Les fragiles bobines de nitrate --noircies, cassantes et rétrécies-- sont manipulées avec d'extrêmes précautions pour pouvoir repérer au microscope les moindres égratignures, taches et poussières incrustées sur le générique du film "Les cheveux d'or" (1927).
L'Institut du film britannique (BFI) a entrepris le projet titanesque de restaurer les films muets d'Hitchcock, et de les numériser. Le résultat final, notamment au niveau de la netteté, devrait surprendre les spectateurs, a estimé le BFI.
"Nous avons fait venir les meilleures et les copies les plus originales du monde entier, nous les nettoyons, nous enlevons tous les défauts dans la mesure du possible pour obtenir une version aussi proche de l'original que possible", a expliqué à l'AFP un porte-parole de l'Institut. "C'est la Rolls-Royce en matière de restauration de film. On aura l'impression que ça a été filmé la veille".
"Nous voulons faire des copies qui perdurent pour des générations. Ces versions seront projetées dans les cinémas du monde entier et sortiront en DVD. Nous faisons entrer Hitchcock dans l'ère numérique", a-t-il ajouté.
Si Hitchcock est considéré comme l'un des plus grands réalisateurs de tous les temps grâce à des chefs-d’œuvre comme "Sueurs froides" (1958), "Psychose" (1960) et "Les Oiseaux" (1963), il s'était fait un nom dès les années 1920 dans le cinéma muet de son Angleterre natale.
Suspense et mystère alimentaient déjà sa créativité pour ces longs-métrages en noir et blanc, contenant tous les ingrédients de ses futurs classiques hollywoodiens.
Neuf films sont actuellement en cours de restauration dans l'immense ferme reconvertie de Berkhamsted, au nord-ouest de Londres, qui abrite les archives de l'Institut sous des voûtes de 12 mètres de hauteur. Quelque 200.000 bobines sont entreposées du sol au plafond, par une température ambiante de 5 celsius.
Kieron Webb, le responsable technique du projet, compare plusieurs impressions tirées du film "Les cheveux d'or" --considéré comme le premier véritable film d'Hitchcock-- à une bobine originale des archives du BFI.
Image par image, en blouse et gants blancs. "Jusqu'à ce que vous ayez rassemblé toutes les copies à un même endroit, vous ne pouvez pas être sûr. Il peut y avoir des images supplémentaires, des versions différentes", explique-t-il à l'AFP, estimant que l'état des bobines était "pitoyable".
"Penser que vous prenez en charge tous les films qui ont survécu de l'œuvre de quelqu'un, et que c'est Hitchcock, c'est incroyable", confie-t-il.
A un autre étage, dans une salle exiguë à l'air parfumé d'effluves de produits de développement, des techniciens se concentrent sur les cartons --qui expliquaient l'intrigue aux spectateurs à intervalles réguliers.
Un travail compliqué car nombre de cartons explicatifs ont été purement et simplement retirés, ou amputés, ou sont en langue étrangère.
Un peu plus loin, calé dans une machine géante, un négatif original hautement inflammable baigne dans un liquide faisant disparaître les rayures, juste le temps qu'une lumière projetée ne redonne vie aux images et qu'elles soient transférées sur un film de 35mm pour créer un nouveau négatif.
Le projet de restauration devrait coûter 1 million de livres (1,2 million d'euros), financé par des dons venus du monde entier.
L'Institut a lancé un appel pour retrouver "The Mountain Eagle" (1927), le dixième long-métrage muet achevé par Hitchcock et seul qui lui manque.
C'est désormais son "most wanted film", le film le plus recherché.
Quant à savoir quand les fans d'Hitchcock pourront poser leurs yeux sur ces versions numérisées, c'est encore le suspense...