Ce n’est pas nouveau: le cinéma marocain est en crise. Les recettes et la fréquentation des salles obscures sont en chute libre depuis plusieurs années et les chiffres présentés, récemment, par le Centre cinématographique marocain (CCM), sont éloquents. Ainsi, après avoir passé, en quelques années, de 50 à 2 millions d’entrées par an, le constat de l’année 2015 est encore beaucoup plus affligeant. En effet, depuis janvier dernier, les salles de cinéma marocaines n’ont drainé que 945.876 spectateurs pour des recettes estimées à 40 millions de dirhams. Un chiffre qui reste encore loin des 66 millions de DH réalisés en 2014 et qui était déjà en baisse de 13% par rapport à 2013.
Selon Hassan Belkady, exploitant de «Cinéma Rif», une des salles de cinéma les plus emblématiques de Casablanca, plantée depuis plus d’un demi-siècle dans le centre-ville, les raisons d’une telle dégringolade sont essentiellement «l’invasion massive des DVD pirates et la détérioration, voire la disparition de plusieurs salles mythiques du Royaume». «En 1980, on comptait 280 salles de cinéma au Maroc. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 40. En plus des 80 salles qui sont malheureusement fermées, à l’heure actuelle. Bien évidemment, le nombre de spectateurs a aussi très nettement diminué, puisqu’on est passé de 50 à presque 1 million d’entrées par an. Et il faut bien reconnaître qu’il s‘agit là d’un constat affligeant», nous explique Hassan Belkady. Et d’ajouter : «En plus, nous avons été soumis à une TVA de 20%, ce qui est absolument déraisonnable, puisque dans le monde entier, cette TVA ne dépasse pas 5%. Ce n’est pas ce genre de mesures qui pourra encourager les propriétaires à garder leurs salles de cinéma ouvertes au public». Concernant l’inscription du cinéma ABC au patrimoine de la ville de Casablanca, ce qui signifie que cette salle ne peut, désormais, ni être transformée ni démolie, Belkady s’est montré pleinement satisfait. «Je souscris à cette initiative. Je pense que c’est une bonne décision de vouloir conserver ces salles devenues mythiques. Puisque cela empêchera les propriétaires de les démolir, pour pouvoir construire des immeubles à leur emplacement. Ce qui serait nettement plus rentable pour eux», nous a-t-il précisé.
Quelques salles mythiques, comme le Rialto à Casablanca, emblème du style Art déco des années 1930, tentent pourtant de s’en sortir. Leurs propriétaires disent se débattre jour et nuit pour ne pas mettre la clé sous le paillasson. Et y engouffrent toute leur fortune. «Nous faisons ça par amour du cinéma et pour sauvegarder notre patrimoine», assène Belkady, qui assure gagner sa vie uniquement grâce à ses revenus de… chirurgien-dentiste.
Pour sa part, Noureddine Lakhmari, scénariste et réalisateur marocain, nous a expliqué que la diminution du nombre des salles de cinéma, et donc du nombre d’entrées, revient particulièrement au fait que ces salles appartiennent au secteur privé, contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de pays européens, tels que la Norvège, où le cinéaste a vécu pendant de longues années. «En Norvège, les salles de cinéma appartiennent à l’Etat, et aux communes en particulier. Des communes qui ont les moyens et qui injectent régulièrement de l’argent pour préserver leurs salles de cinéma», souligne-t-il. «Tandis que chez nous, il n’y a que certains propriétaires de salles, qui sont de vrais passionnés, et qui se battent pour les sauvegarder», a-t-il ajouté, avant de conclure : «Mais il faut bien avouer que cette absence totale de l’Etat complique davantage la situation!».
Les tournages de superproductions étrangères, seul motif de satisfaction du secteur
Si, au Maroc, les cinéphiles se font de plus en plus rares, ainsi que les salles de cinéma, les tournages atteignent, quant à eux, des records. En effet, le CCM a autorisé 214 tournages à fin octobre dernier, soit 169 productions nationales et 45 productions étrangères, contre 38 seulement en 2014. Pour ces dernières, la France arrive en tête avec 10 productions, suivie des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, avec 6 et 7 productions. Selon Sarim Fassi Fihri, directeur du CCM, les 38 productions étrangères tournées au Maroc l’an dernier ont rapporté 120 millions de dollars à l’économie nationale, soit six fois plus que l’année précédente où le bénéfice pour le Royaume n’avait été que de 22 millions de dollars.
Toujours selon Sarim Fassi Fihri, cette croissance spectaculaire et cette manne financière sont à mettre au profit de la stabilité politique du pays et à la présence d’équipes de tournage expérimentées. «Pour la région du Moyen-Orient, nous sommes pratiquement le seul pays à pouvoir garantir la paix et la stabilité» a-t-il déclaré à Reuters, expliquant que les autres équipes de films ont tendance à éviter les autres pays de la région.
En 2014, beaucoup de superproductions ont donc été tournées au Maroc. Mais celle qui a fait le plus parler d’elle est sans conteste «Mission Impossible 5» qui a mobilisé d’énormes moyens pour le tournage de ses séquences au Royaume. Sans oublier le tournage de «James Bond» ou encore le dernier carton au cinéma de Clint Eastwood, «The American Sniper».