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Document coûteux, validité limitée et portée internationale modeste: Cher, trop cher passeport
«Al Michaâl»
ont réalisé avec
le dirigeant ittihadi Abdelhadi Khairat un entretien qui
ne manquera pas d’interpeller plus d’un. Libé vous
en propose
la traduction
intégrale.
Mechaal : La rentrée politique actuelle s’est caractérisée par un débat que suscite la transhumance au sein des groupes parlementaires et son impact sur l’image du parlement pour l’opinion publique. Comment évaluez-vous cette situation par rapport à l’échiquier politique actuel ?
Abdelhadi Khairat : En priorité, il est évident que la notion de rentrée politique au Maroc n’est qu’une métaphore. Son acception dans la terminologie politique en Occident est totalement différente. Là-bas, il existe des programmes arrêtés et un agenda étoffé. Et après une année d’activités intenses de communication et de concertation, les politiques se permettent des vacances de détente, de réflexion pour se préparer à entamer une nouvelle saison politique. Mais chez nous, il n’en est rien de tout cela. Il s’agit d’un ensemble de rites formels tels que l’ouverture du Parlement et un discours officiel où Sa Majesté le Roi donne quelques orientations suivies de déclarations d’intentions des groupes parlementaires. Personnellement, j’estime qu’il n’y a rien de nouveau lors de cette rentrée politique liée au Parlement, si ce n’est le fait d’évoquer la réforme de la Chambre législative et la constitution de commissions mixtes en vue d’examiner les statuts internes des deux Chambres du Parlement.
Mais pour la première fois, le Premier secrétaire de votre parti et président du Parlement qui est par ailleurs le plus ancien parlementaire, affirme que l’image de cette institution législative auprès des citoyens on ne peut plus hideuse.
Cette image résulte de nombreux cumuls qui dépendent des choix de l’Etat au niveau des élections. En effet, les élites des notables liées au pouvoir restent faibles et les partis politiques n’accomplissent pas leur devoir pour encadrer les citoyens, et ce pour des considérations complexes. Le pouvoir politique ne pense qu’à travers les notables dans la mesure où ces derniers encadrent la société davantage que les partis politiques selon sa propre vision, surtout dans les zones périphériques. Je me rappelle que Driss Basri, ancien ministre de l’Intérieur, avait organisé un débat exhaustif sur le mode de scrutin à adopter. Nous avions proposé lors de cette rencontre d’opter pour le scrutin par liste nationale, du fait que celui-ci contribue à mettre fin à l’hégémonie des notables et du pouvoir de l’argent. Mais certains représentants de l’Etat ont réfuté notre thèse, car ils estimaient que cela aurait un impact négatif sur la participation aux élections, d’autant plus que ces notables disposaient de leur propre électorat. En réalité, l’Etat considère que le pouvoir des notables et de l’argent ont plus d’influence que le sien. De ce fait, il espère maîtriser à la fois les populations éloignées du centre et celles liées aux élites des notables à travers la cooptation de ces derniers tout en préservant leurs intérêts. Il en résulte que l’Etat ne cherche pas à édifier une véritable démocratie au Maroc. On croyait que ce phénomène ne persisterait pas au-delà de la période liée à l’alternance car la majorité de la seconde chambre qui avait plusieurs prérogatives, était constituée de ces notables. Cela permettait de limiter l’exercice de la chambre et maîtriser la situation à l’époque du gouvernement Youssoufi. Et ce sont les élus de la première Chambre qui allaient même constituer la majorité dans la seconde.
Mais votre parti avait accueilli les notables qu’il avait présentés comme candidats aux élections sur ses listes.
A.Khairat : Nous nous sommes toujours opposés à jouer la carte des notables, car elle ne milite pas en faveur de la démocratie, mais ceux que nous avons présentés comme candidats aux élections même parmi les riches, faisaient partie de l’USFP par filiation ou appartenance. L’USFP a toujours été immunisé contre la transhumance parlementaire. Cependant depuis la fin des années 90 les choses ont changé. On est passé du discours prôné par Bouabid soutenant que les sièges ne nous intéressent pas à celui de Youssoufi qui disait le contraire.
Sincèrement, j’étais toujours contre le fait que l’USFP évoque le sujet de la transhumance, car ce problème est celui d’autres partis et non le nôtre. Ce qui se passe aujourd’hui porte atteinte à la noblesse de la politique. Nous sommes passés de l’achat des voix à celui des députés. D’autant plus qu’un parti ne peut avoir aucune autorité sur le candidat qui monnaye son accréditation auprès d’un chef de parti. Des candidats qui changent donc de partis comme de chemises, au point que la transhumance est devenue un spectacle désolant, du fait que la personne change de veste bien avant d’intégrer le Parlement. C’est l’absurde. Rien ne changera tant que les députés considèrent le Parlement comme une institution qui peut leur procurer notoriété et immunité. Vous vous souvenez de Zahraoui, l’homme de la bière et ses pratiques, d’Abderrahmane, le parlementaire-entrepreneur d’Arfoud, l’un des responsables de l’UC, qui s’est enfui avec des milliards en Algérie, en plus du parlementaire baron de la drogue parti lui aussi à l’étranger. L’immunité pour préserver la liberté d’expression et la critique est devenue une immunité qui protège contre l’emprisonnement, à même d’être une couverture qui sert à occulter des scandales dont certains à caractère criminel.
Qu’avez-vous fait pour changer cette situation ?
Forcément, c’est l’Etat qui veut ce genre de personnes. Si vous permettez, je peux vous donner un exemple de ce qui se passe dans les communes rurales. Une situation catastrophique. C’est le ministère de l’Intérieur qui entreprend toutes les opérations administratives dans les collectivités locales et l’on se demande où est l’autonomie des collectivités par rapport au département de tutelle. D’autre part, il y a des milliards que le ministère de l’Intérieur reçoit à titre d’exploitation et de location des terres collectives depuis 1956, au moment où les collectivités soulaliyates ne bénéficient pas de ces recettes. Il est question de 12 millions d’hectares de terres collectives dont certaines sont exploitées par le ministère de l’Intérieur, comme d’ailleurs les carrières de marbre ou de sable, sachant qu’il y a des carrières qui font partie du périmètre urbain. Ce qui est illogique. Comment peut-on parler de démocratie dans ce cas de figure ? Il n’y a qu’à évoquer le problème des listes électorales pour avoir une idée sur le peu de sérieux qui caractérise toute l’opération. Le premier arnaqueur désigné président se permet d’inscrire sur les listes ou d’annuler l’inscription de qui il veut, au point que pas moins de 2 millions d’électeurs ont vu leurs noms barrés des listes électorales. Alors qu’on peut parfaitement éviter ce scénario en recourant à des listes fournies par la direction de la Sûreté nationale sur la base des cartes d’identité nationales. Le problème sera résolu ainsi, car tout citoyen ayant atteint l’âge de vote sera inscrit légalement et toute personne décédée verra son nom rayé automatiquement des listes électorales.
En dépit des efforts déployés, la carte nationale biométrique n’a pas encore été généralisée, ce qui nous laisse loin des aspirations escomptées?
Selon la loi, celui qui n’a pas de carte nationale doit être emprisonné et nous n’avons que faire de sa voix.
Permettez-moi de revenir à la question de la transhumance que vous dénoncez. Deux députés ont pu rejoindre les rangs de l’USFP, ce qui veut dire que c’est du pareil au même?
(Interrompant) Premièrement, on doit accepter le principe que personne ne doit se mettre en travers de la liberté individuelle, car cela relève en fin de compte de la constitution. Toutefois, je suis contre les personnes qui considèrent que ce n’est pas grâce au parti qu’il a été élu au Parlement et que de ce fait il se donne le droit d’être avec le groupe ou ceux qui l’ont soutenu. Pour abolir ce genre de pratiques, il faudrait instaurer la loi « d’appartenance », c'est-à-dire que le parlementaire peut appartenir à une équipe sans pour autant être membre de cette équipe ou du parti.
On a un problème réel auquel il faut prêter attention parmi ceux que vous avez abordés concernant le type de scrutin et ainsi de suite « Wa Anta Jay ». On constate qu’un parti comme le PAM absent lors des élections devient 1er ou 2ème groupe du Parlement en termes d’effectif.
Ce qui est surprenant est de voir ce genre de comportements que vous avez qualifiés d’ordinaire et de spectaculaire provenir de l’USFP au lieu de l’Union constitutionnelle ou du RNI, n’est-ce pas là une preuve de la décadence politique ?
Si vous faites allusion aux deux membres qui ont rejoint l’équipe unioniste, sachez que celle-ci à l’unanimité de ses membres ne voit pas d’inconvénient et considère que la personne en question de Fquih Ben Saleh a un comportement exemplaire. Concernant le deuxième membre, la proposition de son adhésion en tant que représentant survient suite à une réunion du secrétariat régional du parti des régions du Sud. Il est attendu que son cas soit abordé dans la réunion du Bureau politique.
Dans le même sens, le secrétariat régional a exclu un autre parlementaire de la région sur la base d’un rapport détaillé qui prouve sa volonté d’acquérir un immobilier de façon illégale. On n’a pas cherché à avoir de nouveaux membres mais on y a été contraint par des circonstances locales.
Comment qualifiez-vous Hassan Darham à titre d’exemple et sans pour autant porter atteinte à sa dignité ?
Le père de Hassan Darham est l’un des fondateurs de l’Ittihad ; il était candidat du parti aux élections de 1963 et a été condamné à mort.
Mais l’appartenance à un parti politique ne se fait pas par hérédité : le fils de Bouida, fondateur de l’Ittihad, n’a rien à avoir avec le parti.
Effectivement, mais il y a tout un pan de l’histoire et un poids de l’héritage….sauf que cela est devenu général. Aucun parti n’échappe à ce phénomène.
Donc, si le problème est l’affaire de tous, il devient alors facile à résoudre.
Non, je suis pour la classification des détails concernant ce sujet, car tout ce qui se passe reste désolant, mais nous avons opté pour le choix du groupe socialiste. Si vous vous rappelez bien, le PJD avait 9 membres et était obligé d’accepter trois députés «nomades» pour former un groupe parlementaire.
Je considère que c’est scandaleux qu’un parlementaire soit venu voir Abdelouahed Radi, pour lui présenter des demandes d’adhésion de groupes parlementaires en même temps et le même jour. Ce qui a provoqué la colère de Radi qui était obligé de le chasser.
Un problème s’est posé au sein de la présidence du Groupe socialiste à la Chambre des conseillers. La nomination de Zoubaida Bouayad à la tête du groupe a poussé certains parlementaires à geler leur adhésion à l’équipe. Comment expliquez-vous cela ?
je pense que la chose est liée à l’éducation politique. Dire que le Bureau politique nomme lui-même ses membres, c’est induire les gens en erreur. Les socialistes se sont mis d’accord pour que le Bureau politique nomme le président du Groupe parlementaire. Ceci émane de la décision du meeting et la volonté des socialistes, car la présidence est un poste politique, exprimant le point de vue et les opinions du parti. Le problème ne se résout pas au sein de la majorité ou sous la menace du chantage et de la force, encore moins par guerres médiatiques interposées.
Le Groupe se réunira et se mettra d’accord dans un esprit amical, et ce pour résoudre tous les problèmes en suspens.
Ahmed Zaïdi a exprimé, à maintes reprises, son souhait de ne pas continuer à la tête du Groupe en raison de ses multiples activités, mais le groupe, et à l’unanimité, s’est attaché à Zaïdi.
Postuler à une fonction ministérielle était à une certaine époque une insulte pour les Ittihadis. Il y avait de la noblesse quand nous décidions à l’unanimité de la présence de Mohamed Mansour au sein du Bureau politique, non parce qu’il est un grand politologue, mais pour sa symbolique en tant que héros de la Libération.
Vous avez souligné, lors d’un débat, que le Maroc se dirige vers le fascisme. Quels en sont les fondements de ce que vous avez avancé ?
Les situations telles que la nôtre sont les prémisses de l’imminence du fascisme. Ce sont les leçons de l’histoire. L’incrédibilité des partis, l’absence de toute garantie pour l’édification de l’Etat des institutions, la forme carnavalesque du Parlement, le manque d’éthique politique, de sorte que quiconque voudrait être un leader politique ou ministre et la course effrénée vers le pouvoir. Tout cela constitue, bel et bien, des signes de fascisme. Des gangs, une mafia, voire des criminels qui président des communes locales et possèdent des fortunes colossales alors que l’Etat préfère ne rien entreprendre, mais plutôt jouer le rôle de spectateur passif. Il est vrai que la confrontation sur la légitimité du pouvoir politique n’est plus de mise, mais la confusion à propos des positions a pris le dessus : l’opposition n’est plus l’opposition, le gouvernement ne gouverne point …
Quand nous avions demandé une Monarchie parlementaire, un journaliste m’a demandé un jour si nous, Ittihadis, sommes prêts à cette Monarchie, comme si nous devions disposer de tanks pour scander le slogan de la Monarchie parlementaire.
Qui est responsable ?
L’Etat, bien sûr, et tous ses composantes. Il est de notre devoir de dire aujourd’hui assez ! et que l’Etat doit cesser de jouer le spectateur passif.
Au Maroc, il existe des quartiers où il n’est plus possible d’y accéder car ils sont, tout simplement, sous l’emprise des bandits et des criminels avec la complicité, quelquefois, des responsables de municipalités.
N’est-ce pas là une forme de fascisme ? Des individus qui gèrent et dirigent des communes sont, du jour au lendemain, devenus riches alors qu’ils ne possédaient rien.
A titre d’exemple, un ex-président d’une commune de Salé présente des preuves tangibles dénonçant l’actuel président de ladite commune pour avoir détourné des fonds. A son tour, ce dernier présente à la presse des preuves irréfutables attestant de l’implication du premier dans des opérations frauduleuses qui sont à l’origine de sa richesse colossale alors qu’il n’était qu’un simple employé dans un établissement hôtelier.
Tout cela se déroule devant les citoyens. L’Etat, quant à lui, persiste dans sa passivité.
Tout citoyen intègre ne saurait accepter une telle situation.
La vérité est connue par tous les citoyens, par tous ceux qui savent tâter le pouls de la société et de l’opinion publique.
Le fossé entre le citoyen et les cercles politiques est omniprésent. Pour le combler, il est nécessaire de réhabiliter l’action politique dans son sens le plus noble.
Réduire ces écarts exige de mettre fin à la distribution des rôles et à la division du champ politique en deux camps : l’un qui a la mainmise et gouverne la chose publique comme bon lui semble et l’autre qui a perdu l’initiative et s’est transformé en salle d’attente (…)
Clamer haut et fort ces vérités, somme toute évidentes, ne signifie aucunement le retour à la logique des ruptures ou à un passé nostalgique, dans l’intention de créer des tensions. Il s’agit plutôt de revendiquer à ce que le pays révèle son vrai visage, à savoir devenir un Etat des institutions. Un Etat ancré à son époque et dirigé par un gouvernement et des institutions.