Migration à la Trump

Un modèle qui ne manquerait pas d’émules en Europe


Hassan Bentaleb
Mardi 4 Février 2025

Quelles conséquences pour les pays du Maghreb ?

Migration à la Trump
La manie Trump contre les migrants irréguliers finira-t-elle par attraper l’Europe ? Et si oui, quelles conséquences aura-t-elle sur les pays d’Afrique du Nord, notamment le Maroc, pourvoyeurs de candidats à la migration irrégulière ?

En effet, l’ombre de l’actuel occupant de la Maison Blanche et son dernier acte obligeant la Colombie à accepter le rapatriement d’immigrés expulsés des Etats-Unis hantent les esprits des responsables européens comme ceux maghrébins. Menacer le président colombien Gustavo Petro de droits de douane de 25% et de révocation de visas durant leur bras de fer sur l'immigration a été évoqué lors de la dernière réunion des 27 ministres de l’Intérieur de l’UE à Varsovie. Mieux, « il a alimenté la discussion sur la stratégie à adopter face aux pays réticents à accepter leurs ressortissants expulsés d'Europe », rapporte le site Lalibre.be.
 
Divergences

En effet, il y a une grande divergence entre les pays de l’UE concernant la méthode à adopter. Car si certains sont pour une approche équilibrée, combinant incitations positives et mesures plus dissuasives, dans leurs relations avec les pays tiers, d’autres sont plus favorables à des politiques migratoires reposant principalement sur des sanctions et des restrictions, évoquant les visas et les échanges commerciaux comme outils stratégiques dans les négociations sur l'immigration.

Deux positions diamétralement  opposées dans un contexte européen marqué par une pression croissante de la part de plusieurs Etats membres qui demandent, de manière pressante, une réforme en profondeur de la politique européenne en matière de retour des migrants en situation irrégulière. Ces pays plaident pour des mesures concrètes et rapides afin de rendre les expulsions plus efficaces et systématiques, d’autant qu’ils évoquent le fait qu’aujourd’hui, moins de 20% des décisions d'expulsion prononcées aboutissent effectivement à un retour dans le pays d'origine ou un pays tiers.
 
Bâton et carotte

Cependant, il faut rappeler que plusieurs pays de l’UE ont déjà adopté une série de mesures visant à intensifier les expulsions des migrants en situation irrégulière. Ces actions, qui s’inscrivent dans une stratégie globale de gestion migratoire, combinent des initiatives législatives, des coopérations bilatérales et des outils administratifs.

Ainsi concernant les cadres législatifs européens et nationaux, les  pays de l’UE ont renforcé leurs cadres juridiques pour accélérer et faciliter les procédures d’expulsion via la simplification desdites procédures. La directive "Retour" de l’UE encourage les Etats membres à raccourcir les délais de recours et à harmoniser les règles sur les retours.

Il y a également la criminalisation du séjour irrégulier. Tel est le cas, à titre d’exemple, de la Hongrie et de l’Italie, qui ont renforcé la pénalisation des migrants sans papiers pour dissuader l’entrée et accélérer leur expulsion. L’extension de la détention administrative a aussi été conçue par certains pays, comme l’Allemagne ou la Grèce, qui ont prolongé la durée de rétention dans les centres pour migrants, permettant ainsi de maintenir les individus plus longtemps en attente de leur expulsion.

Sur un autre plan, il y a l’utilisation des visas comme levier de pression sur les pays tiers. En effet, l’UE a conditionné les accords de réadmission avec les pays tiers à des facilités en matière de visas.  Les pays tiers qui coopèrent, comme le Sénégal ou le Maroc, bénéficient d’une réduction des frais de visa ou d’une accélération des procédures pour leurs ressortissants. A l’inverse, les Etats jugés non coopératifs, comme l’Algérie ou le Bangladesh, sont confrontés à des restrictions de visas pour leurs citoyens. Ces mesures sont régulièrement évaluées par la Commission européenne.

S’agissant des accords bilatéraux et de l’externalisation des expulsions, les Etats membres ont renforcé leur coopération bilatérale avec les pays d’origine ou de transit pour faciliter les expulsions. L’UE a signé des accords de réadmission avec des pays comme le Pakistan, la Tunisie et la Turquie, leur imposant l’obligation de reprendre leurs ressortissants expulsés. Des pays comme l’Italie et la Grèce sous-traitent l’accueil et la gestion des migrants aux pays tiers, notamment à la Libye, en échange de financements ou d’équipements pour renforcer leurs frontières.

En outre, l’UE et ses Etats membres ont accentué leur usage de la diplomatie pour inciter les pays tiers à coopérer. Ainsi l’aide financière européenne est souvent conditionnée à une meilleure coopération en matière de réadmission. Par exemple, le Niger et le Mali ont vu leurs aides partiellement suspendues pour manque de collaboration. Certains pays récalcitrants, comme l’Erythrée, subissent des pressions politiques croissantes à travers des restrictions commerciales ou diplomatiques.

Pour Mohammed Chaoui, chercheur en sciences politiques, «ces mesures prises par les pays de l’UE pour expulser les migrants reflètent une politique de plus en plus répressive, axée sur la rapidité et l’efficacité des retours ». « Une approche qui ne date pas d’aujourd’hui, d’après lui, mais qui prend de l’ampleur et risque de s’intensifier davantage avec la manie Trump ».  

Notre interlocuteur nous a précisé que l’approche sécuritaire touche l’ensemble des politiques migratoires européennes et pas seulement les expulsions. « Souvenons-nous de  2023 qui a été une année difficile pour les migrants, particulièrement en Europe.  En effet, nombreuses sont les mesures qui ont été prises afin de décourager les immigrés souhaitant s'y installer. Tel est le cas du gouvernement suédois qui a annoncé le 21 novembre vouloir imposer aux migrants de s'engager à vivre de «façon honnête», ouvrant la voie à des expulsions pour association avec des groupes criminels ou menaces «aux valeurs démocratiques suédoises». Tel est le cas également du Parlement britannique qui a adopté une loi controversée, qui prévoit d’interdire aux individus arrivés au Royaume-Uni de manière illégale de demander l’asile dans le pays », rappelle-t-il. Et de poursuivre : « Au Danemark, de nombreuses mesures ont été mises en place contre les étrangers (céder les logements sociaux au privé et reloger leurs habitants ailleurs ; confiscation des biens arrivés sur le territoire, accès restreint aux allocations, etc.). De son côté, le gouvernement italien a approuvé une série de mesures visant à durcir les conditions d’accueil des migrants (faire héberger des mineurs avec des majeurs, augmenter le nombre de migrants dans les centres de rétention ou encore expulser des personnes en situation régulière qui représentent une menace de trouble à l’ordre public).

De son côté, le chancelier allemand Olaf Scholz a adopté une position plus stricte sur l'immigration, en essayant d'intensifier les efforts pour expulser les personnes en situation irrégulière dans le pays. Idem pour la France qui a voté une nouvelle loi sur l’immigration et l’asile visant à réduire celle-ci et à faciliter les expulsions. Pourtant, l’Europe a besoin de la migration et plus particulièrement de la main-d’œuvre étrangère ».

D’après notre source, l’ensemble de ces mesures et tant d’autres prouvent que l’UE adopte la même approche que Trump, sauf que l’UE préfère déployer sa politique dans la douceur et la discrétion, combinant à la fois diplomatie et menace. 
 
Pression

Du côté des pays du Maghreb, on observe avec intérêt et prudence les évolutions  de ce dossier. En effet, ces pays sont concernés ou plutôt visés par les politiques d’expulsion de l’UE. Les Algériens arrivent en tête, représentant 10% des ordres de quitter le territoire européen, suivis par les Marocains et les Syriens, qui se partagent la deuxième place avec 7% chacun.

A noter qu’entre janvier et septembre 2024, l’Union européenne a enregistré 327.880 ordres de quitter le territoire. Une part significative de ces décisions a été prise au cours du troisième trimestre, avec 112.335 ordres, représentant environ 35% du total annuel et une augmentation de 4% par rapport à 2023. Cependant, l’écart entre les décisions et leur exécution reste important. Sur cette même période, seulement 27.740 personnes ont été effectivement rapatriées. Bien que ce chiffre soit en hausse de 13% par rapport au trimestre précédent et de 35% par rapport à l’année précédente, il représente encore une faible proportion des décisions rendues.

La France se distingue par son activisme en matière d’expulsions. Avec 30.800 décisions rendues au troisième trimestre 2024, elle représente à elle seule un quart des ordres de quitter le territoire en Europe. Elle est suivie par l’Allemagne (13.660 décisions) et l’Espagne (13.645 décisions). Ces trois pays concentrent également une part significative des rapatriements effectifs, totalisant 36% des retours européens.

 «Les pays maghrébins sont conscients de la stratégie migratoire de l’Union européenne. Ils sont  convaincus que les expulsions des migrants sont devenues un élément clé et souvent un outil de pression dans cette politique, comme en témoigne le Pacte européen sur la migration et l’asile. La Commission européenne a introduit des mécanismes visant à évaluer régulièrement la coopération des pays tiers en matière de réadmission.

En cas de non-coopération, elle propose des mesures restrictives, notamment en durcissant les conditions d’octroi de visas », nous a indiqué Mohammed Chaoui. Et de poursuivre : «A l’inverse, les pays jugés coopératifs peuvent bénéficier d’assouplissements, tels que des droits de visa réduits, des délais plus courts pour le traitement des demandes, ou encore des visas à entrées multiples avec une durée de validité prolongée. Cette approche conditionnelle repose donc sur une logique de récompense et de sanction, mettant en exergue l’importance stratégique des visas dans la gestion des flux migratoires. En février 2020, le Conseil de l’UE soulignait que l’assouplissement des règles de visa pourrait être proposé pour inciter les pays tiers à collaborer sur les retours et réadmissions ».
 
Efficacité

Pourtant, une question demeure : «Cette approche est-elle utile et dans quelle mesure respecte-t-elle les droits humains et le principe de libre circulation?». Selon Mohammed Chaoui, un récent rapport parlementaire français a affirmé qu’«une politique migratoire basée sur des représailles diplomatiques s’avère peu viable à long terme». Pis, «elle a eu comme effet pervers des suspensions de coopération consulaire et d’aggraver les blocages.
Ainsi, en 2023, parmi les 137.730 étrangers de toutes nationalités visés par une OQTF (Obligation de quitter le territoire français), plus d’un tiers sont originaires du Maghreb».

En détail, ledit rapport explique qu’«en 2023, 34% des 137.730 OQTF en France concernaient des ressortissants du Maghreb, soit 47.535 personnes. Ce chiffre dépasse largement la moyenne européenne, où les Maghrébins représentent 22% des personnes ciblées par une OQTF (484.160 au total).

Le rapport explique, en outre, que «malgré le nombre élevé d’OQTF, les résultats concrets restent faibles. En 2023, seuls 7,6% des migrants en séjour irrégulier visés par une OQTF ont effectivement quitté le territoire français, contre une moyenne de 19% dans l’Union européenne.

Les blocages consulaires jouent un rôle central dans cette situation, indiquent les rédacteurs dudit document qui révèle que «96% des annulations d’éloignement sont dues au refus de délivrance de laissez-passer consulaires, nécessaires pour renvoyer les migrants en séjour irrégulier dans leur pays d’origine. Les pays du Maghreb, particulièrement l’Algérie, figurent parmi les principaux obstacles. Les tensions diplomatiques, exacerbées par des désaccords, compliquent encore davantage la coopération».

Selon certains observateurs, la coopération consulaire, lorsqu’elle existe, est souvent sporadique et insuffisante pour atteindre les objectifs fixés par la France. Par ailleurs, les refus massifs de laissez-passer traduisent une résistance systématique des pays du Maghreb, qui rejettent les méthodes perçues comme coercitives.
 
Réforme

Mohammed Chaoui estime que le renvoi de la responsabilité  des lacunes qui entachent ce dossier aux seuls pays du Maghreb est inacceptable puisqu’outre les blocages consulaires, plusieurs autres facteurs entravent les éloignements forcés des migrants en séjour irrégulier. «Il y a d’autres facteurs qui interviennent comme les contraintes du trafic aérien international, notamment avec des pays en conflit ou en crise. Il y a également l’impossibilité physique d’éloignement forcé, incluant des actes d’automutilation ou des refus d’embarquer. Les situations géopolitiques instables dans certains pays comme la Syrie, la Libye, l’Afghanistan ou encore le Mali incitent les pays à refuser toute réadmission ou sont inaccessibles en raison de l’insécurité. A noter, enfin, que la pression juridique et administrative via les recours et les protections légales complexes prolonge les délais et réduit l’exécution des expulsions», a-t-il précisé. Et de conclure : «Pour dépasser ces limites, il est impératif de réformer en profondeur les pratiques européennes en matière de visas et de réadmissions. Cela passe par davantage de transparence dans les critères d’octroi, une harmonisation des pratiques consulaires et une réflexion sur l’équilibre entre contrôle des flux et respect des droits des individus. A défaut, l’UE risque de renforcer l’image d’une forteresse fermée, alimentant tensions et frustrations tant au sein de ses frontières qu’avec ses voisins du Sud».

Hassan Bentaleb


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