Nouvelle loi, compétences élargies, scandales et arnaques… : Le notariat moderne, une profession en mutation


Hassan Bentaleb
Mercredi 15 Septembre 2010

Nouvelle loi, compétences élargies, scandales et arnaques… : Le notariat moderne, une profession en mutation
Depuis quelques années, la profession de notaire occupe les devants de la scène. L’explosion du marché de l’immobilier et l’extension de l’accès à la propriété par les ménages de la classe moyenne ont fait que le notaire est en première ligne. Conseil, rédaction des actes, entre autres, permettent au notaire d’être un garant de la sécurité des transactions.
En effet, le notaire qui est un officier public, nommé par Dahir est délégataire de l’autorité. Ce  qui confère à ses actes l’authenticité ayant la force probante et exécutoire. Il est compétent pour une large palette d’activités qui englobe le statut personnel et successoral des non musulmans, la vie juridique des sociétés, les transactions immobilières, les contrats d’investissements ainsi que les nantissements d’hypothèques et assimilés.
Les origines de cette profession remontent à l’époque coloniale. Elle a été instituée par le Dahir du 4 mai 1925, une sorte de copie textuelle intégrale de la loi française dite : «Ventôse», du 25 Vantôse an XI (16 mars 1803). Une poignée de Marocains, issus en majorité de Fès, diplômés de l’école de notariat ou licenciés en droit des universités françaises ont donné le coup d’envoi. Du coup, certaines mauvaises langues n’hésitent pas à qualifier le notariat de domaine privé des Fassis. Pour Mohamed Alami, président délégué du Conseil national des notaires, ces propos sont erronés : « C’est complètement faux. Si cela a existé il y a 20 ou 30 ans, aujourd’hui, la profession s’est largement démocratisée. En effet, tous les Marocains sont représentés. Il suffit de jeter un coup d’œil sur l’annuaire des notaires pour s’en rendre compte».
 Cependant, la profession notariale est restée peu connue et  les notaires ont été peu sollicités par le commun des mortels. Leurs actes ont été «réservés» à quelques initiés. La majorité de la population se dirigeait vers des écrivains publics ou des rédacteurs d’actes quand elle ne le rédigeait pas elle-même.
Aujourd’hui, les notaires sont considérés comme des professionnels nantis appartenant à une petite élite. Ils jouissent d’une image positive dans l’esprit des Marocains qui ont pris conscience que le notaire est le garant de la sécurité juridique des transactions et des investissements. «Les gens pensent par réflexe au notaire quand ils veulent faire établir un document fiable et clair», a souligné M. Alami.
La profession compte aujourd’hui près de 1000 notaires, à majorité des jeunes. 40 à 50% d’entre eux sont des femmes. Elle compte aussi plus de 3000 stagiaires et 4000 employés. Dans les années soixante-dix, leur nombre ne dépassait pas 3 notaires et 15 stagiaires, avant de passer à 45 notaires et 1000 stagiaires dans les années quatre-vingts. En 2003, ils sont 440 notaires et 1500 stagiaires.
Sur ces 1000 notaires que compte le Maroc, plus de 300 ont fait leurs études à Casablanca. Cette dernière représente 37% suivie de Marrakech (10%), Rabat (9%) et Témara (6%). Les notaires sont rares dans les provinces du Sud du Maroc. La forte concentration sur l’axe Fès, Rabat, Casablanca et Marrakech s’explique par le nombre important de transactions immobilières et l’attractivité économique de ces villes. D’ailleurs, le ralentissement de l’économie nationale et la crise de l’immobilier ont durement touché les notaires. «Plusieurs collègues ont durement souffert de la crise. Certains ont constaté que leur chiffre d’affaires a diminué de 50%», explique un notaire de la place.
Pourtant, l’intervention du notaire reste limitée géographiquement et même s’il peut intervenir sur tout le territoire national, c’est seulement pour l’accueil de ses clients. Le notaire ne peut pas se déplacer en dehors du territoire de la Cour d’appel dont il répond, sauf s’il y a une décision judiciaire. Les nominations sont faites en fonction des actes d’enregistrement et de la demande. Lorsqu’on est candidat, on l’est pour un poste (une ville).
Les prétendants à cette profession libérale doivent être titulaires d’un diplôme équivalent à la licence et s’inscrire près d’un notaire pour un stage de quatre ans avant de passer un examen. Avec la promulgation de la nouvelle loi, l’accès se fera sur concours, avant d’acquérir une formation d’un an au sein d’un institut qui devra être créé. Ensuite, le candidat devra passer trois ans de stage dans une étude notariale.
La nouvelle loi a étendu la possibilité d’intégrer la profession à certaines catégories professionnelles qui ne figurent pas nommément dans l’ancien texte. Désormais, les Conservateurs du Royaume, les inspecteurs des impôts, les anciens juges, les ex-avocats agréés près la Cour suprême et les ex-professeurs universitaires titulaires d’un doctorat et ayant exercé cette fonction pendant au moins 15 ans, peuvent devenir notaires. Ces nouvelles catégories sont exemptées du concours et du stage, mais la limite d’âge est fixée à moins de 55 ans révolus. Une fois le cursus de formation terminé, le notaire sera désigné par le Premier ministre sur proposition du ministre de la Justice.
Pour M. Alami,  le notariat est aujourd’hui un métier en mutation. Il se développe et s’élargit. Son effectif a largement augmenté et son champ d’intervention s’est étendu malgré un cadre juridique étriqué.  Mais la profession  vit aussi des problèmes. Ils ont trait à « la formation professionnelle des notaires, au contrôle des études notariales, à la comptabilité, à la responsabilité, à l’absence d’un ordre professionnel ainsi qu’à l’inexistence d’un centre de formation, …».
Pour remédier à cette situation, une nouvelle loi vient enfin d’être adoptée par le Parlement et attend sa promulgation. Elle comporte 133 articles, renfermant des dispositions générales relatives à cette profession et d’autres auxquelles les notaires devront se conformer. Pour M. Alami, cette réforme a pris beaucoup de retard. «Tout au long de ma vie professionnelle, il y a plus de 34 ans, j’ai toujours entendu parler de dizaines de projets qui ont été tous élaborés sans jamais voir le jour. Ils n’ont jamais quitté les tiroirs des bureaux de Secrétariat général du gouvernement». Mais à qui incombe cette situation ? M. Alami pense que cela s’explique par le fait que chaque ministre de la Justice avait sa propre vision du notariat dit moderne. «Il y a ceux qui prônent une suppression pure et simple de ce corps de métier, hérité selon eux du  Protectorat, d’autres pensent fusionner le notariat moderne et les adouls dans un seul corps comme c’est le cas chez nos voisins algériens », explique-t-il. A ce propos, les notaires sont unanimes : un projet de fusion avec les adouls n’est guère réalisable et les arguments ne manquent pas. Il s’agit de deux corps distincts et différents tant par leur nature que par le fond, même si la finalité est la même. D’abord au niveau de la formation. A l’instar des notaires, les adouls sont issus des universités de droit, mais certains sont sortis des facultés d’enseignement religieux. Ils manquent de formation fiscale ou économique et parlent peu le français, langue usitée dans le monde des affaires. Autre différence et non des moindres, l’adoul n’a pas la compétence d’authentifier les contrats et tout acte  établi doit être validé par le juge et cosigné par deux adouls. Ce qui n’est le cas pour les notaires même si l’article 47 du projet de loi N° 32.09 relatif à l’organisation de la profession de notaire stipule que «le notaire doit soumettre aux fins d’enregistrement les actes et les écritures au service compétent de l’enregistrement et s’acquitter du montant dû dans le délai fixé par la loi et accomplir les formalités nécessaires à l’inscription des actes et des écritures aux registres fonciers et toutes autres formalités afin d’assurer leur validité ainsi que celles relatives à la publicité et à la notification, le cas échéant». De fait, les actes rédigés tant par les adouls que par les notaires ne sont, au final, validés qu’après avoir accompli les mêmes formalités.
«D’ailleurs, il y avait un ministre qui a essayé de fusionner les deux corps, mais l’expérience a été un vrai échec», se rappelle notre notaire.
Adopté après plus de 7 ans confiné dans les tiroirs du gouvernement, le nouveau texte de loi n’a pas fait que des heureux. Plusieurs professionnels ont affiché leurs réticences. Ils lui reprochent certaines mesures comme l’autorisation accordée à certaines catégories professionnelles d’intégrer la profession et le rôle prédominant du parquet dans l’inspection et les sanctions ainsi que la marginalisation de l’Ordre des notaires.
Pour sa part, le président délégué de CNN relativise ces propos et  considère cette loi, malgré ses failles, comme un grand pas et un gain pour la profession. « Dans l’ensemble, on est satisfaits malgré ces imperfections car une loi est appelée à évoluer. Elle n’est pas parfaite une fois pour toutes. D’ailleurs, on ne peut pas tout changer dans une situation qui a duré près de 80 ans». M. Alami rappelle également que le nouveau texte a satisfait certaines demandes des professionnels du secteur, à savoir la création d’un Ordre national et de conseils régionaux ainsi que la possibilité de s’associer entre notaires.
La réforme a apporté aussi d’autres nouveautés comme l’âge des personnes voulant intégrer le métier qui est fixé entre 23 ans et 45 ans excepté pour certaines catégories professionnelles admises à exercer le notariat dit moderne (-55 ans),  l’obligation de la rédaction des contrats en arabe sauf si les parties demandent l’utilisation d’une autre langue, la création d’un institut de formation professionnelle des notaires dont l’accès se fait après concours, la mise en place d’une procédure précise des poursuites disciplinaires à l’égard des notaires qui ont failli à leurs engagements, la transformation de Fonds d’assurance des notaires en un fonds de garantie dont l’objectif est de pallier les fautes professionnelles des notaires qui ont causé des dommages à leurs clients.
 Cependant, M. Alami pense qu’une loi ne peut à elle seule tout régler. La profession a besoin d’un travail de fond. Il fait allusion aux différents scandales et incidents qui ont terni l’image du notariat dernièrement, même s’il a essayé de minimiser ces dérapages : «Notre profession est comme la plupart des métiers réglementés exposée à des dépassements.  Elle ne fait pas exception.  D’ailleurs, en 83 ans d’existence, le notariat n’a connu que quelques sinistres». M. Alami a mis à l’index le rôle de la presse dans l’amplification de ces incidents. Il reproche à certains journalistes le manque de professionnalisme dans leurs enquêtes. «Il suffit qu’il y ait un simple litige entre un notaire et son client pour que certains journalistes s’acharnent contre le notaire en l’accusant de tous les maux», a-t-il déploré. Ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.

Evolution de la profession

1978 : 3 notaires, 15 clercs : stagiaires
1980 : 15 notaires, 30 clercs : stagiaires
1986 : 24 notaires, 24 clercs : stagiaires
1989 : 45 notaires, 100 clercs : stagiaires
2000 : 300 notaires, 1000 clercs : stagiaires
2003 : 440 notaires, 1500 clercs : stagiaires
2010 : 1000 notaires, 3000 clercs : stagiaires

Des minutes qui comptent pour 75 ans

Si en France, les notaires ont l’obligation de garder pendant 75 ans leurs minutes (c’est-à-dire l’original des actes qu’ils rédigent), puis de les verser, avec les répertoires où les actes sont inscrits chronologiquement, dans un service public d’archives, au Maroc le nouveau projet de loi précise que «le notaire est tenu de conserver, sous sa responsabilité, les minutes des actes et des documents y annexés» et qu’en cas de cessation d’activités de celui-ci, «l’ensemble des archives est remis par le notaire remplacé au nouveau notaire».
En cas de radiation d’une étude d’un notaire, les documents sont remis à un ou plusieurs notaires et qu’«en cas de remise provisoire, les minutes, les documents et les titres peuvent être conservés dans l’étude radiée».



Lu 1489 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Dossiers du weekend | Actualité | Spécial élections | Les cancres de la campagne | Libé + Eté | Spécial Eté | Rétrospective 2010 | Monde | Société | Régions | Horizons | Economie | Culture | Sport | Ecume du jour | Entretien | Archives | Vidéo | Expresso | En toute Libé | USFP | People | Editorial | Post Scriptum | Billet | Rebonds | Vu d'ici | Scalpel | Chronique littéraire | Chronique | Portrait | Au jour le jour | Edito | Sur le vif | RETROSPECTIVE 2020 | RETROSPECTIVE ECO 2020 | RETROSPECTIVE USFP 2020 | RETROSPECTIVE SPORT 2020 | RETROSPECTIVE CULTURE 2020 | RETROSPECTIVE SOCIETE 2020 | RETROSPECTIVE MONDE 2020 | Videos USFP | Economie_Zoom | Economie_Automobile | TVLibe











L M M J V S D
      1 2 3 4
5 6 7 8 9 10 11
12 13 14 15 16 17 18
19 20 21 22 23 24 25
26 27 28 29 30 31  





Flux RSS
p