Le Front des forces socialistes (FFS), le parti qu'il a fondé en 1963, a annoncé son décès dans un hôpital de Lausanne "à la suite d'une longue maladie". Faisant part de son "immense douleur", il n'a pas été en mesure de donner des précisions sur la date ou le lieu des obsèques de son chef historique.
Aït-Ahmed était le dernier encore en vie des neuf "fils de la Toussaint", les chefs qui ont déclenché la guerre d'Algérie contre la puissance coloniale française le 1er novembre 1954.
En soirée, son décès n'avait pas encore donné lieu à une réaction officielle en Algérie où la guerre d'indépendance constitue toujours la principale source de légitimité du pouvoir.
Mais dans le pays, des personnalités commençaient à lui rendre hommage, comme l'ancien Premier ministre Ali Benflis. "Hocine Aït Ahmed aura été d'une rare constance, d'une rectitude exemplaire et d'une noblesse d'âme admirable dans la défense de ses idéaux", a-t-il dit dans un communiqué.
"Un long rêve de liberté et de démocratie n'est plus", a regretté de son côté l'écrivain chroniqueur Kamel Daoud.
Inlassable pourfendeur de l'armée et de la police politique et opposant radical au régime depuis l'indépendance du pays en 1962 et grand défenseur de la laïcité dans son pays musulman, Aït-Ahmed était affaibli depuis 2012 et avait cessé toute activité politique.
Né en 1926 en Kabylie, une région montagneuse à l'est d'Alger, Aït-Ahmed a souvent connu l'exil et la prison.
A 17 ans, il adhère au Parti du peuple algérien (PPA) du charismatique Messali Hadj et prône dès 1948 la nécessité de la lutte armée contre les troupes françaises. En 1954, il fait partie des chefs qui déclenchent la guerre d'indépendance.
En 1962, il s'oppose à ses anciens frères d'armes, en créant le FFS et des maquis armés en Kabylie. Arrêté en 1964, il est condamné à mort puis gracié. Il s'évade en avril 1966 et s'installe alors à Lausanne.
Il rentrera en 1989 suite à la fin du régime du parti unique qui a donné lieu à un "printemps démocratique".
Le FFS participe à des élections locales en 1990 et à des législatives en 1991. Ces dernières sont remportées par le Front islamique du salut (FIS), et le régime en annule les résultats de peur de l'instauration d'une république islamique.
Aït-Ahmed dénonce alors un "coup d'Etat" et une "logique de guerre civile". Il demande la poursuite du processus électoral, une position qui lui vaudra d'être accusé de "pro-islamiste".
En juillet 1992, il reprend le chemin de l'exil, quelques semaines après l'assassinat d'un compagnon de lutte et autre "fils de la Toussaint": le président Mohamed Boudiaf, rentré lui aussi de son exil au Maroc.
En 1995, il signe l'accord de Sant'Egidio, à Rome, avec des partis algériens dont le FIS, dissous, demandant au pouvoir d'ouvrir des négociations pour mettre fin à la guerre civile qui fera 200.000 morts.
En 1999, il se porte candidat à l'élection présidentielle mais se retire de la course en pleine campagne électorale, considérant que le scrutin est verrouillé en faveur du candidat du régime, Abdelaziz Bouteflika, qui dirige toujours le pays.
En mai 2013, il démissionne de la présidence de son parti à Alger, passant le flambeau à une direction collégiale de cinq membres.
Le FFS, éloigné des urnes durant une dizaine d'années, est revenu dans l'arène politique à l'occasion des élections législatives de mai 2012, en remportant 27 sièges sur 462. Et il a opté pour le "ni boycott, ni soutien" du scrutin d'avril 2014 qu’Abdelaziz Bouteflika, --77 ans, 15 ans de pouvoir--, devait remporter pour la 4e fois.
Svelte, élégant, habillé sobrement mais avec recherche, le nez aquilin et les cheveux poivre et sel, Aït Ahmed cultivait l'image d'un homme calme, posé et de grande culture.
Docteur en droit, il a publié plusieurs ouvrages: "Les Droits de l'Homme en Afrique", les "Mémoires d'un combattant" (1983) et "L'affaire Mécili" (1989), du nom de son collaborateur assassiné en 1987 à Paris.
Aït-Ahmed "disparaît dans une Algérie bloquée, fermée sur elle-même, sans avoir vu les prémices d'une Algérie libre pour laquelle il a milité toute sa vie", a commenté la politologue Louiza Ait-Hamadouche interrogée par l'AFP.
"Pour nombre de ses sympathisants, c'est la fin d'une illusion. Ils espéraient encore voir aboutir le projet politique et social" de cet opposant charismatique, a-t-elle ajouté.
La "figure d'Aït-Ahmed dépassait de loin le cadre de son parti", a-t-elle encore noté.
Même son rival en Kabylie Saïd Sadi, le chef du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) lui a rendu hommage. "Avec sa disparition, c'est toute une page de l'histoire nationale qui se tourne", écrit-il sur Facebook.