Le privé peut-il se substituer à l’Etat ? Managem débloque 10 millions de DH pour le développement de la région Sud-Est


Hassan Bentaleb
Jeudi 13 Juin 2013

Le privé peut-il se substituer à l’Etat ? Managem débloque 10 millions de DH pour le développement de la région Sud-Est
Le paysage est uniforme et plat. Sur des kilomètres, à perte de vue, des petites dunes de terre enserrent la route vers la commune d’Ouaklim (province de Tinghir). Pas un arbre, pas la moindre végétation, pas une habitation, rien pour rompre la monotonie où la terre se mélange au ciel. Le silence emplissait l’air laissant place aux seuls ronronnements des moteurs des voitures.
Sur une route rocheuse et rude, les 4x4 avancent malgré l’état des pistes caillouteuses et impraticables. Ces engins  semblent avoir un malin plaisir à défier cette nature sauvage et dure à apprivoiser. A la tête du cortège, on trouve la voiture du gouverneur de Tinghir accompagné de quelques présidents des communes, de certains notables de la région, des responsables de la Société métallurgique  d’Imider (SMI), filiale de Managem, et des  journalistes.

10 millions de DH
pour le développement
de la région


Les responsables ont  pour mission d’inaugurer une école pour les enfants de nomades et un logement de fonction à Sidi Ali Abourg. Il s’agit du quatrième projet à baptiser aujourd’hui.  En effet, le cortège a été sur la route depuis le bon matin à enchaîner les  inaugurations :  restauration et équipement de centres polyvalents pour femmes à la commune d’Ouaklim, minibus de transport scolaire au village de Timadrouine et équipement du centre d’hémodialyse de Tinghir.  Au total, quatre projets à caractère social d’un coût global de plus de 1,7 million de DH réalisés et financés par le groupe minier Managem en partenariat avec les associations et collectivités locales.    Il s’agit de la première phase d’un plan de développement de la région autour de la mine d’Imider (province de Tinghir) initié par la SMI, incluant 37 projets s’étalant jusqu’à 2015, pour lequel le groupe a alloué une enveloppe globale de 10 MDH.
Dans ce village berbère niché au pied du Haut Atlas (sud), la construction de cette école a été accueillie comme une bénédiction.  Les enfants de cette localité surgie de nulle part peuvent désormais poursuivre leur scolarité dans des conditions acceptables.  Les 45 élèves dont 27 filles ont enfin un toit pour se protéger de la pluie, du froid et de la chaleur. La grande tente blanche à moitié déchirée où l’on dispensait avant les cours laissera dorénavant place à deux classes construites en dur. «Les nouvelles conditions vont permettre d’assurer la scolarité de ces enfants et de réduire l’abandon scolaire», nous a déclaré Mohamed, un enseignant, grand gaillard de 33 ans, au regard adolescent. Pour lui, l’école joue un rôle important pour la sédentarisation des populations nomades. Un mode de vie qui est en train de s’estomper dans la région. «Nos enfants auront au moins la chance d’apprendre à lire et écrire. Ce n’est pas comme nous qui ne savions même pas déchiffrer  les lettres», nous a lancé un parent d’élève avec un arabe à peine compréhensible qui a suscité  l’hilarité de ses compagnons.  
Cependant, la joie des parents ne semble pas être partagée par le jeune enseignant. Son statut fait défaut. En effet, notre homme ne fait pas partie du corps enseignant relevant du ministère de l’Education nationale.  Il est embauché pour un contrat renouvelable chaque année pour un salaire mensuel de moins de 1.000 DH. Pire, ses conditions de travail sont loin d’être reluisantes : «Je n’ai pas d’eau potable, pas de réseau et je ne dispose même pas d’un moyen de transport pour me déplacer alors que j’ai une famille à Tinghir à plusieurs kilomètres d’ici». Le jeune enseignant a le sentiment qu’il est là uniquement pour  parer au plus pressé. «Une fois le contrat terminé, je dois aller voir ailleurs et du coup, toutes les années passées ici et tous les sacrifices consentis tomberont à vau-l’eau», a-t-il regretté.
Pour lui et pour d’autres acteurs associatifs de la région, la construction d’une école ne changera pas grand-chose tant que les infrastructures de base font défaut.  En effet, la commune d’Ouaklim  comme tant d’autres dans le sud-est du Royaume,  enregistrent un grand déficit au niveau des infrastructures les plus basiques. La plupart des villages endurent l’isolement, l’exclusion, le chômage des jeunes, le manque de routes, d’établissements sanitaires, d’eau potable, d’électricité et de transport et la liste est longue. Une réalité qui risque de remettre en cause le plan prioritaire du programme de développement de zones minières initié par Managem dont le top-management a sa propre idée sur les difficultés de la région.   «On sait que les attentes sont grandes mais on ne peut pas prétendre remplacer l’Etat. Chacun doit jouer son rôle», nous a indiqué Mohammed Cherrat, directeur des ressources humaines et de communication avant de poursuivre : «Nous voulons redonner vie à cette région et ce que nous faisons aujourd’hui n’a rien de nouveau puisqu’on l’habitude de le faire. Ce qui change par contre, c’est qu’on communique plus sur nos initiatives».  

Un conflit social
qui dure
depuis 15 mois


Une campagne de communication qui intervient dans un contexte de conflit social qui dure depuis plus de 15 mois entre la SMI et   les habitants de la commune d’Imider qui se sont rassemblés depuis le 1er août 2011 dans le Mouvement «Sur la voie de 96 – Imider » dont l’objectif est de rétablir leur droit aux richesses de leur communauté et la défense de leurs droits légitimes. Pour ces habitants, il est inconcevable de vivre dans l’exclusion, la marginalisation et les illusions de développement  alors que les richesses minières de la région sont énormes.
Mais il n’y a pas que la marginalisation qu’on reproche à la SMI, l’appauvrissement des ressources hydrauliques et la pollution figurent également sur la liste des critiques adressées à l’encontre du group Managem. En effet, la population de la commune d’Imider souffre d’une grave pénurie d’eau potable depuis le printemps 2011, engendrée par une surexploitation de la nappe phréatique par la SMI (puits de Targit depuis 1986 et forages de Tidsa depuis 2004), ce qui a provoqué des effets néfastes sur l’agriculture, la principale activité des riverains. En plus, cet élément vital est pollué par les vestiges du processus de production par l’infiltration de substances toxiques (comme le cyanure interdit à l’échelle mondiale) dans la nappe phréatique.
Des accusations que récusent catégoriquement les responsables de  Managem, en arguant  qu’une étude d’impact réalisée récemment démontre qu’il n’y a pas de lien entre la nappe exploitée et le système d’irrigation. Mieux, Mohammed Cherrat a même indiqué qu’une étude scientifique a révélé que la superficie cultivée a doublé voir triplé dans la région depuis que la mine existe. Des données remises en cause par un autre document réalisé cette fois  pour le compte de la commune d’Imider par le bureau d’études Innovar précisant que les débits en eau dans la région «ont connu une baisse importante entre juin 2004 et août 2005 », avec des chutes, dans certains cas, «de 61% et 58%».

Un dialogue de sourds

Qui faut-il croire ?  On peut trancher d’autant que la méfiance est de mise entre les deux parties. «On a entamé plusieurs  négociations avec les habitants protestataires, mais une poignée de jeunes  persistent à présenter de nouvelles revendications qu’on a trouvées irraisonnables voire inconcevables», nous a expliqué Youssef Hajjam, directeur général des métaux précieux de Managem.   Ce responsable va plus loin. Il estime que ces jeunes sont manipulés par  certaines parties étrangères.  Des accusations que reprend à son compte Omar Bassou, le premier vice-président de la commune d’Imider. « Il y avait près de 18 rounds de négociations. La SMI avait proposé la création de projets et des postes d’emploi, mais il y a quatre ou cinq têtes brûlées qui ont tout refusé. On pense que leurs revendications sont recommandées par d’autres gens qui restent dans les coulisses », nous a-t-il confié.   Les autorités locales ont également le sentiment que ces jeunes servent un agenda étranger. «On a ouvert les négociations mais trois ou quatre jeunes ne veulent pas faire de concessions. Ils veulent simplement bloquer tout», nous a précisé un officiel.
Des accusations rejetées par les jeunes du Mouvement «Sur la voie de 96 – Imider» qui  dénoncent la manipulation de la société minière, et celle de l’autorité locale dite l’”arbitre”, qui a, à son actif, selon eux, une tentative de détournement des revendications de la population d’Imider par l’implication de quelques conseillers ruraux, sans légitimité, et une bande de voyous, ayant des antécédents judiciaires.

L’emploi
comme priorité


Pourtant, si Omar Bassou semble opposé aux jeunes rebelles, il reste convaincu que la région connaît de graves problèmes comme le chômage, la pollution et la répartition des richesses locales. Mais ces problèmes doivent être traités, selon lui, par le consensus et l’entente.  «Managem ne peut pas tout faire. Ainsi au niveau de l’emploi, elle a les mains liées puisqu’il y a un protocole signé au cours des années 90 et qui donne priorité pour l’emploi aux enfants des salariés de SMI.  Les natifs de la région étaient rares à travailler dans la mine vu les salaires accordés au cours des années 60 et 70 et qui ne dépassaient guère 15 DH par jour. Aujourd’hui on est à 6.000 DH comme salaire mensuel voire plus et c’est pourquoi tout le monde veut travailler dans la mine».
L’édile de la commune d’Imider pense qu’il est temps pour l’Etat de procéder à une redistribution équitable des richesses, car la commune ne bénéficie pas directement de ses ressources. «Dans notre commune, la SMI nous  verse 50 millions de DH par an comme taxes pour certains carriers, 96 MDH de patente et 2.500 DH pour le loyer de 700 hectares des terres Soulaliyates, soit 400 MDH par an qui vont aux caisses du ministère de l’Intérieur.
Quant à l’exploitation minière, elle est du ressort du conseil de la région», nous a-t-il précisé. «L’ensemble des recettes, poursuit-il, est englouti par les salaires des fonctionnaires de la commune et les frais de gestion. Quant à l’excédent budgétaire, il est souvent investi dans des projets qui ont peu d’impact sur la région». Une dure réalité qui demeure difficile à accepter quand on sait que la mine d’argent d’Imider a fait en 2012 des bénéficies  estimés à 1 milliard de DH.
Pour les autres communes avoisinant le site, le conflit entre la SMI et les habitants d’Imider  ne semble pas les préoccuper. Certains habitants évitent même d’évoquer cette question jugée un peu gênante.  «Personne ne veut se fâcher avec les responsables de Managem. On a besoin d’eux comme ils ont besoin de nous», nous a confié un acteur associatif du village Aman Nokedar sous le seau d’anonymat. Cependant, les populations de ces villages sont unanimes à considérer la question de l’emploi des jeunes comme une priorité, bien avant celle de l’eau ou de la lutte contre la pollution. Pour eux, le recrutement doit être réservé d’abord aux habitants de la région. Une revendication  jugée irréaliste par la société. Celle-ci propose que seulement 60% des recrutements d’ouvriers soient réservés aux gens de la région. Un conflit qui risque de faire durer davantage le conflit social entre l’entreprise et les villages avoisinants et donc d’hypothéquer l’avenir de la région. 

Le privé peut-il se substituer à l’Etat ? Managem débloque 10 millions de DH pour le développement de la région Sud-Est


Lu 888 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Dans la même rubrique :
< >




services