Les droits de l’Homme au Maroc ne seraient pas du goût des experts onusiens

Vie privé, conditions de détention, garde à vue …entre autres manquements énumérés


Hassan Bentaleb
Mercredi 16 Novembre 2016

Terrorisme, torture et mauvais traitements, conditions carcérales, droit à la vie privée semblent être les principales observations et préoccupations du Comité des droits de l’Homme relevées par le sixième rapport périodique du Maroc présenté les 24 et 25 octobre dernier avec sept ans de retard.     
Composé d’experts indépendants qui surveillent la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par les Etats parties, le Comité onusien a exprimé son souci concernant le caractère dit «large et peu précis des actes constitutifs de terrorisme contenus dans le Code pénal et l’introduction, en 2015, de nouvelles infractions péchant par imprécision». Une confusion qui a un effet dissuasif sur l’exercice d’autres droits du Pacte, y compris la liberté d’expression.
Le Comité s’inquiète également de la période excessivement longue de garde à vue pour les infractions liées au terrorisme, à savoir 12 jours avec possibilité de consulter un avocat après six jours seulement (art. 9, 14, 19).  Le même constat a été observé aussi au niveau des affaires pénales où les durées de garde à vue sont excessivement longues et l’accès à un avocat n’est autorisé qu’en cas de prolongation de la durée de garde à vue et pour une durée maximale de trente minutes (art. 9 et 14).
La torture et les mauvais traitements font aussi partie des observations du Comité qui n’évoque pas des cas précis mais parle plutôt de la «persistance d’allégations de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants perpétrés par des agents de l’Etat sur des personnes soupçonnées de terrorisme, de menace à la sûreté de l’Etat ou à l’intégrité territoriale». A ce propos, le Comité a noté que les aveux obtenus sous la contrainte seraient, dans la pratique, utilisés parfois comme preuve devant les tribunaux alors même que la loi l’interdit et que les juges et procureurs n’ordonneraient pas toujours des examens médicaux ou des enquêtes en cas d’allégations de torture ou d’aveux forcés. Pis, il indique que les personnes qui dénoncent des tortures feraient parfois l’objet d’intimidations, de menaces et de poursuites judiciaires et que le nombre de poursuites engagées et de condamnations prononcées semble limité au vu du nombre de plaintes déposées et de l’ampleur de la pratique de la torture et des mauvais traitements par le passé (art. 2, 7 et 14).
Les conditions carcérales suscitent également les inquiétudes du Comité onusien. Notamment  la surpopulation et les conditions de détention inadéquates sans parler du fait que près de la moitié des personnes incarcérées sont des prévenus (art. 9 et 10). Dans ce sens, le Comité n’a pas hésité à exprimer son inquiétude à propos de l’emprisonnement pour non-exécution d’une obligation contractuelle en remettant en cause la circulaire du ministre de la Justice et des Libertés du 1er octobre 2015 prévoyant la contrainte par corps envers les débiteurs qui n’honoreraient pas leurs dettes contractuelles et qui n’auraient pas fourni un certificat d’indigence ou une attestation de non soumission à l’impôt (art. 11).  
Le Comité demeure préoccupé, par ailleurs,  par des cas indiquant des irrégularités lors de procédures judiciaires, tels que l’utilisation d’aveux obtenus sous la contrainte, le refus d’entendre des témoignages ou de prendre en compte des éléments de preuve et des cas de menace, l’intimidation ou l’interférence dans le travail des avocats et des juges, et l’imposition de mesures disciplinaires arbitraires ou disproportionnées.
La vie privée des Marocains n’a pas échappé, non plus, aux remarques dudit Comité qui s’est dit préoccupé par les informations faisant état d’atteintes illégales au droit à la vie privée lors d’activités de surveillance menées par les forces de l’ordre et les services de renseignement à l’encontre en particulier de journalistes, de défenseurs des droits de l’Homme et de personnes perçues comme opposées au gouvernement. Le Comité est, par ailleurs, préoccupé par le manque de clarté quant aux dispositions légales en vigueur qui autorisent et régulent les activités de surveillance et au manque de contrôle de ces activités par une autorité indépendante.  
La même inquiétude a été également exprimée concernant la liberté du culte. Le Comité a indiqué avoir été alarmé par les informations faisant état de restrictions, en pratique, à l’égard d’autres religions que celle reconnue officiellement. Il est également préoccupé par les dispositions du Code pénal qui criminalisent des actions contraires à la religion musulmane et par l’introduction de nouvelles infractions  dans le projet de Code pénal qui étendent encore les limites imposées à la liberté de religion ou de conviction. (art. 18, 19).
De même concernant la criminalisation de l’homosexualité sanctionnée d'une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans et les arrestations opérées sur cette base.
Il s’est également dit préoccupé par des allégations d’incitation à la haine, de discrimination et de violence à l’encontre de personnes en raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre (arts. 2, 9, et 26).

Quid du Comité onusien des droits de l’Homme ?

Qu'est-ce que le Comité des droits de l’Homme ? Il s’agit, en fait, d’un organe onusien établi en vertu de l’article 28 du Pacte international  relatif aux droits civils et politiques. Il est composé de 18 membres. Lesquels doivent être ressortissants des Etats parties audit Pacte. Ses membres, comme ceux d’autres organes conventionnels, sont souvent appelés « experts ». Ils siègent à titre individuel, et non en tant que représentants de leurs pays, ce qui est de nature à garantir le caractère politiquement impartial de leurs travaux.  
Le Comité des droits de l’Homme  tient, en principe, trois sessions plénières par an, d’une durée de trois semaines chacune. Elles se déroulent normalement au siège de l’ONU à New York en mars et à l’Office des Nations unies à Genève en juillet et en octobre. Cet organe peut aussi se réunir ailleurs.
Il a pour tâche de surveiller et de contrôler l’application des obligations incombant aux Etats parties en vertu du Pacte. En matière de suivi et de contrôle, il s’acquitte de quatre grandes fonctions.
Primo, il reçoit et examine les rapports des Etats parties sur les mesures qu’ils ont prises pour donner effet aux droits énoncés dans le Pacte.
Deuxio, il émet des observations dites générales où sont analysées dans le détail les obligations de fond et de procédure qui incombent aux Etats parties, pour les aider à donner effet aux dispositions du Pacte.
Tertio, il reçoit et examine des plaintes, également appelées «communications», émanant de particuliers qui affirment être victimes d’une violation par un Etat partie des droits qui leur sont reconnus dans le Pacte.
Quarto, le Comité a compétence pour examiner certaines plaintes émanant d’un Etat partie qui prétend qu’un autre Etat partie ne s’acquitte pas des obligations qu’il a contractées en vertu dudit Pacte. Tous les Etats qui l’ont ratifié ou qui y ont adhéré s’engagent à présenter au Comité des rapports sur les mesures qu’ils ont adoptées pour donner effet aux droits y reconnus et sur les progrès réalisés dans la jouissance de ces droits.
Le rapport initial de l’Etat partie doit être présenté dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur du Pacte pour l’Etat partie concerné. Les rapports suivants, appelés «Rapports périodiques», doivent être présentés à une date fixée par le Comité pour chaque Etat partie.
La présentation du sixième rapport périodique du Maroc avec sept ans de retard altère-t-elle sa qualité? « Le retard enregistré par le Maroc dans la présentation de ce rapport n’affecte en rien sa qualité et sa valeur. Les données et les informations rapportées par ce document sont les mêmes et il n’y a pas eu de grands changements au niveau de la situation des droits de l’Homme dans notre  pays », nous a expliqué Mustapha El Manouzi, ex-président du Forum de la vérité et de l'équité (FVE) qui estime, cependant, que la présentation du rapport marocain est passée inaperçue vu l’actualité internationale dominée par l’élection de Trump à la présidence des Etats-Unis et l’organisation de la  COP22 au Maroc. « Tous les regards sont braqués sur le nouveau président américain et sur sa nouvelle politique ainsi que sur le sort des travaux de la COP22. Le dossier des droits de l’Homme  ne fait pas la priorité et ne fait pas, non plus, partie de l’agenda mondial des défenseurs des droits de l’Homme ».
Qu’en est-il des observations du Comité des droits de l’Homme? Sont-elles contraignantes pour le Maroc?  «Elle ne le sont pas. Il s’agit d’observations que les responsables marocains doivent prendre en compte et y répondre dans un prochain rapport. En d’autres termes, il s’agit d’observations politiques et non juridiques ou astreignantes », nous a précisé Mustapha El Manouzi. Un constat que partage  Kiliya Dominique Kamwanga, chercheur, qui tient à préciser que le Comité des droits de l'Homme, tel qu'il existe aujourd'hui, n'est pas une juridiction, c'est-à-dire un tribunal ou une Cour constitués de juges dont la mission est d'assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application des conventions ou des traités internationaux relatifs aux droits de l'Homme. D’après lui, le Pacte n'a pas défini sa nature et il ne s'agit pas, sans nul doute, d'un organe juridictionnel tel que les Cours européenne ou interaméricaine des droits de l'Homme.
 Le Comité des droits de l'Homme, comme tous les autres organes conventionnels de contrôle, n'a pas reçu mandat pour juger des Etats. En effet, même ses membres estimaient, de l'avis du Pr. Alfred De Zayas, que «cet organe de traité n'était qu'un organe consultatif, sans aucun pouvoir judiciaire et que l'application de ses constatations était laissée à la bonne volonté des Etats concernés ».
Et qu’en est-il de la situation actuelle des droits de l’Homme au Maroc ? « Il faut savoir qu’il y a deux niveaux de traitement du dossier des droits de l’Homme par le Royaume », nous a indiqué Mustapha El Manouzi. Et de conclure: « Il y a celui relatif à l’Etat et qui considère que le Maroc a fourni beaucoup d’efforts dans ce domaine et qu’il a coupé court avec des pratiques qui vont à l’encontre des droits et de la dignité humaine comme la disparation forcée, la torture, les mauvais traitements, etc. Il y a le deuxième niveau qui estime qu’il y a encore des cas de violation des droits de l’Homme, mais qui restent limités et isolés et dont la responsabilité incombe à l’Exécutif.   Donc, ce genre de rapport et d’observations est destiné  à pousser  le gouvernement à faire des efforts et d’assumer ses responsabilités dans ce domaine ».
H.B


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