De son bateau à moteur, ce biologiste américain de 77 ans qui est l'une des autorités mondiales en matière de requins jette des morceaux de barracudas dans l'eau, où tourbillonnent une dizaine de requins de récif tout heureux de cette collation matinale. Ils ne sont pas seuls dans les chaudes eaux turquoise de Bimini aux Bahamas: une dizaine de personnes en tenue de plongée tentent de surmonter leur "galéophobie", la peur des requins, pour contempler la scène.
Dans son Shark Lab (Laboratoire de Requins), M. Gruber accueille experts ou simples curieux, qui peuvent y nager pendant une heure avec des requins. Ce passionné a fondé en 1990 ce point de passage obligé pour tout scientifique s'intéressant à ces animaux.
Espèces en danger
"Donne-lui un coup de pied !", crie M. Gruber quand un requin un peu curieux se rapproche d'un plongeur. Il faut vite faire bouger ses palmes pour les éloigner, explique-t-il.
"Ils sont magnifiques, ce ne sont pas les monstres que l'on dit", assure-t-il, rapporte l’AFP.
Nager avec des requins n'est pas sans risque mais ceux des eaux autour du laboratoire sont presque des habitués.
"Beaucoup de requins sont dans le coin depuis 10 ou 15 ans", raconte Tristan Guttridge, le directeur et chef scientifique britannique du laboratoire, "ils savent exactement à quoi s'attendre".
Plus de 500 espèces de requins peuplent les océans, du requin du Groenland, l'un des plus gros au monde dans les eaux de l'Arctique, au minuscule requin lanterne croisant au large de la Colombie et du Venezuela et qui peut tenir dans la paume d'une main. Mais avec 100 millions de requins tués chaque année -- beaucoup par les Chinois pour leur très prisée soupe aux ailerons de requin -- près d'un tiers des espèces de requins sont menacées d'extinction et un quart le sont dans un avenir très proche, estiment les scientifiques.
"De toutes les espèces de vertébrés marins, ils sont les plus en danger", affirme Imogen Zethoven, directrice pour la préservation des requins de l'organisation Pew Charitable Trusts à Washington.
Ces superprédateurs, au plus haut de la chaîne alimentaire, ont aussi un problème persistant d'image, tant ils effrayent.
Pourtant, les attaques de requins tuent extrêmement rarement: six morts par an en moyenne dans le monde, selon l'Université de Floride. Les surfers sont les plus vulnérables.
"Le taux d'attaques mortelles n'a pas cessé de baisser au cours des 110 dernières années", même si de plus en plus de gens vont se baigner, souligne le responsable du programme, George Burgess.
Alors que l'Australie est connue pour ses attaques mortelles de grands requins blancs, ce sont en fait les côtes de Floride, dans le sud-est des Etats-Unis, où l'on a le plus de risques d'être mordu, selon M. Burgess. Mais même là, le risque d'une attaque de requin est d'un sur 11,5 millions, dit-il.
Un tourisme spécialisé
Certains rendent le film "Les Dents de la mer" responsable de la psychose collective: ce méga-succès de Steven Spielberg en 1975 raconte l'histoire d'une petite ville de Nouvelle-Angleterre terrorisée par un grand requin mangeur d'hommes et a durablement marqué les esprits.
"Si vous ne savez rien des requins et que vous n'avez vu que +Les Dents de la mer+, problème !", lance le cameraman sous-marin Andy Casagrande, connu pour ses images marines en Australie.
Les campagnes d'associations et certaines émissions de télévision comme la Shark Week (La Semaine des requins), qui revient sur la chaîne Discovery le 5 juillet pour sa 28e saison, éduquent le public.
D'autres initiatives ont aussi lieu en faveur des requins: au Mexique, le thème d'un festival consacré aux requins-baleines à Isla Mujeres, près de Cancun, dont la huitième édition a lieu du 18 au 24 juillet, est "Sauvez les requins en nageant avec eux". L'archipel des Bahamas a, lui, sanctuarisé ses eaux en 2011 pour les requins, y interdisant toute pêche. Aujourd'hui, des voyagistes y organisent des expéditions en plongée pour les voir.
Une étude de 2013 de l'Université de Colombie-Britannique (ouest du Canada) estime que "le tourisme lié au requin" progresse, attirant quelque 600.000 amateurs chaque année et générant 10.000 emplois directs et 314 millions de dollars par an. D'ici 20 ans, ce tourisme devrait même se chiffrer à 780 millions de dollars, selon l'étude.
"Laisser les requins dans l'océan est une meilleure affaire que de les mettre sur le menu", estime Andres Cisneros-Montemayor, auteur d'une recherche publiée dans le magazine sur la biodiversité Oryx.
Sur les réseaux sociaux, Mary Lee, un grand requin blanc femelle, est devenue une célébrité sur Twitter depuis que l'association spécialisée Ocearch l'a équipée d'une balise qui enregistre sa position, souvent le long des côtes américaines.
Penché vers un bassin entre la plage et le laboratoire aux Bahamas où nagent de jeunes requins-citron, M. Gruber résume: "Les choses changent. Mais on a encore du travail..."