Les cercles-débats sont-ils encore mobilisateurs ? : l'université et l'action politique


Mountassir Sakhi
Mercredi 15 Septembre 2010

 "La stratégie makhzénienne visant la destruction de l'enseignement a aujourd'hui, pour objectif de vider les revendications estudiantines justes de leur contenu noble ! Il s'agit d'une stratégie fondée sur une approche des classes sociales. Elle veut privatiser l'école et l'université comme elle vise à éradiquer l'unique organisation syndicale populaire, progressiste et démocratique des étudiants : l'Union nationale des étudiants du Maroc. Je vous incite toutes et tous à faire face aux forces rétrogrades qui menacent notre université !… ". C'est en ces termes qu'un étudiant " progressiste " a ouvert un " Cercle de débat " (Halakia) à la Faculté des lettres et sciences humaines de l'Université Mohammed V-Rabat. Il était entouré d'une dizaine d'étudiants seulement. Sa voix était tenace, ses mots puisaient leur force d'un jargon guerrier et il bougeait son corps avec vivacité sans pouvoir cacher sa nervosité.
A la question sur l'efficacité probable de ce moyen de mobilisation " Halakia ", il a souri, avant de déclarer: " Certes, nous ne sommes qu'un nombre restreint d'étudiants. Or, je suis convaincu, avec mes camarades, de la nécessité de militer au sein de notre organisation jusqu'à la concrétisation de nos objectifs ".
Historique  des mouvements estudiantins
Alors qu'il était encore Prince héritier, Feu Hassan II n'aurait jamais cru que l'Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM) qu'il présidait symboliquement lors du congrès fondateur en 1957, allait devenir, en moins de quatre ans, un syndicat estudiantin révolutionnaire. A sa création, ce syndicat n'était qu'une simple association vivant des aides de l'Etat afin de dynamiser, par des activités culturelles, artistiques et sportives, le champ universitaire. Cependant, lors du 2ème congrès  à Fès en 1957, c'est le grand leader et militant ittihadi, Mehdi Ben Barka, qui présidera la séance de clôture. Le 3ème congrès tenu à Tétouan en juillet 1958 confirmera l'identité révolutionnaire de l'UNEM. Le 4ème congrès (Agadir 1958) annoncera le rapprochement entre l'Union nationale des forces populaires et l'UNEM. Cette dernière luttera, jusqu'à sa dissolution, pour la démocratie et les droits de l'Homme et tentera par différents moyens d'attiser les luttes sociales, notamment dans les grandes villes du Maroc. Les liens avec l'UNFP ont permis au parti des forces populaires d'avoir une force de mobilisation dans les facultés marocaines, et du coup au milieu de la jeunesse destinée à être l'élite du Maroc indépendant. En 1963, l'Etat a cessé  de financer de l'UNEM.
En 1965, le Maroc a connu l'un des soulèvements les plus sanglants de son histoire moderne. L'UNEM était l'un des acteurs majeurs des événements du 23 mars 1965 qui ont, selon un communiqué du bureau exécutif de l'UNEM, entraîné plus de 1.000 morts, et ont conduit à la déclaration de l'état de siège en juin de la même année. A cette date, l'UNEM se distinguait par sa ligne militante de gauche. Elle a contribué à la formation d'une génération de politiciens chevronnés. Mais, au début des années 1970, des difficultés organisationnelles entraveront le chemin militant de l'UNEM, après que l'UNFP a changé sa stratégie révolutionnaire et opté pour la social-démocratie. C'est à cette époque que le Front unifié des étudiants progressistes se constituera en courant au sein de l'UNEM. Ses sympathisants étaient des partisans d' " Ila Al Amam ", " Œuvrons pour le peuple " et " 23 Mars ", toutes des organisations secrètes de la gauche radicale. Ce même front sera majoritaire dans les instances exécutives lors du 15ème congrès de 1972 devant les autres courants liés à l'UNFP et au Parti de libération et du socialisme (PLS). Ainsi, des conflits internes se nourrissaient de la situation politique au Maroc: les partis de gauche suivaient de près les mutations et changements au sein du syndicat estudiantin. En 1973, l'UNEM fut interdit, ses dirigeants emprisonnés et d'autres exilés. Dans ce cadre, signalons la détention secrète et sans jugement du groupe Bnou Hachem (5 personnes) ayant été incarcéré pendant 9 ans au centre de détention Agdez. La dissolution de l'UNEM qui a duré jusqu'au 1978 n'a pas mis fin au militantisme estudiantin. Bien au contraire, les étudiants ont pu recourir à de nouvelles méthodes pour échapper à la censure de leur syndicat. Ainsi, des alternatives telles " les Commissions des classes " et "Conseils des résidents aux cités universitaires ", entités secrètes ont été créées pour assurer la continuité de la dynamique estudiantine.
Etat des lieux actuel
Après cette période, les choses ont changé, le contexte, les idéologies et orientations politiques aussi. La gauche vit sa crise, non seulement au Maroc, mais dans le monde entier suite à la chute du Mur de Berlin et de tout le bloc de l'Est qui soutenait les mouvements de gauche pour maintenir l'équilibre de la guerre froide. A l'Université marocaine, les changements ne se sont pas arrêtés à ce niveau. De nouvelles idéologies ont vu le jour. Il s'agissait principalement de la vague islamiste qui a envahi les facultés marocaines comme une grande partie de la société dès le début des années 1990. Influencés par la révolution iranienne, les mouvements islamistes ont connu une véritable évolution et sont devenus une force mobilisatrice de la société. Face à la régression de la pensée de gauche, les universités n'ont pas résisté à la montée du mouvement islamiste intégriste. Ainsi, l'UNEM a été investie par les étudiants d'obédience Justice et Bienfaisance (Al A'dl wal Ihsan) qui a fait son entrée à l'Université marocaine. Cette organisation est entrée en conflit avec des étudiants de gauche. La confrontation s'est transformée en  événements tragiques. A Oujda, un étudiant a été tué et 9 Unémistes d'Al Adl wal Ihssan furent incarcérés et ne se sont libérés que l'an dernier.
Aujourd'hui, l'université marocaine connaît de nouvelles réalités. Le militantisme du mouvement estudiantin est en pleine régression. Crise, violence, recul du politique et du syndical, détentions arbitraires, telle est selon plusieurs observateurs, la situation de la scène universitaire aujourd'hui.



Ils ont dit

Sami El Moudni, ex-président de l'Association des étudiants journalistes de l'ISIC
" La situation actuelle du secteur estudiantin n'est pas rassurante. Les facultés se sont transformées en espace de violence ouvert. L'UNEM s'est départie de son rôle avant-gardiste, à savoir l'encadrement des étudiants. Par ailleurs, cette organisation historique n'a pas su développer ses outils de travail et son discours est resté figé et sans âme. Ce sont des raisons parmi d'autres qui freinent la formation des futurs cadres politiques. Ainsi, je ne peux être que pessimiste face à la situation actuelle ".

Ahmed Medyani, président du secteur estudiantin de la jeunesse du PADS
" Aujourd'hui, il y a plusieurs incarcérations d'étudiants. Il faut citer les groupes de Fès, Meknès, Taghjijat et Marrakech. Cela montre que l'action des étudiants continue toujours à inquiéter le pouvoir. Pour moi, les revendications actuelles des étudiants sont légitimes, surtout quand il s'agit des droits basiques tels le droit au logement universitaire, la généralisation de la bourse et la réforme de l'éducation nationale. Pourtant, les politiques sécuritaires tendent à contrôler davantage l'Université.
S'agissant de la violence entre les différents courants estudiantins, je pense que ce phénomène résulte de l'absence d'un débat intellectuel réfléchi et réel. Cette violence ne fait que ternir l'image de l'étudiant censé représenter l'élite de la société et la dynamo du changement.



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