Payer pour des prestations perdues

L'impertinent "Passez à la caisse !" des établissements de l'enseignement privé


Hassan Bentaleb
Samedi 16 Mai 2020

Le retour des élèves à l’école ne sera possible qu’en septembre prochain. Pourtant, l’année scolaire en cours n’a été ni suspendue ni déclarée année blanche. Les cours vont, en effet, se poursuivre ; mais à distance.        
Et dans l’attente d’un retour éventuel en classe en septembre, nombreux sont les parents, notamment ceux dont les enfants sont scolarisés dans le  privé, qui se demandent s’ils doivent ou non payer ces établissements les mois à venir.  En effet, leur non-présence sur les bancs des écoles a beaucoup changé la donne. 
« La question s’impose de plus en plus et nous avons même reçu des plaintes de la part de certaines familles qui se trouvent dans l’impossibilité de régler les frais de scolarité de leurs enfants à cause du contexte de crise liée au Covid-19 et qui subissent des pressions de la part de ces écoles», nous a indiqué Hassan Bakhous, vice-président de la Fédération nationale des associations des parents d'élèves au Maroc (FNAPEM). Et de préciser : « Alors que nous avons déjà sollicité, dans un communiqué daté d’avril dernier, une sorte de flexibilité de la part des propriétaires de ces  écoles et qu'ils  prennent en considération le contexte de crise. Si certains établissements ont répondu favorablement à notre appel en procédant à des annulations partielles ou complètes des frais de scolarité de certains élèves et  pas la totalité, d’autres continuent à réclamer aux parents de les régler rubis sur l'ongle  alors qu’ils n’assurent plus le même service. En effet, il n’y a plus d’exploitation des salles de classe et autres dépendances, ni garde des enfants, ni transport scolaire et même les cours à distance ne dépassent pas les deux heures par jour. Les responsables de ces établissements scolaires   doivent donc prendre en considération cette nouvelle situation ».
En outre, il estime que ces derniers doivent également prendre en considération les charges supportées par les parents durant la période de confinement comme l’achat de matériel informatique (PC, tablettes, smartphones, clés USB…), les frais de la connexion Internet et de l’électricité… « S’il doit y avoir  paiement de frais de scolarité, il doit être en fonction des services fournis », nous a-t-il affirmé. 
De son côté, maître Marwan Elgharboui, a expliqué, dans un récent article, que les établissements de l’enseignement privé et les parents d’élèves sont liés par un contrat synallagmatique dont l'exécution génère des obligations réciproques. « Au vu de ce contrat, les écoles privées sont engagées à éduquer et à former les élèves enregistrés dans ces établissements, en contrepartie, les parents s’engagent à payer chaque mois le montant convenu. Autrement dit, un établissement d'enseignement privé est tenu de fournir un accès à l’éduction en obtenant des frais de scolarité, tandis que les parents d'élèves doivent s'acquitter de ces frais contre l’accès de leurs enfants au service éducatif », précise-t-il.
Pour cet avocat, la question qui s’impose aujourd’hui est de connaître l’étendue et le volume horaire de cet accès à l’éducation et à la formation. En effet, les écoles privées n’assurent aujourd’hui qu’un engagement parmi tant d’autres imposés par la loi, à savoir l’enseignement à distance alors que l’article 4 de la loi n° 06-00 formant statut de l’enseignement scolaire privé stipule que « les établissements d’enseignement scolaire privé sont tenus de respecter comme minimum les normes d’équipement, d’encadrement, de programmes et de méthodes en vigueur dans l’enseignement public ». Le deuxième paragraphe de l’article 8 de ladite loi ajoute que « ces établissements doivent préparer leurs élèves pour participer aux mêmes examens organisés au profit des élèves de l’enseignement public à la fin de chaque cycle d’enseignement ». 
Du coup, maître Marwan Elgharboui estime que la demande faite par certaines écoles aux parents de s’acquitter de la totalité des frais de scolarité peut être considérée comme une sorte d’injustice puisque ces écoles n’assurent plus les mêmes services depuis la suspension des cours présentiels depuis mars dernier. En outre,  l’enseignement à distance ne remplace en aucun cas ces derniers  mais il demeure, néanmoins, un moyen que l'Etat a choisi  pour garantir le non arrêt des cours théoriques durant l’état d’urgence. «  Ainsi et vu que les engagements des écoles privées ne sont plus honorés d’une manière normale, leur droit à percevoir  des frais de scolarité n’est plus justifié comme le stipule l’article 235 du Dahir formant Code des obligations et  contrats :  « Dans les contrats bilatéraux, l'une des parties peut refuser d'accomplir son obligation jusqu'à l'accomplissement de l'obligation corrélative de l'autre partie, à moins que, d'après la convention ou l'usage, l'un des contractants ne soit tenu d'exécuter le premier sa part de l'obligation. Lorsque l'exécution doit être faite à plusieurs personnes, le débiteur peut refuser d'accomplir la prestation due à l'une d'elles jusqu'à l'accomplissement intégral de la prestation corrélative qui lui est due », a-t-il rappelé. Et de préciser que cet article donne aux parents la possibilité de ne pas honorer leurs obligations tant que l'autre contractant n'a pas effectué sa prestation. C’est ce qu’on appelle l’Exceptio non adimpleti contractus. Pourtant, il estime que les deux parties peuvent s’entendre et parvenir à un accord permettant de s’acquitter d’une partie des frais de scolarité en contrepartie des cours à distance. 
Et qu’en est-il des établissements qui menacent directement ou indirectement les familles de priver leurs enfants de scolarité ? « L’accès à l’école est un droit garanti par la Constitution et les conventions internationales et personne ne peut priver un enfant de ce droit. Ceci d’autant plus que les enfants doivent être à l’abri des conflits entre les parents et ces établissements. S’il y a des différends, c’est aux tribunaux de trancher. Et c’est pourquoi nous avons demandé la révision de la loi 06.00 afin d’encadrer toutes les questions qui suscitent de la confusion et des  antagonismes. Bref, nous voulons qu’il y ait mise en place d’une nouvelle loi qui clarifie les devoirs et les obligations de chaque partie », a conclu le vice-président de la FNAPEM.  


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