté en 1998, du moins au départ, une attitude comparable avant de joindre les rangs de l'opposition. En observant une telle posture, la gauche retrouverait une place naturelle au sein du paysage politique plus respectueuse de sa vocation moderniste. S'ensuivrait une recomposition souhaitable du champ politique ordonnée autour de clivages clairs et lisibles. Cette attitude signerait sans doute la fin de la Koutla, si tant est que ce regroupement ait encore aujourd'hui un sens. En revanche, elle ouvrirait une perspective à un rassemblement plus que souhaitable de la gauche.
En tout état de cause, et face à cette épreuve, la gauche serait bien inspirée d'y réfléchir à deux fois, en ouvrant à tout le moins un débat interne sur les conditions de son renouveau. Un débat, et l'expérience l'a montré, qu'interdit toute participation au gouvernement. A défaut, c'est sa vocation à prétendre au leadership en matière de défense des libertés, et du progrès social qui serait par définition enterrée. Il lui faut donc choisir entre la vocation à n'être éternellement qu'une force d'appoint pour satisfaire des appétits individuels qui l'ont ruinée, ou plutôt réinvestir un idéal qui répondrait aux attentes de plus de près de 7 millions de Marocains en âge de voter, et pourtant non inscrits sur les listes électorales ! En politique en général et singulièrement à gauche, les remises à plat, la patience et la continuité dans l'effort sont des vertus. Après 40 ans d'opposition, nous sommes bien placés pour le savoir ! L'honneur de la gauche sera de toujours préférer perdre sur ses idées que « gagner » avec celles des autres. Pour l'avoir oublié, la gauche aura finalement perdu son honneur et les suffrages des Marocains !
*Membre de Bureau Politique
de l’USFP