Les infirmiers en quête de reconnaissance

Une profession qui peine à gagner ses lettres de noblesse


Par Khalid Yamani
Vendredi 2 Août 2013

Les infirmiers en quête de reconnaissance
L’année qui s’est achevée a été marquée par une prise de conscience d’une nature particulière. Il s’agit de la grogne des infirmiers déclenchée par un décret ministériel autorisant l’accès des infirmiers formés au privé à la Fonction publique. Ce décret était  l’étincelle qui a mis le feu aux poudres, puisque le corps des « anges de la clémence » comme on les surnomme en arabe, bouillonne depuis des années déjà.
Plusieurs raisons sont à l’origine de cette situation. Pour les comprendre, il faut faire une lecture de l’histoire de ce métier longtemps méprisé, principalement par le système lui-même qui a fait en sorte que la santé au Maroc soit l’apanage uniquement des médecins au lieu d’instaurer un mécanisme de cohabitation et de complémentarité avec les infirmiers au bénéfice des patients. Après l’indépendance, le système a eu l’idée d’instituer des facultés de médecine.  En parallèle, il a procédé au recrutement de jeunes collégiens, à la manière des recrutements militaires, pour remplir le rôle des infirmiers, et ce,  après une courte formation appelée « stage » encadrée par les médecins eux-mêmes. Le processus est resté le même jusqu’au début des années 90 où les décideurs ont estimé que la population est devenue plus  exigeante.  Et puisque les infirmiers restent la première interface de tout hôpital, il fallait donc rehausser leur niveau en ajustant leur formation passant du fameux stage qui produit les fameux infirmiers brevetés à une formation diplômante avec la qualification « d’Etat » pour donner davantage d’estime aux lauréats. Ce n’est pas pour autant que les choses ont changé  puisque l’infirmier est resté dans la conscience du citoyen ce personnage aux multiples tares allant  de la corruption à l’incompétence en passant par l’ignorance.
Mais est-ce que l’Etat a agi seul dans la configuration de cette fâcheuse situation ? Non, car l’ennemi n° 1 de l’infirmier, à savoir son intime ami le médecin, a trouvé  dans la stigmatisation de l’infirmier un avantage inestimable. Il a eu ainsi les coudées franches pour agir loin de toute concurrence. Ainsi, et pour enraciner le phénomène, le système aidant, nos guérisseurs cultivés, instruits, issus de familles aisées se sont offert le luxe d’avoir l’un, sinon le premier Ordre régissant un métier au Maroc.  Le fameux Ordre des médecins a fait en sorte de pérenniser la situation jusqu’à nos jours et le lobby des médecins a consacré l’idée de sa suprématie, faisant d’une  réalité le fait que la médecine était de l’apanage des grandes familles.
Actuellement la donne a changé, notamment au niveau des mentalités. Les jeunes lauréats des Instituts de formation aux carrières de santé (IFCS) font partie d’une génération portée par la mondialisation. Il faut dire que l’éveil constaté sur tous les plans de la vie tient aussi aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), et en premier lieu à Internet avec ses réseaux sociaux, sorte de phénomène qui instruit les esprits quant à la perception des choses, globalise les réflexions et enfin uniformise les modes de réaction et de revendication. Aujourd’hui, les jeunes infirmiers partagent les mêmes soucis que leurs collègues jeunes médecins et autres jeunes universitaires grâce essentiellement à la globalisation portée par Internet, et de là forment une union que l’Etat, les institutions comme l’Ordre des médecins, ont longtemps échoué à instaurer, peut-être même ont œuvré à ce qu’il ne se réalise pas.
Les jeunes infirmiers ont fait entendre leurs voix par des grèves, des sit-in et des nuits passées à la belle étoile  devant le grand portail du bâtiment ancestral du ministère de la Santé, chose que des générations de militants syndicalistes ont eu peur de faire consacrant la dictature d’un sous-système pourtant à vocation sociale.
Maintenant la question qui se pose, c’est de connaître la réelle revendication de ces jeunes. Ces jeunes ont tout simplement compris que ce décret ne fera qu’enterrer un métier déjà à six pieds sous terre, puisque la formation des écoles privées n’atteint même pas le minimum des normes et que les IFCS eux-mêmes souffrent du niveau bas de leurs, formation. De plus, il n’y a pas encore un statut pour les infirmiers à même de définir clairement la fonction. Pire encore, et les concitoyens ne le savent malheureusement pas,  c’est que bon nombre de nos responsables et décideurs possèdent des écoles privées qui forment dans ce  genre de spécialités.
En somme, ces  infirmiers doivent être soutenus lors de leurs manifestations par toutes les forces militantes. Et puis, la population doit suivre l’éveil de sa jeunesse et  comprendre que les filles en blouses blanches qui les reçoivent dans les luxueuses cliniques ne sont pas des infirmières confirmées. Parfois elles ont juste effectué un stage de quelques semaines au sein du  Croissant Rouge marocain. Un désastre qui déchire le métier et que Virginia Henderson ne souhaiterait jamais voir ou imaginer.

*Doctorant chercheur à la Faculté de droit Agdal - Rabat


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