-
Présidence marocaine du CPS pour le mois de mars : Le Royaume plaide pour le renforcement du rôle du Groupe des sages
-
Le Réseau africain des INDH entérine la candidature d’Amina Bouayach à la présidence de la GANRHI
-
Houcine Youabed : Les précipitations ont concerné l'ensemble du Royaume mettant fin à une moitié d'hiver de déficit pluviométrique
-
Latifa Cherif préside la délégation parlementaire participant à la 69ème session de la Commission de la condition de la femme de l’ONU

Aujourd’hui, 21 pensionnaires – dont 9 femmes- vivent au sein de l’établissement et pour beaucoup c’est le deuxième Ramadan qu’ils y passent. « Les choses ont bien changé ici », confie cet homme qui a bien du mal à sourire. La nourriture se fait rare, les mécènes aussi. « Depuis le début du mois sacré, nous avons eu droit à deux harira seulement pour rompre le jeûne. Depuis une dizaine de jours, le menu est invariable : soupe de « balboula » et riz au dîner ». Pourtant des bienfaiteurs livrent bien des légumes et tous les ingrédients pour préparer une harira. « Nous voyons les corbeilles passer. Cela n’arrive que rarement à nos tables », soupire cette autre pensionnaire. Quand ils arrivent à économiser quelques dirhams, donnés gracieusement et directement par un bienfaiteur, ils sortent jusqu’à l’épicerie du coin pour acheter un yaourt frais et un fruit pour « le s’hour ».
Une centaine de yaourts et un lot d’espadrilles qui ne sont jamais arrivés à leurs destinataires
Dans la cuisine ultra-équipée de la maison des personnes âgées, c’est un spectacle de désolation qui est donné à voir autant qu’une hygiène déplorable. Les assiettes contenant le riz de la veille traînent toujours, 24 heures après leur consommation. Un sac de «Chebbakia», ces gâteaux de miel incontournables sur une table ramadanesque, est posé à même le sol, visiblement depuis plusieurs jours déjà. Dans un carton qui a connu des jours meilleurs, du pain sec. Tout-à-l’heure, il sera servi aux pensionnaires de l’établissement, c'est-à-dire 21 personnes âgées qui observent le jeûne, dès l’aube et jusqu’au coucher du soleil, dans de très difficiles conditions. A l’extérieur de la cuisine, dans un couloir, un frigidaire attire notre attention. A l’intérieur, plus d’une centaine de yaourts, variés, y sont stockés. C’est un bienfaiteur qui les a offerts à la vingtaine des personnes âgées qui vivent dans cette structure, au lieu de la rue. « Nous n’y avons jamais goûté. Un soir nous avons eu droit à des yaourts périmés. Nous n’avions pas le choix, nous avions faim, nous les avons mangés… », témoigne un vieil homme. Pourquoi ces yaourts ne sont pas arrivés à leurs destinataires ? Pourquoi restent-ils dans le frigidaire ? La réponse est simple ; en même temps révoltante. Tous les jours, la vingtaine de yaourts prévus pour les pensionnaires, disparaîtraient du frigo. Et ce ne sont pas les pensionnaires qui en profiteraient. Ici, il se chuchote que le quota est partagé entre les employés. Il y a peu, un mécène a apporté un lot d’espadrilles pour les hommes de la structure. Une fois encore, les chaussures de sports ne sont jamais arrivées à bon port. Dépassé l’accueil, les dons vont souvent ailleurs. «Il arrive que les bienfaiteurs vérifient, nous demandent si nous avons reçu leurs dons. Les plus courageux disent la vérité, qu’on ne nous a rien donné. Souvent on ne dit rien, on préfère se taire pour ne pas nous retrouver à Aïn Atig», lâche dans un souffle cet homme sans âge et dont le rire ne résonne plus depuis longtemps. Avant, il soutenait le moral des troupes, toujours le mot pour rire. « Il ne peut pas m’arriver pire, autant rire», avait-il coutume de dire. Aujourd’hui, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Le pire est arrivé…
La menace de Aïn Atig pèse de tout son poids
Ici, au cœur de la capitale, à quelques encablures des ministères et des officiels, le silence a imposé sa loi dans cet établissement. «Never explain, never complain » pour les Windsor de Grande-Bretagne. Sauf que pour ces femmes et ces hommes, vieux, abandonnés, livrés à eux-mêmes et à la rue, se plaindre équivaudrait à des représailles. Et les représailles prennent la forme d’un billet sans retour pour Aïn Atig, une structure-prison à quelques kilomètres de Rabat où se mêlent mendiants, vagabonds, petite délinquance et autres aliénés. La vie y est particulièrement pénible, encore plus inhumaine. Les bienfaiteurs se font rares alors que les dirigeants de la maison des personnes âgées se plaignent d’un problème de budget. «On ne peut pas apporter de la nourriture, des vêtements qui n’arrivent jamais à ces petits vieux qui n’ont personne. Je leur ai organisé dernièrement un f’tour et un dîner. J’ai été révoltée par la maltraitance dont ont fait l’objet ces personnes âgées. J’ai assisté à une scène terrible au cours de laquelle une soi-disant assistante médicale de nuit faisait preuve de violence verbale après avoir arraché avec une force inouïe un croissant des mains d’une vieille dame », témoigne cette bienfaitrice.
A Rabat, à Hay Nahda, à un jet de pierres de la mairie, la maison des personnes âgées n’est plus cet espace de vie et de réconfort pour ces hommes et ces femmes qui ont tout perdu, sauf leur dignité. Il ne suffit pas ici de procéder à des audits annuels ou à des inspections convenues dont la date est connue à l’avance. Parce qu’il s’agit de personnes sans défense, des personnes âgées qui se terrent dans le silence pour pouvoir survivre, le contrôle doit s’opérer à l’impromptu.
Il fait nuit noire. Une légère brise souffle sur Rabat. Les femmes sont allées dormir. Les hommes prennent un peu l’air. Un fugace moment de bonheur. Dans le jardin, un puits vient d’être creusé. L’eau courante va être coupée et l’établissement sera alimenté par l’eau du puits. Cette eau sera-t-elle traitée de manière stricte pour être propre à la consommation et ne pas provoquer de maladies hydriques ou de la peau ? C’est toute la question pleine de détresse que se posent aujourd’hui les pensionnaires de la maison des personnes âgées de Rabat.