Les fragilités du modèle marocain


Par Dalibor Rohac*
Samedi 21 Septembre 2013

Les fragilités du modèle marocain
Dans les pays du Printemps arabe les économies sont aux prises avec les mêmes problèmes : la question politiquement explosive des énormes programmes de subventions, la bureaucratie, la corruption et l’incertitude juridique dans le développement du secteur privé et des investissements étrangers – et assez peu de consensus sur la voie à suivre.
Dans de telles circonstances, trouver des exemples d’émulation est primordial. Regardons le Maroc, que l’ancienne secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton avait qualifié de « leader et modèle » du fait de la manière dont S.M le Roi Mohammed VI avait géré la transition politique. Pour Mohamed Tamaldou, président du Réseau des Libéraux Arabes, « le Maroc a été l’un des premiers pays arabes où l’opposition a accédé au pouvoir par des procédures politiques normales ». On espère que le Royaume sera le premier pays arabe à effectuer une transition vers une monarchie constitutionnelle de style européen, dans laquelle le roi ne jouerait qu’un rôle très limité, tout en offrant un sentiment de continuité politique dans une région en proie à l’instabilité.
Plus que d’autres exemples (relativement) positifs comme la Tunisie, le Maroc s’est distingué en étant « traditionnellement orienté vers l’occident et avec une longue expérience d’économie de marché, quoique souvent de connivence », explique Nouh El Harmouzi, maître de conférences en économie à l’Université Ibn Tofail et premier militant « pro-marché » au Maroc.
Dans les années 1990, lorsque S.M Mohammed VI a accédé au Trône, le pays a connu diverses réformes politiques et économiques. De nombreux prisonniers politiques ont été libérés, les entreprises publiques ont été privatisées, et l’économie s’est ouverte au commerce international et à l’investissement étranger. En 2012, l’Economist Intelligence Unit classait le Maroc 66ème dans le monde, devant la Jordanie et la Russie, dans son indicateur « where-to-be-born » (où naître) qui agrège des mesures liées à la satisfaction de la vie dans le monde. Un classement de 2013 par le Forum économique mondial, évaluant la compétitivité des économies à travers le monde, classait le Maroc comme premier en Afrique du Nord, et en meilleure position que la Slovaquie, le Monténégro et la Roumanie.
L’économie du pays n’a cessé de croître même au lendemain du Printemps arabe, avec un taux de croissance de 4,9 % en 2011 et 2,9 % en 2012. Le taux de pauvreté dans le pays est assez faible et en baisse - de l’ordre de 16 % en 1999 à moins de 9 % en 2009.
Pourtant, après un examen plus minutieux, un optimisme excessif serait injustifié. Dans le même discours dans lequel elle saluait la gouvernance du Maroc, Mme Clinton  mettait en garde contre les dangers de son taux de chômage élevé chez les jeunes. Et l’éducation aggrave le problème.
Ceux ayant le plus haut niveau d’éducation font face à un taux de chômage de 19,4 %, comparativement à seulement 4 % pour les personnes sans diplômes - d’où le grand nombre de «diplômés chômeurs». En raison des faibles taux de participation au marché du travail, en particulier chez les femmes, les chiffres officiels du chômage sous-estiment le nombre de personnes sans travail. Comme ailleurs, les mauvaises institutions et les mauvaises politiques publiques sont à blâmer. Le pays a connu 80 immolations depuis février 2011 - des actes de protestation commis par des chômeurs harcelés par les autorités locales.
Tout comme en Egypte, en Tunisie etc., le problème budgétaire est principalement alimenté par les subventions aux biens de consommation (carburants et produits alimentaires) qui représentent 15 % des dépenses publiques totales. Elles ont presque doublé en termes absolus depuis 2010, le gouvernement tentant de contenir les troubles sociaux par des dépenses plus généreuses en subventions et salaires du secteur public. Le parti au pouvoir, le Parti de la Justice et du Développement (PJD), suivant les conseils du FMI, a proposé une réforme qui réduirait les subventions tout en atténuant le choc pour les 2 millions de ménages les plus pauvres avec des transferts ciblés.
La réforme n’éliminera pas complètement les subventions. Elle les limitera en stabilisant les prix à la consommation dans une certaine fourchette, en permettant des augmentations ou diminutions de prix chaque fois que les prix internationaux sortent des limites fixées. La réforme, qui est en vigueur actuellement, serait moins radicale que les propositions faites par des économistes et des organisations comme le FMI d’éliminer des subventions, tout en introduisant des transferts directs aux ménages pauvres. Mais en permettant 20 % d’économies sur la facture des subventions en 2013, cette réforme sera certainement préférable au statu quo.
Mais depuis la fin mai, même cette modeste réforme qui n’était alors qu’un projet a été mise en danger après que le parti de  l’Istiqlal, a annoncé qu’il ne soutiendrait pas l’effort et que ses ministres quitteraient le cabinet en signe de protestation. Un porte-parole de l’Istiqlal, Adil Benhamza a profité de l’occasion pour annoncer que le « PJD veut augmenter les prix et frapper les plus pauvres, alors que nous préférons ramasser quelques milliards qui se trouvent entre les mains des spéculateurs en contrôlant les importations ».
Quelle que soit la véritable compassion dans le discours, on aurait du mal à trouver un système de subvention qui ne mène pas à des fuites vers le marché noir et à des gaspillages. « Une interprétation possible de la résistance de l’Istiqlal à la réforme des subventions est que les paiements compensatoires rendraient celle-ci populaire, augmentant encore l’avantage électoral PJD » selon M. El Harmouzi.
En tout état de cause, les choses ont pris une autre tournure quand, après un appel téléphonique du Souverain, les ministres istiqlaliens ont décidé de rester au gouvernement jusqu’à ce que celui-ci revienne de Paris. Le 9 juillet 2013, quelques semaines après le retour du monarque, et après que le gouvernement ait procédé à l’initiative de la réforme, les ministres istiqlaliens ont annoncé qu’ils allaient remettre leur démission. Depuis lors, le Premier ministre a trouvé un nouveau partenaire politique, le RNI, avec lequel il est encore en négociation.
En attendant, l’indice de liberté économique dans le monde de l’Institut Fraser, a critiqué le Maroc est pour le fardeau des formalités administratives, les contrôles de capitaux, et ses réglementations de l’embauche et du licenciement. Le Maroc est aussi mal placé dans plusieurs domaines de l’indice Doing Business de la Banque mondiale. Ce n’est pas vraiment une façon d’attirer des investisseurs ou de stimuler l’entreprenariat national.
Le pays est parmi les plus mal classés en matière d’enregistrement de la propriété - en partie à cause de son système fiscal sinueux. Une cession de propriété dans le pays requiert 75 jours et coûte 5,9 pour cent de la valeur de la propriété. Cette année, les frais d’enregistrement de l’immobilier ont augmenté, rendant l’enregistrement des biens au Maroc plus difficile qu’en Inde, en Angola, et même en République centrafricaine.
Il devrait être encourageant de constater que les réformes nécessaires pour faire du Maroc un bon endroit pour faire des affaires sont relativement indolores à mettre en œuvre. Le pays a toujours accueilli des investisseurs étrangers et dispose de plusieurs zones de libre-échange - notamment à Tanger, qui est aussi un centre bancaire offshore. Pour aider les investisseurs étrangers à ne pas se perdre à travers la bureaucratie opaque du pays, le gouvernement a mis en place des Centres régionaux d’investissement, qui servent de guichet unique pour les investisseurs étrangers.
Mais avec un endettement public croissant (actuellement autour de 71 % du PIB), un important déficit budgétaire (8,2 % du PIB), un chômage des jeunes élevé (17,9 %), 30 pour cent de Marocains analphabètes, et une très faible participation économique des femmes, le Maroc a une long chemin à parcourir pour devenir un modèle de réussite économique.
Le gouvernement a donc beaucoup à faire pour améliorer davantage l’environnement des affaires, avec le potentiel de transformer l’économie marocaine en la première destination de la région pour les investisseurs étrangers. Les effets économiques de la libéralisation des flux de capitaux, une réforme du système financier et d’autres « réformes structurelles » seraient considérables. Selon les estimations du FMI, ces réformes pourraient facilement ajouter jusqu’à 2,5 points de pourcentage aux taux de croissance annuels de l’économie.
Cela serait bénéfique non seulement aux Marocains mais aussi servir de modèle ailleurs dans la région aux réformateurs qui souffrent de l’incapacité à faire passer des réformes de libéralisation afin de ne pas perdre le soutien de leurs électeurs. La bataille pour des institutions économiques et politiques saines dans le monde arabe ne peut être gagnée que par la force des idées. Une success story dans la région montrerait la voie.
M. El Harmouzi reste optimiste: « Je pense que le pays peut potentiellement servir de modèle. Il y a une certaine volonté politique de faire les réformes nécessaires. Et bien que nous devions accélérer, nous allons dans la bonne direction ».

*Analyste au Cato Institute
Publié en collaboration avec www.libreafrique.org


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