Le tabac tue 5 millions de personnes par an


Pauline Delpech. Ecrivain
Jeudi 5 Septembre 2013

Le tabac tue 5 millions de personnes par an
Oui, 5 millions. Il y a quelque chose d'effrayant dans ce chiffre, mais quelque chose d'abstrait aussi, presque irréel.
 Nos sociétés modernes peuvent s'émouvoir, de façon très légitime entendons-nous bien, pour quelques morts, et adopter des réglementations extrêmement contraignantes et coûteuses pour les éviter, que ce soit par exemple sur les routes, dans les piscines, dans les ascenseurs... On peut investir des sommes considérables dans la recherche sur des maladies rares. On peut mener un combat sans merci contre les réseaux de trafic de drogue...
 Mais sur la lutte contre ce fléau qu'est le tabagisme, peu de choses nouvelles en réalité.
Le tabac est vendu partout, les fabricants de tabac ont pignon sur rue. Ils sont cotés en Bourse. Leurs dirigeants, parce qu'ils sont puissants et riches, sont reçus par les gouvernements, comme ça a été le cas il y a quelques jours en Grèce, qui s'interrogent alors sur les recettes fiscales qu'ils vont récupérer de la vente du tabac. 
Pourtant, le tabac tue 5 millions de personnes par an.
Barack Obama, Vladimir Poutine, David Cameron, François Hollande ou Xi Jinping représentant les cinq membres du Conseil de Sécurité de l'ONU mènent actuellement de longues, difficiles et nécessaires négociations pour savoir si on doit intervenir en Syrie pour mettre fin aux dizaines de milliers de morts. Mais a-t-on eu les mêmes échanges au sein de l'ONU sur le tabac, sur les fabricants de tabac ?
Pourtant, le tabac tue 5 millions de personnes par an.
Bien sûr, on ne reste pas totalement inerte face au tabac.
Tous les pays adoptent des législations anti-tabac, la plupart des pays ont adopté la Convention-cadre de lutte contre le tabac initiée par l'Organisation mondiale de la santé... Nous connaissons les combats très forts, mais personnels, de Michael Bloomberg ou de Bill Gates. Nous avons lu il y a quelques jours dans le Huffington Post le témoignage de Kirk Douglas sur les liens entre l'industrie cinématographique et le tabac. Nous avons tous en tête les images du "procès des sept nains", affirmant toute honte bue que "la nicotine ne rend pas addictive". Ou celle de ce procès à Montréal né d'une class action initiée par 2 millions de fumeurs et ex-fumeurs. Nous avons tous vu les films à charge contre l'industrie du tabac comme "Thank you for smoking" de Jason Reitman, ou "Révélations" de Michael Mann sur le combat du professeur Jeffrey Wigand.
Et pourtant, non seulement le tabac tue toujours 5 millions de personnes, mais en plus, les fabricants de tabac voient leurs profits augmenter chaque année de quelque 10%, et la valeur de leurs actions continuer de s'envoler. Ainsi, le 25 avril 2013, Japan Tobacco a annoncé sa prévision d'une progression de 20,8% de son profit net sur la période du 1er avril 2013 au 31 mars 2014 ! Le même jour, Nicandro Durante, directeur général Monde de British American Tobacco, annonçait une hausse de 1% de son chiffre d'affaires annuel, et promettait "une autre année de croissance de nos résultats". Concrètement, cela signifie: "Prenez toutes vos mesures anti-tabac habituelles, ça na change rien sur nos ventes et nos profits" !
Ce constat a quelque chose de désespérant, et on peut légitimement se demander comment on peut endiguer ce phénomène.
La réponse peut venir de l'Union européenne, et de la France.
 
Initiatives anti-tabac 
en Europe
 
L'Union européenne a lancé, il y a trois ans, la révision de sa Directive tabac, nouvelle législation anti-tabac que ses 28 Etats devraient adopter dans les trois ans à venir. Le Parlement européen doit voter sur ce texte les 9 et 10 septembre prochains. Au menu, entre autres : plainpackaging, display ban, interdiction des cigarettes menthol, slims ou à capsule, mise en place d'une traçabilité totalement indépendante de l'industrie du tabac pour lutter contre la contrebande et la contrefaçon. 
L'industrie du tabac s'inquiète de la perspective de ce vote, ce qui montre que ce texte va dans la bonne direction. Actuellement, 100 lobbyistes du tabac, dotés d'un budget de 5 millions d'euros, s'affairent à Bruxelles pour empêcher le vote de ce texte. Concrètement, cela signifie que chaque lobbyiste du tabac doit convaincre 7 députés européens, et qu'il dispose en moyenne pour chacun de 7000 euros ! Des chiffres à mettre en regard des 700.000 européens qui meurent chaque année à cause du tabac. 
Plusieurs associations anti-tabac envisagent de publier les noms des députés européens qui voteront en faveur des fabricants de tabac, car cela signifierait qu'ils ont pu être convaincus grâce à ce lobbying bien cher... Par ailleurs, certains se voient promettre la création d'emplois. Ainsi Philip Morris International vient de promettre la création d'emplois en Pologne, ou un investissement de 600 millions d'euros en Grèce... C'est gros, cousu de fil blanc, et nous verrons les 9 et 10 septembre si ce lobbying de grand-papa a fonctionné...
 
Initiatives anti-tabac 
en France
 
Mais c'est de France, ce lointain et petit pays vu de Washington ou de New York, que vont venir les plus gros dangers pour l'industrie du tabac. Un groupe de jeunes députés socialistes, élus dans le sillage de François Hollande à la présidence, est en train de préparer un nouveau plan anti-tabac très original. Partant du constat que 40 années de législation et de réglementation anti-tabac, de fortes hausses de la fiscalité n'avaient pas donné de résultats satisfaisants, ils ont décidé de changer de "logiciel" et de bâtir une nouvelle réglementation qui ne s'attaquera plus ni aux fumeurs, ni aux buralistes, mais seulement aux fabricants de tabac.
Ils partent d'un postulat nouveau : les fabricants de tabac ne sont en fait pas des groupes marketing ou commerciaux, mais des groupes financiers, dont l'objectif est d'obtenir des hausses régulières mais modérées des prix, pour une hausse annuelle de 10% du profit. Cette promesse, tenue, permet une hausse constante de la valeur de l'action. Et cette richesse permet de financer le recherche pour lancer de nouveaux produits correspondant à l'évolution de la demande, notamment des plus jeunes fumeurs potentiels.
Pour briser ce que les fabricants de tabac considèrent comme un "cercle vertueux", avec toute l'ironie amère que cela entend, les députés PS ont un programme simple, mais dont l'application, jamais faite ailleurs, serait redoutable :
1- Faire de la valeur de l'action des fabricants de tabac un nouvel instrument de l'efficacité des politiques anti-tabac, au même titre que le nombre de fumeurs, le nombre de cigarettes fumées, etc. Si la valeur de l'action augmente, c'est que les mesures anti-tabac ne sont pas efficaces;
2. Empêcher les fabricants de tabac de bénéficier des hausses de prix. Chaque hausse des prix s'accompagnerait d'une hausse des taxes;
3. Empêcher l'optimisation fiscale pour les fabricants de tabac. Aujourd'hui, les quatre principaux fabricants de tabac installés en France déclarent un profit de 50 millions d'euros sur lequel ils paient impôts et taxes. Or, grâce à un astucieux système d'optimisation fiscale, leur profit réel est d'un milliard d'euros sur lequel ils ne paient ni impôts directs ou indirects, ni taxes. Pourtant, le coût social du tabac est estimé par Marisol Touraine, la ministre de la Santé, à 47 milliards d'euros par an ! L'idée est donc de "confisquer" ce milliard d'euros des fabricants et de l'utiliser pour alléger d'autant les impôts des Français;
4- Créer une taxe environnementale sur les mégots de cigarettes, payée par les fabricants de tabac. 5000 milliards de mégots sont jetés dans la nature chaque année. Un mégot pollue 500 litres d'eau, ou 1 m3 de neige. Il est temps que les fabricants paient pour les dégâts environnementaux qu'ils causent;
5- Créer l'instabilité juridique des fabricants de tabac. En France, les prix peuvent être modifiés quatre fois par an. Or, il est pour le moins surprenant que tous les prix augmentent exactement du même montant chaque jour, ce qui nourrit les soupçons d'entente illicite sur les prix. L'argument brandi par les fabricants de tabac de l'application de l'évolution des taxes ne tient absolument pas. Une association anti-tabac, le CNCT, a saisi l'Union européenne de cette situation. Il faut savoir qu'en cas de délit avéré, la sanction financière peut être égale à 10% du chiffre d'affaires! Dans le Huffington Post français daté du 2 juillet dernier, l'auteure de cet article évoquait l'idée que ce soupçon d'une entente illicite sur les prix pourrait être la première class action que le gouvernement français instaure actuellement.
Toutes ces idées n'ont jamais été évoquées jusqu'alors, nulle part dans le monde. L'idée de ce groupe parlementaire est de les faire adopter en France, et que le gouvernement français propose à l'OMS, et à chacun des pays, de les adopter à leur tour.

Pourquoi les fumeurs grossissent quand ils décident d'arrêter   
 
Un fumeur qui décide d’arrêter prend en moyenne 4,7 kilos. Comment expliqur cette prise de poids ? Le plus généralement, on accuse un sursaut d'appétit après la dernière clope pour expliquer ce phénomène. Mais ça c'était avant. Avant cette dernière étude conduite par le Fonds national suisse pour la recherche scientifique, qui désigne un tout autre coupable. Selon les scientifiques, cela ne s'explique pas par une augmentation du nombre de repas et donc une hausse des calories, mais par un changement dans la composition de la flore intestinale, comme le rapporte le site du National Post. 
Même si vous ne changez pas vos habitudes alimentaires, vous pouvez prendre du poids. C'est ce qu'ont constaté ces chercheurs en médecine. Cette expérience a nécessité la participation de 5 personnes qui ne fumaient pas, 5 autres qui avaient l'habitude de fumer et 10 autres volontaires ayant décidé d'arrêter une semaine après le début de l'étude.
C'est dans des échantillons d'excréments des participants (quatre échantillons par volontaire) que les scientifiques ont trouvé les réponses à leurs questions. En effet, tandis que la diversité microbienne intestinale étudiée dans les échantillons des fumeurs et des non-fumeurs a peu évolué, de grands changements ont été observés dans les excréments des personnes qui venaient d'abandonner la cigarette. 
Nous savons que notre intestin est comme un vaste univers peuplé de bactéries. Elles sont la clé du bon fonctionnement de notre digestion. Par exemple, elles entraînent le développement de notre muqueuse intestinale ou synthétisent des vitamines. Voilà pour la parenthèse biologique. 
Retour à nos ex-fumeurs dont l'intestin est le témoin d'un étrange ballet. Les microbes des groupes des protéobactéries et bactéroïdètes se sont développés au détriment des groupes des firmicutes et actinomycètes. Dans le même temps, ces personnes ont gagné un peu plus de 2 kilos alors qu'elles n'avaient pas du tout changé d'alimentation. Ce bouleversement microbien serait dès lors une des clés pour comprendre l'augmentation du poids des anciens fumeurs.
Gerhard Rogler de l'hôpital universitaire de Zurich et contributeur de l'étude pointe les résultats d'une autre enquête. Celle-ci peut en effet nous aider à mieux comprendre les origines du changement de poids.
En clair, dans cette précédente expérience, des scientifiques ont (accrochez-vous) transplanté des excréments de souris obèses dans les intestins de souris ne connaissant pas de problèmes de poids. 
Constat: les microbes des groupes des protéobactéries et bactéroïdètes situées dans la flore intestinale de ces dernières souris ont augmenté. Plus surprenant encore: une hausse de leur poids a aussi été constaté, vérifiant la corrélation entre l'accroissement de ce type de microbes et du poids. Les scientifiques expliquent que la nouvelle flore intestinale utilise l’énergie contenue dans les nutriments de manière plus efficace. 
C'est ainsi que les chercheurs suisses ont fait le parallèle entre les deux études. Pour eux, les résultats analysés dans la première enquête sont similaires aux résultats obtenus dans la seconde. Quand un fumeur renonce à la cigarette, les scientifiques suggèrent l'hypothèse selon laquelle les différentes bactéries changent et apportent à l'organisme plus d'énergie. Ce qui fait gagner du poids à ces nouveaux abstinents.



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1.Posté par Pascal Diethelm le 26/09/2013 11:21
L'auteur de l'article écrit:

"Barack Obama, Vladimir Poutine, David Cameron, François Hollande ou Xi Jinping représentant les cinq membres du Conseil de Sécurité de l'ONU mènent actuellement de longues, difficiles et nécessaires négociations pour savoir si on doit intervenir en Syrie pour mettre fin aux dizaines de milliers de morts. Mais a-t-on eu les mêmes échanges au sein de l'ONU sur le tabac, sur les fabricants de tabac ?"

La réponse à cette question est: OUI. La mobilisation de la communauté internationale contre le tabac et contre son industrie a produit un instrument juridique très important et efficace: il s'appelle la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), un traité international ratifié à ce jour par 177 pays.

L'article 5.3 de cette convention et ses directives prévoient de lutter contre l'ingérence de l'industrie du tabac dans les politiques de santé publique. L'article 6 prône des mesures fiscales et financières pour réduire le tabagisme. L'article 19 prévoit des actions judiciaires contre l'industrie du tabac.

Tous les pays de l'Afrique francophone ont ratifié la CCLAT, à l'exception d'un seul: le Maroc!
(Voir http://www.otaf.info/cclat_ratif )

Petite mise au point: l'estimation de l'OMS du nombre de décès provoqués par le tabac à l'échelle mondiale est de 6 millions, et non pas 5 ... et ce nombre va en augmentant.

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