Benkirane pérore sur les incendies et la «colère divine»

Et si c’était lui la véritable malédiction ?


Mehdi Ouassat
Mardi 14 Janvier 2025

Benkirane pérore sur les   incendies et la «colère divine»
Il est des mots qui brûlent plus que les flammes qu’ils prétendent expliquer. Dimanche, Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, a tenu des propos d’une inconscience abyssale sur les feux ravageurs qui dévorent des milliers d’hectares à Los Angeles, aux Etats-Unis.

Selon lui, ces incendies seraient une manifestation de la «colère divine» à l’encontre de Donald Trump. Cette déclaration, absurde dans sa conception et choquante dans sa portée, mérite d’être scrutée à la lumière de la raison et du bon sens. Non pas parce qu’elle se fonde sur une quelconque vérité métaphysique, mais parce qu’elle insulte l’intelligence, la science et surtout le respect que l’on doit aux victimes d’une telle tragédie.

Reprenons les faits : des incendies ravagent des régions entières de la mégapole californienne, détruisant des vies, des forêts, des habitations. Le constat est effroyable, mais il est aussi explicable : le réchauffement climatique intensifie les sécheresses, les vents attisent les flammes et parfois l’homme lui-même provoque ces désastres, souvent par négligence ou imprudence. Voilà la réalité, scientifique, inflexible et incontestable.

Et que fait le Benkirane ? Il balaye d’un revers de main ces explications rationnelles pour invoquer un prétendu châtiment céleste. Cette réaction, digne des époques où l’on attribuait les épidémies aux sorcières et les sécheresses aux malédictions divines, est non seulement archaïque mais terriblement réductrice. Elle trahit une déconnexion totale de la réalité et révèle une incapacité, tragique pour un homme d’Etat, à comprendre les vrais enjeux écologiques de notre époque. 

Comment un leader politique, ancien chef de gouvernement qui plus est, peut-il réduire un désastre aussi complexe à une «vendetta divine» contre un président américain ? Est-il encore pertinent, en 2025, de rappeler que les catastrophes naturelles obéissent à des lois physiques. Qu’il s’agisse de séismes, d’inondations ou d’incendies, elles sont avant tout le résultat de phénomènes géophysiques et climatiques, régis par des principes scientifiques établis. La science a éclairé les ténèbres et a mis en lumière les mécanismes complexes derrière les désastres naturels. Les incendies, par exemple, sont le résultat d’un dérèglement climatique largement documenté : des températures record, des sécheresses chroniques, une gestion forestière insuffisante. En somme, des causes matériellement humaines.

Sous le masque d’une ferveur religieuse, Benkirane s’est donc permis de s’ériger en interprète autoproclamé d’une prétendue volonté divine. Une posture qui ne sert qu’à alimenter une narration simpliste destinée à flatter les instincts partisans de son auditoire et à se donner une fausse stature d’orateur inspiré, au mépris de toute logique et de toute cohérence. Mais, à vrai dire, cette attitude ne trompe personne. Elle illustre plutôt un désarroi, voire une sérieuse panne de crédibilité.

En s’attaquant à Donald Trump lors d’un colloque du PJD, Benkirane tente de faire croire à ses «ouailles» à un affrontement entre le bien et le mal, une stratégie aussi simpliste qu’usée pour chercher à galvaniser son auditoire. Mais ne nous y trompons pas : cette mise en scène pathétique ne saurait dissimuler l’affligeante vacuité du discours de Benkirane, révélatrice du vide idéologique qui le caractérise.

Et puis, en dépit de ses innombrables défauts, Trump n’est pas l’incarnation du mal universel. Loin de nous l’idée de le défendre, mais prétendre que l’univers tout entier se serait ligué contre lui au point de déclencher des incendies en Californie relève d’une absurdité qui défie à la fois la raison et le bon sens. Ce genre de discours ne fait pas avancer les débats ; il les empoisonne. Pire encore, il légitime une vision rétrograde du monde où la science est négligée au profit de superstitions ridicules. La colère divine qu’il invoque, si c’est ainsi qu’elle se manifeste, ne s’abattrait-elle pas plutôt sur ceux qui détournent la religion à des fins politiques ? Sur ceux qui, au lieu de prêcher l’espoir et la raison, préfèrent semer la discorde et alimenter les divisions ?    

Que penserait un survivant de ces incendies en entendant les paroles de Benkirane ? Un homme ayant perdu sa maison, sa famille ou son gagne-pain ? Parmi eux, des Marocains, installés depuis des années à Los Angeles, qui ont vu leur vie partir en fumée en quelques heures. Ce qu’ils méritent, c’est de l’empathie, du respect et une reconnaissance de la gravité de leur situation. En lieu et place, ledit Benkirane leur propose une interprétation insultante: leur calvaire ne serait qu’un dommage collatéral d’un châtiment divin. Un récit indécent qui  aggrave leur douleur et traduit une indifférence glaçante envers la souffrance humaine.

Mais au-delà de la cruauté des propos, il y a leur dangerosité. Le véritable scandale dans cette affaire réside, en effet, dans l’impact que les discours comme celui de Benkirane peuvent avoir sur l’opinion publique. Le supposé chef politique qu’il est ne peut se permettre le luxe de verser dans de telles divagations. Le Maroc d’aujourd’hui mérite des leaders politiques à la hauteur des défis. Des hommes et des femmes animés par des visions claires, capables d’embrasser la complexité du monde et d’y répondre avec lucidité et détermination. En proférant de tels propos, l’ancien chef du gouvernement (pour notre malheur) ne fait que révéler son incapacité à incarner ces exigences et à s’élever au niveau des aspirations légitimes d’une nation en quête d’excellence. 

Enfin, si Abdelilah Benkirane aspire réellement à une intervention divine, peut-être ferait-il mieux de prier pour recouvrer un semblant de bon sens, ou ne serait-ce qu’un soupçon de lucidité. Car aujourd’hui, ce ne sont pas les forêts californiennes qui s’embrasent le plus, mais bien sa propre crédibilité, livrée aux flammes de la déraison. Ou mieux encore, il gagnerait à se taire, parce qu’il est des moments où le silence est d’or.

Mehdi Ouassat


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