Le quotidien éprouvant des parents d’enfants autistes

En l’absence de chiffres officiels, difficile d’évaluer leur nombre au Maroc


Mehdi Ouassat
Lundi 1 Avril 2024

Le quotidien éprouvant des parents d’enfants autistes
Les premiers indices ? Leïla s'en souvient comme si c'était hier. Déjà à l’âge de 3 ans, sa fille, Inès, ne pouvait pas rentrer dans les grandes surfaces, elle pleurait énormément, s’angoissait et piquait des crises au moindre contact avec la foule. Elle se bouchait les oreilles et marchait sur la pointe des pieds... «Je voyais des choses qui n'allaient pas, mais ce n'est qu'à la crèche que la situation s’est précisée», se rappelle-t-elle. La première fois qu'elle ait entendu le mot «autisme», elle ne voulait pas y croire. Elle se renseigne, consulte des livres et finit par comprendre ce qui l'attend : une vie faite de combat et de lutte dans une société qui peine à lui assurer ressources et soutien nécessaires.

En effet, malgré des efforts importants déployés depuis une dizaine d’années, le retard du Maroc dans la prise en charge est considérable et tout le monde s’accorde sur l’insuffisance qualitative et quantitative des moyens disponibles. Le manque de centres adaptés à l’autisme, les conditions de scolarisation, le manque de formation des enseignants et auxiliaires de vie scolaire entraînent des prises en charge inadaptées parfois maltraitantes. De plus, le coût de ces prises en charge pèse très lourdement dans le budget des familles et les aides financières allouées pour promouvoir des programmes adaptés ne sont pas suffisantes.  

A l'hôpital Mère-Enfant Abderrahim Harouchi de Casablanca, nous rencontrons Fatima, mère de deux enfants, dont l'aîné, Mohamed Reda, est autiste. Installée dans une salle d'attente déjà comble à 9h du matin, elle raconte les défis quotidiens auxquels elle est confrontée pour accéder aux services de santé et de soutien nécessaires pour son fils. «Les rendez-vous avec les spécialistes sont rares et les listes d'attente interminables», se lamente-t-elle, les yeux empreints d'inquiétude. «Quand on est parent d’un enfant autiste sévère, on se sent abandonné, surtout par le système. Beaucoup se retrouvent isolés, perdent leurs amis, parfois leur famille et ont du mal à garder des liens sociaux», poursuit la jeune maman.
 
Sans statistiques officielles, difficile de mettre en place des politiques adaptées

L'autisme est un handicap qui touche une personne sur 150 dans le monde. Au Maroc, 680.000 personnes, dont 216.000 enfants, seraient atteintes d'autisme à des degrés divers. Mais chaque 2 avril, date de la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, ces chiffres sont contestés et revus à la hausse, en l’absence de statistiques officielles. Une omission qui reflète, dès le départ, l'ampleur du défi auquel sont confrontées ces familles. «Sans données précises, il est difficile de mettre en place des politiques adaptées et des services spécialisés», estime Fatima. 

Abdelwahab se souvient, lui aussi, de l'annonce du diagnostic de son fils Ilyass. «On a l'impression que le ciel nous tombe sur la tête. C'est un tsunami. J'ai senti que ma vie allait être difficile», raconte-t-il. «En même temps, on garde espoir», ajoute-t-il avec un mélange de détermination et de fatigue dans sa voix. «Le chemin que nous parcourons en tant que famille est semé d'embûches, mais c'est aussi un voyage rempli de moments de joie et de fierté. Mon enfant autiste m'enseigne chaque jour la résilience, la patience et l'amour inconditionnel», poursuit le papa d’Ilyass. Et d’ajouter : «Il y a des moments où la fatigue se fait sentir, où les défis semblent insurmontables. Mais c'est dans ces moments-là que notre détermination est la plus forte, que nous puisons dans nos réserves de force et de courage pour continuer à avancer».

A travers le pays, des histoires comme celles de Leïla, Fatima et Abdelwahab se multiplient. Les familles d'enfants autistes sont confrontées à une multitude de défis. De l'accès limité aux diagnostics précoces aux difficultés d'intégration sociale, en passant par les coûts exorbitants des traitements spécialisés. Selon les professionnels de la santé, les frais médicaux s’élèvent à des milliers de dirhams par mois, plaçant souvent un fardeau financier insurmontable sur les épaules des familles déjà précarisées. 
 
Un coût considérable pour l'accompagnement et le soutien

Selon Dr. Abdelmajid Hilmi, psychiatre marocain exerçant à Lille, «un budget mensuel d'au moins 5000 dirhams est nécessaire pour offrir un accompagnement spécialisé à un enfant atteint de troubles autistiques». De plus, le système d'aide financière est discriminatoire, car seuls les parents qui étaient éligibles à l’ancien régime d'assistance médicale (RAMED) peuvent en bénéficier.

De nombreux pays, tels que la France, les Etats-Unis, l’Espagne, le Canada et la Belgique, ont mis en place des méthodes comportementales pour aider les enfants atteints de troubles autistiques. Des programmes de formation sont proposés aux professionnels de l'éducation, aux parents, aux enseignants et aux professionnels médicaux et sociaux pour les aider à prendre en charge les enfants atteints de ce trouble.
 
L’absence d'un dépistage précoce, un défi redoutable

Cependant, au Maroc, il n'y a pas de stratégie de dépistage précoce pour l'autisme. Cette lacune crée des défis importants pour les familles d’enfants touchés par ce trouble neuro-développemental. En l'absence d'un dépistage précoce, de nombreux enfants autistes ne reçoivent pas les interventions et le soutien appropriés dès les premiers signes, retardant ainsi leur accès aux services essentiels. 

Pour Dr. Abdelmajid Hilmi, «les signes peuvent être observés dès les premiers mois de la vie et le diagnostic doit absolument être fait vers l'âge de deux ans». «En tant que l'un des troubles neuro-développemental les plus courants au Maroc, l'autisme est un dossier difficile à gérer émotionnellement avec de nombreux problèmes d'injustice et de malentendus», estime notre interlocuteur. Et de préciser : «Les symptômes varient d'un enfant à l'autre, mais en général, les enfants autistes ont des difficultés à répondre aux sollicitations, à éviter le contact visuel, préfèrent les jeux individuels, peuvent présenter des troubles du sommeil et de l'appétit, et s'attacher aux rituels tout en étant résistants au changement».
 
Des enfants rayonnants et créatifs

Rencontrer Walid, un jeune garçon autiste de 13 ans, c'est découvrir un monde où chaque jour est un nouveau défi, mais aussi une nouvelle source d'inspiration. Entouré de sa famille aimante mais épuisée, Walid fait face à une multitude d'obstacles mais affiche une détermination remarquable qui force l'admiration. A travers ses interactions avec sa famille, on découvre un garçon doté d'une intelligence et d'une créativité extraordinaires.

Malgré les difficultés de communication et les comportements parfois complexes, Walid trouve toujours des moyens astucieux pour exprimer ses besoins et ses émotions. Son parcours met en lumière la force et la résilience des personnes autistes, ainsi que l'importance cruciale du soutien familial dans leur épanouissement. «En tant que parent, je suis constamment ému par la force intérieure de Walid et sa capacité à trouver la joie dans les petites victoires de la vie», raconte son papa. «Bien que le chemin puisse parfois sembler ardu, le voir grandir et évoluer malgré les difficultés est une source de fierté indescriptible pour moi et ma famille», lance-t-il avec un mélange d'émotions dans son regard.

Pour lui, l'opinion publique évolue en faveur des personnes autistes. «Cela me remplit d'espoir pour l'avenir », dit-il. «Autrefois, l'autisme était souvent mal compris et entouré de stigmates. Mais aujourd'hui, grâce à une meilleure sensibilisation et à des initiatives éducatives de certaines associations, nous commençons à reconnaître la valeur et le potentiel des personnes autistes dans notre société. Même s’il reste encore du chemin à parcourir, j'ai vu des progrès significatifs dans la façon dont les gens perçoivent l'autisme, passant de la peur et de l'ignorance à la compassion et à l'inclusion».
 
Sérieuses difficultés pour s’insérer dans le système éducatif

Malgré cette évolution de l'opinion publique, l'école rencontre encore de nombreux obstacles au niveau de  l'inclusion des enfants atteints de troubles autistiques. Le modèle éducatif au Maroc, comme dans de nombreux autres pays, se base sur une scolarisation dans un environnement spécifique. Environ 98 classes d'intégration scolaire sont disponibles dans tout le pays, avec un ratio de six élèves par éducateur.

Toutefois, le manque de ressources financières et de personnel qualifié entrave la scolarisation et l'intégration des enfants atteints de troubles autistiques. Les enfants nécessitent des accompagnateurs en situation de handicap (AESH) ou des auxiliaires de vie scolaire (AVS) pour être scolarisés, ce qui représente un coût élevé pour les familles.  De ce fait, beaucoup de parents sont hésitants à scolariser leurs enfants atteints de troubles autistiques. Pour répondre à ce défi, de nouvelles solutions sont proposées, telles que le concept de FuturoSchool de l'Association Vaincre l'autisme.

Cette initiative vise à donner aux enfants atteints de troubles autistiques les outils nécessaires pour intégrer une école ordinaire. L'école offre une alternative d'intervention en milieu ordinaire en mettant en place des programmes personnalisés pour permettre aux élèves de s'adapter à leur environnement.

Pour Dr. Abdelmajid Hilmi, «il n’y a pas de scolarisation d’enfant autiste sans difficulté. Quand un enfant arrive à obtenir un milieu favorable à l’éducation, c’est toujours un travail de longue haleine, réalisé avec beaucoup de souffrance. Et ça ne tient qu’à un fil. Si l’enseignant ou l’accompagnant  change d’une année à l’autre, il faut tout reprendre à zéro. Tous les ans, plusieurs dizaines de parents nous appellent à l’aide pour des difficultés de scolarisation».

Toujours selon ce psychiatre marocain,  «l’école a du mal à prendre en charge les enfants autistes car les élèves ne sont évalués qu’à partir de l’apprentissage scolaire. Or, à l’inverse d’un handicap physique, les difficultés cognitives des enfants autistes restent présentes même une fois devant leur cahier. Et pour cela l’apport des accompagnants n’est pas toujours pertinent s’ils n’ont pas la formation nécessaire, ce qui est souvent le cas». «Le problème de l’Éducation nationale, c’est que sa réaction à un trouble du comportement est le rejet immédiat. Il faudrait traiter d’abord ce qui a engendré le trouble plutôt que sa conséquence».
 
Une prise en charge négligée chez l’adulte

L’autisme ne guérissant pas avec l’âge, sa prise en charge chez l’adulte est problématique. Ils sont pourtant nombreux : sur les 680.000 personnes autistes au Maroc, seulement 216.000 sont des enfants.
Les symptômes sont parfois peu visibles : en l’absence de retard intellectuel, ces personnes ont appris à cacher leurs symptômes, interprétés parfois comme de la timidité ou un manque d’humour. Elles ont également du mal à s’adapter au changement. Le manque d’empathie et d’écoute complique leurs relations amicales, affectives et amoureuses.

«La détection de l’autisme peut être réalisée quand d’autres troubles associés au TSA ont besoin d’être traités. Il faut pouvoir accompagner l’adulte autiste par un entraînement psychologique, un suivi médical pour gérer ses autres troubles, et favoriser son insertion socioprofessionnelle», souligne Dr Abdelmajid Hilmi. Le manque de prise en charge s’explique, selon lui, par l’insuffisance de structures au Maroc. Ceci oblige les proches des personnes autistes à trouver des alternatives.  De nombreux autistes adultes vivent en hôpital psychiatrique et reçoivent des traitements chimiques inadaptés.

De plus, la plupart de ces personnes sont nées à une époque où l’autisme n’était pas diagnostiqué au Maroc. Ils ont grandi avec ce trouble sans accompagnement adapté, et arrivent aujourd’hui chez les spécialistes épuisés, après des années d’errance médicale. « Certains ont passé leur vie à camoufler leurs particularités pour s’adapter à la société au prix d’une grande souffrance psychique », relate le psychiatre. « D’autres n’ont pas pu s’intégrer, car leurs difficultés de communication étaient trop importantes. Ils ont développé des troubles psychiatriques – anxiété, dépression – qui ont été mal étiquetés et les ont amenés à des hospitalisations chroniques», ajoute le spécialiste, avant de conclure : «Si l’autisme est aujourd’hui mieux compris par la science, son accompagnement tout au long de la vie s’impose comme l’un des plus importants défis à relever pour les familles».

Mehdi Ouassat

Trois questions à Dr. Hasnaa Chemsi, pédopsychiatre

Libé : Comment définir simplement l’autisme ?

Dr. Hasnaa Chemsi : L’autisme est un trouble précoce du développement et du fonctionnement cérébral, c’est un trouble sévère d’origine neurobiologique. Il se manifeste au cours de la petite enfance, avant l’âge de 3 ans, et persiste tout au long de la vie. Le TSA, trouble du spectre de l’autisme, est un trouble neurodéveloppemental qui se caractérise par des altérations au niveau de la communication et la réciprocité sociale avec présence d’intérêts restreints et stéréotypés.

Que sait-on de son origine ?

Les recherches ont objectivé la présence de variété de vulnérabilités génétiques qui pourraient rendre un enfant plus susceptible à développer l’autisme. Il y a également eu des recherches sur des facteurs environnementaux (certaines infections virales durant la grossesse, exposition aux pesticides, métaux lourds avant ou durant la grossesse, un débalancement métabolique, la pollution atmosphérique, des carences nutritionnelles avant ou durant la grossesse, certains médicaments durant la grossesse, le diabète de grossesse et des réactions du système immunitaire durant la grossesse), et la liste est longue. Les recherches se poursuivent pour déterminer l'existence et les causes des particularités qui pourraient expliquer l'apparition d'un trouble du spectre de l'autisme. Précisons qu'il s'agit probablement d'une combinaison de différents facteurs génétiques, neurobiologiques, et environnementaux encore mal définis.

Comment ce syndrome affecte-t-il les relations interpersonnelles, la communication et le comportement de manière générale ?

Il y a, d’abord, des altérations des interactions sociales. Par exemple, l’enfant ne se retourne pas quand les parents s’adressent à lui. Il peut aussi s’isoler et son regard devient tantôt fuyant, tantôt perçant. Il présente également un manque d’empathie et des difficultés à partager ses émotions et ses sentiments, ce qui peut générer des troubles du comportement. Ensuite il y a les altérations de la communication verbale.

Certains enfants peuvent présenter une absence totale de langage, mais quand le langage est présent, il est particulier (écholalie, jargon, inversion, intonation étrange, voix peu modulée). L’enfant rencontre également des difficultés d’accès au second degré. Les altérations de la communication non verbale sont illustrées par l’utilisation ou la mauvaise utilisation du pointé, avec des troubles au niveau de l’attention conjointe, une mauvaise compréhension ou utilisation des codes sociaux, des difficultés d’interprétation des émotions et des sentiments des autres avec des gestes inappropriés. L’enfant peut aussi avoir des caractères restreints et répétitifs de comportement. Il n’accepte pas non plus les changements avec présence de stéréotypies.

Enfin, les enfants atteints d’autisme sont également confrontés à des hypo ou hyper-réactivités sensorielles, à savoir des intérêts pour la lumière, ou bien l’eau qui tourne. Une recherche de sensations tactiles, ou bien évitement de certaines textures. Ils peuvent aussi être très sélectifs dans leurs choix alimentaires.

D’autres troubles sont souvent associés à l’autisme comme les troubles psychomoteurs, les troubles sensoriels, les troubles du sommeil, les troubles de l’alimentation, les troubles psychiatriques (dépression, anxiété, déficit d’attention-hyperactivité), l’épilepsie, la déficience intellectuelle ou encore les syndromes génétiques.


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