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Le livre : Théocratie populiste, L’alternance, une transition démocratique?


Mardi 26 Août 2014

Le livre : Théocratie populiste, L’alternance, une transition démocratique?
Pour Khaïr Eddine, le gouvernement doit être responsable vis-à-vis de la Chambre (Majlis) et non du chef de l’Etat. Ce principe énoncé avant 1870 rencontra dans tout le monde islamique des résistances quasi insurmontables, et elles n’ont pas diminué. Khaïr Eddine a écrit il y a presque deux siècles: faut-il désespérer du monde arabo-musulman? Pour Khaïr Eddine, ce n’est la pas le christianisme qui est cause de l’expansion et du progrès de l’Europe mais ses institutions. Celles-ci, du gouvernement responsable devant l’assemblée jusqu’aux principes de représentation et de consultation, sont pour Khaïr Eddine déjà contenues dans l’islam. 
Le réformateur était convaincu que l’islam devait être au centre des réformes politiques et sociales. Le constitutionalisme de Khaïr Eddine utilise donc le paravent religieux pour mieux aboutir: si le modèle européen est conforme aux principes de l’islam, on peut s’en inspirer directement. L’échec de Khaïr Eddine et plus encore la colonisation du monde musulman mit l’islam seul au centre des réformes politiques et sociales; il ne s’agissait plus que de sauver l’identité islamique, voilà ce qui motivait Afghānī, Abduh, Rida et d’autres. 
On ne parlait plus de séparation des pouvoirs. Au lendemain de la décolonisation, dictateurs et théocrates ignorèrent la séparation des pouvoirs. Aujourd’hui, nous devons faire prévaloir les vues des réformateurs tels Tahtāwī et Khaïr Eddine et développer l’idée de la séparation des pouvoirs dont le premier jalon au Maroc réside dans la Constitution de 1908. Toute mobilisation religieuse risque de déboucher sur un populisme radical ou se cantonnera dans le domaine éthique. 
Or, les Marocains désirent avoir des garanties sur les droits qu’ils sont supposés détenir. Nous sommes en présence, comme on l’a bien vu, d’une séparation des pouvoirs technique et non politique puisqu'à la source de tous ces pouvoirs, nous trouvons le Souverain. Ce qui résulte des consultations électorales demeure d’une part fragmenté et inorganisé et d’autre part les attributions du Parlement sont très limitées. 
Au-delà de la matérialité de cette structure, le Roi peut-il, seul, de par sa volonté, faire fonctionner réellement cette séparation des pouvoirs et veiller en permanence à ce qu’aucun pouvoir n’empiète sur l’autre? Une telle question basée sur une vue de l’esprit ne se pose pas. Le Roi est une personne et non une instance ou une organisation qui peut réagir instantanément lorsqu’il y a un excès de pouvoir, un abus ou un acte arbitraire. Le Souverain devrait alors suspendre toute son activité et ne s’occuper que des milliers de cas annuels qui manifestent une confusion des pouvoirs. 
Il vaudrait mieux établir réellement cette séparation des pouvoirs et réserver au Roi le soin de corriger les éventuelles dysfonctions, qui seraient dès lors moins nombreuses que dans la situation actuelle. Sur un autre plan, il y a une faille majeure dans notre régime politique : comment peut-on considérer le gouvernement comptable de son action au moment où élites et simples citoyens sont persuadés qu’il n’a que l’ombre du pouvoir ? Il faut souligner également que le pouvoir royal bénéficie d’un crédit illimité de la part du peuple. Jusqu’à présent la légitimité l’emporte sur les dysfonctions qui sont attribuées au faible sens civique des responsables. 
Le dilemme de tout pouvoir sans limite est que d’une part, il ne peut se la fixer à lui-même, sauf sagesse extraordinaire; d’autre part, il ne peut que tendre continuellement à se déployer jusqu’au point où un incident particulier peut provoquer sa crise. Ce qui arriva au début des années 1990. Selon O.Bendourou, constitutionaliste, la séparation des pouvoirs est affaire d’équilibre entre pouvoirs réels; il exclut donc que la globalité des pouvoirs royaux demeure intacte, et souhaite qu’elle alimente tant le Parlement que le gouvernement. «Si l’on souhaite envisager la séparation des pouvoirs, il est nécessaire d’établir un équilibre entre les différents pouvoirs dans l’Etat, ce qui implique la réduction des pouvoirs royaux tant au profit du gouvernement qu’au profit du Parlement», précise-t-il.
 Pour illustrer cette nécessité des contre-pouvoirs, il n’est que de passer en revue avec le professeur O. Bendourou les décisions royales. Nous verrons que le pouvoir constituant du Roi ne s’arrête pas à l’établissement d’une Constitution; il est permanent, et nous verrons aussi que le gouvernement est souvent réduit à expédier les affaires courantes : «En 1983, le Roi a recouru à l’article 19 pour reporter les élections législatives, alors que la Constitution ne prévoit pas de report. En 1989, le Roi a soumis au référendum un texte permettant la prorogation de la deuxième législature (1984-1990) de deux ans, alors que la Constitution ne l’autorisait pas. 
 Sous la Constitution de 1992 [et de 1996] (…), le Roi a exclu de la compétence de ce dernier [le Premier ministre] le droit de proposer des ministres à la tête de certains départements ministériels : Intérieur, Justice, Affaires étrangères, Défense nationale, Habous et Affaires islamiques…, ce que la presse a appelé les ministères de souveraineté. (…) 
L’intervention du Souverain dans les domaines propres du Premier ministre et du Parlement : 
- Création de fondations (Fondation Mohammed V pour la solidarité, Fondation Hassan II pour les Marocains résidents à l’étranger, Fondation Mohammed VI pour la préservation de l’environnement, Fondation Mohammed VI pour la promotion des oeuvres sociales, de l’éducation et de la formation) et de commissions royales dans différents domaines, économique, social, voire politique (création par exemple de la Commission royale sur la réforme du Code électoral ou celle relative à la Moudawana). 
La création des Fondations permet au Roi de s’accaparer des compétences qui relèvent des départements ministériels et d’investir le domaine social.  L’une des caractéristiques essentielles de l’intervention du Roi dans le domaine réglementaire, c’est la création de Centres régionaux d’investissement sous la responsabilité des walis, auxquels des compétences gouvernementales ont été transférées "pour prendre (…) aux lieu et place des membres du gouvernement compétents, les actes administratifs nécessaires à la réalisation des investissements" (lettre royale du 9 janvier 2002 adressée au Premier ministre).(…) 
 Il arrive également au Roi de réunir des hauts fonctionnaires en l’absence des membres du gouvernement et du Premier ministre et en compagnie de ses conseillers, pour discuter des problèmes économiques et sociaux et leur donner des instructions dans tel ou tel domaine. - Dans la nomination des hauts fonctionnaires, le Premier ministre n’est informé des décisions du Souverain que quelques heures avant que les actes du Roi ne soient rendus publics (particulièrement sous le gouvernement El youssoufi)».
Sur un plan pratique et même du point de vue légal, le pouvoir royal se présente donc comme une souveraineté: cela se manifeste par toutes les initiatives royales depuis les orientations politiques, économiques et sociales jusqu’à la dévolution du pouvoir lui-même; mais cela se manifeste surtout, et c’est cela qui fait problème et qui peut nuire à l’image de la monarchie, par l’existence d’un Makhzen peu soucieux des droits des citoyens et de la nation. 
Nous ne voyons pas le Roi adopter le rôle d’un calife bien guidé et prendre en charge en permanence la moralisation de la bureaucratie makhzénienne, de la classe politique et des citoyens. Il y faudrait une armée de prêcheurs sans résultat assuré. Ceux qui pensent que la solution réside dans un tel retour au califat normatif se trompent. Faut-il mettre fin à ce qui est une confusion des pouvoirs potentialisable pour en établir une autre qui aura la légalité en sa faveur puisque le Code pénal, celui des libertés publiques, le Code électoral, tout deviendra islamique? La séparation des pouvoirs n’a de sens que si le système des libertés est laїque; sinon, on est à la merci de tout interprétateur de la volonté divine. 


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