Mohamed Essabbar : “Le CNDH va se prononcer sur le degré de vérité de chaque dossier en suspens”


Entretien réalisé par Mustapha Elouizi
Vendredi 1 Février 2013

Mohamed Essabbar : “Le CNDH va se prononcer sur le degré de vérité de chaque dossier en suspens”
Secrétaire général du CNDH, Mohamed Essabar maîtrise bien son sujet. Il a aussi bien l’esprit de détail que celui des grandes idées qui sous-tendent le projet de la réconciliation. Ce n’est pas étonnant, quand on sait qu’il était lui-même victime des années de plomb, l’un des fondateurs du Forum vérité et Justice et l’un de ses anciens présidents. Il était également vice-président et plusieurs fois membre de l’AMDH, et avocat au barreau de Rabat. Il a suivi plusieurs affaires relatives aux graves violations des droits de l’Homme. Entretien.

Libé : Quel bilan faites-vous de la réconciliation nationale?

Mohamed Essabbar : Le bilan que nous faisons au sein du Conseil est globalement positif. Avant de vous donner des chiffres, je voudrais souligner d’abord que la période traitée par l’ancienne Instance Equité et Réconciliation (IER) était des plus longues en matière de justice transitionnelle : 1956 – 1999. Ensuite, je remarque que personne n’a été contre les recommandations de cette instance présidée par feu Benzekri, lui-même victime des années de plomb. Les approches suivies dans le processus sont reconnues à l’échelon international (genre, participation, droit, politique et institutionnelle, auditions publiques…), tout en laissant la possibilité aux victimes non satisfaites de recourir à la justice.
Au niveau de l’indemnisation individuelle, il y a eu 17.000 personnes. Pour ce, on avait eu recours à des approches reconnues. Au niveau de l’intégration sociale, une grande partie de cas a été réglée, et il nous reste quelque trois cents cas à résoudre prochainement. Mais, il ne faut pas oublier que le mandat de l’IER concernait des investigations sur les violations graves des droits de l’Homme. Il y a eu aussi l’adoption d’autres approches, telle que la réhabilitation médicale, sociale et administrative.

Le mandat de l’IER avait mis en avant le volet réparation communautaire. Que pouvez-vous dire dans ce sens?

Ce programme visait à entreprendre une réconciliation des populations ayant souffert de l’existence de centres de détention secrets sur leur sol. Celui-ci a concerné 13 sites dont Zagora, Ouarzazate, Tinghir, Nador, El Hoceima, Tan Tan, Hay Mohammadi, Khénifra, Errachidia, Figuig. Mais, la difficulté est qu’il s’agit d’une initiative sans précédent. Il n’existait pas auparavant dans les expériences mondiales une pareille démarche. Donc il fallait tout entreprendre.

Quelle est la nature des projets initiés dans ce sens ?

Là, il fallait initier des projets qui prônent la mémoire et rétablissent une réparation collective des dommages. La première idée était de préserver la mémoire et de tourner définitivement cette page. Des musées verront bientôt le jour, comme celui du Rif, le musée des oasis, le musée d’Agdz, ainsi que la transformation du centre de Derb Moulay Chrif en complexe culturel et éducatif. On n’oubliera pas les cimetières, dans la mesure où l’on prévoit l’aménagement des cimetières de Casablanca, où sont enterrées les personnes décédées lors des événements de 1981, du cimetière de Kelâat Mgouna et d’Agdz. Le Centre contribue actuellement de manière active au projet des archives du Maroc, grande défaillance nationale, et on a déjà dans ce sens mis en place un master de «l’histoire contemporaine», dans le cadre d’un partenariat avec l’Université Mohammed V à Rabat.

Qu’en est-il de la question de la vérité dans ce dossier ?

Le processus de réconciliation a pu dévoiler la vérité au sujet de 767 cas, décédés dans des circonstances indéterminées, suite à des enlèvements ou disparitions. On avait également révélé des dossiers aussi bien à caractère individuel que collectif.  Certes, il reste moins d’une dizaine de cas en suspens, mais le conseil compte se prononcer ultérieurement sur le degré de vérité atteint sur chaque dossier.

Et sur les plans politique et institutionnel?

Il faut bien souligner dans ce cadre que toutes les recommandations de l’ancienne IER avaient bel et bien été constitutionnalisées par la Loi fondamentale de 2011. Ce qui n’est pas rien, dans la mesure où plusieurs changements survenus dans ce sens réfèrent à ces recommandations. L’on peut nous rétorquer deux manquements : la peine de mort et la non reconnaissance de la Cour pénale internationale. Dans le premier cas, je répondrais volontiers que la Constitution stipule également le droit à la vie, ce qui pourrait être compris tacitement comme étant une condamnation de la peine de mort. Et en deuxième lieu, la Constitution pénalise les crimes commis dans des circonstances pareilles que celles stipulées par la CPI, ce qui peut aussi constituer une plaidoirie en faveur de cette cause.

A chaque activité du CNDH, on remarque quelques protestations de certains groupes. Pouvez-vous nous éclairer sur la nature de leurs revendications?

Comme vous pouvez le remarquer aujourd’hui (l’entretien a été réalisé le 15 janvier, lors du Colloque international sur la justice transitionnelle, NDLR), certaines personnes brandissent des banderoles appelant le CNDH à assumer ses responsabilités quant à leurs revendications.
Pour le cas des personnes faisant partie du groupe d’Agdz (Sahraouis, NDLR), elles ont été indemnisées, suivant la démarche suivie et adoptée. Là, c’est clair, ces gens veulent davantage d’argent et plus précisément, ils demandent à être alignés sur les citoyens détenus à Tazmammart. Ils recourent au chantage, étant donné leur origine et tiennent un discours qui marque une nette obédience politique au service d’un agenda étranger. Quand on a été indemnisé jusqu’à 150 millions de centimes et qu’on revient à la charge, cela ne peut être que du chantage. Autrement, si ces personnes ne sentent lésées, elles n’ont qu’à aller en justice.

Et pour les quatre personnes qui se disent «expulsées» par le CNDH à Laâyoune?

Ces gens-là travaillaient avec le CNDH sur la base d’un contrat indéterminé. Le Conseil avait, entre-temps, établi un contrat avec une entreprise privée où ces personnes travaillaient comme salariés. Le problème s’est posé quand l’entreprise avait décidé de les limoger. Il y a là un Code de travail, et une justice qui doit rétablir chacun dans ses droits. D’ailleurs, l’un d’eux était contractuel avec le CNDH à Ouarzazate. Comme son rendement n’était pas satisfaisant, le Conseil a décidé de ne plus renouveler son contrat. Il a recouru à la justice, le tribunal de première instance à Ouarzazate s’est déclaré incompétent. Le concerné a recouru au tribunal administratif et là normalement, il ne doit pas protester mais attendre le jugement.

Et pour le groupe de Ksar Lkbir ?

C’est simple, ils ont déposé leurs dossiers ap
rès les délais fixés pour cette opération.

Certains participants au colloque «Justice transitionnelle» ont compris qu’il s’agit d’une tentative de clore ce dossier… est-ce vrai ? 

Je peux dire qu’il est sur le point d’être achevé. On ne pourra pas gérer ce dossier indéfiniment.

Quel serait dans ce cas le sort des dossiers en suspens ? 

Le CNDH se prononcera sur le degré de vérité atteint dans ce cas.

Quels ont été les contraintes et manquements enregistrés dans l’expérience marocaine relative à la réconciliation?

Primo, le secteur privé a été absent tout au long du processus. Aucune contribution n’a été enregistrée, comme s’il n’était pas intéressé par le processus. Secundo,  les membres de l’IER avaient à faire face aux blancs historiques. Par exemple, il y avait peu d’analyses des contextes ayant prévalu lors des événements du Rif, d’où la recommandation de créer un Institut national dédié à l’histoire contemporaine. Tertio, les partis politiques n’étaient pas très impliqués, hormis des initiatives à présenter des mémorandums, comme ce fut le cas avec l’USFP, le PSU, et le PADS…

Quelles sont les nouvelles missions que doit mener le CNDH?

Outre les tâches traditionnelles d’études, de médiation, de recherches et d’avis, de rapports, le CNDH s’emploiera à consolider la démocratie et à assurer la diffusion des principes de tolérance et des droits humains. Il sera aussi appelé à entreprendre le contrôle des politiques publiques en matière de droits de l’Homme et accompagner la mise en œuvre du programme pour la démocratie, sans oublier le secteur de l’éducation afin d’inculquer les valeurs des droits humains aux futures générations.


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1.Posté par Najab Ali le 27/02/2013 17:40
J'espère que le dossier des ex-prisonniers de guerre marocains que nous avions remis en main propre à Maitre Sebbar depuis déjà trois ans, va faire partie de ces dossiers sur lesquels il va se prononcer. Je rappelle à Maitre Sebbar ,comme je le rappelle à Maitre Driss Yazami,que les Droits de l'Homme sont UN indivisible et non selon deux poids et deux mesure. Les victimes des années de plomb ont souffert pour défendre la Liberté certes et beaucoup ont été indemnisés mais les prisonniers de guerre marocains ont souffert aussi plus de 25 années durant à Tindouf pour défendre l'intégrité territoriale du Maroc mais n'ont jamais été indemnisés pour ces années de soffrance.

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