Le gouvernement se dit fier de son RAMED mais il ne dit pas tout

Les grosses failles d’un système qui se veut d’assistance médicale


Hassan Bentaleb
Vendredi 18 Décembre 2015

C’est fait ! Le RAMED a atteint sa cible voire davantage. La couverture médicale pour les démunis touche aujourd’hui  113% de la population cible et ce trois ans après sa généralisation. Le nombre de personnes immatriculées au RAMED a atteint, à fin novembre 2015, plus de 9 millions de personnes, soit plus de 3,4 millions de foyers. Un taux  de couverture qui demeure, néanmoins, mal réparti puisque s’il dépasse les 100% dans dix régions, il reste faible dans deux autres et relativement faible dans vingt-six provinces.
Le milieu rural représente 48% des personnes immatriculées et la répartition par catégorie des bénéficiaires révèle la prééminence des personnes en situation de pauvreté avec 86%, a rapporté le dernier rapport d’activité de l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM), présenté dernièrement à Rabat.
Pourtant, ces statistiques cachent plus de choses qu'elles n'en montrent et suscitent  plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. « Si le RAMED a atteint sa cible à hauteur de 113%, cela veut dire qu’on a dépassé les prévisions initiales de l’étude actuarielle réalisée en 2006 et estimant la population cible à 8 millions de personnes. Comment l’Etat compte-t-il donc gérer l’impact financier de cet élargissement alors que ce régime  souffre déjà d’une insuffisance de fonds ? », s’est interrogé Aziz Rhali, vice-coordinateur du Collectif pour le droit à la santé au Maroc (CDSM). Une situation des plus compliquées, d’autant plus que les experts de l’ANAM prévoient que cette population est appelée à augmenter davantage puisque 26 des provinces concernées n’ont pas encore atteint leurs cibles et que  5 d’entre elles ne dépassent pas 60%.
Notre source se pose également des questions sur ces 9 millions de personnes immatriculées. Combien d’entre elles ont-elles effectivement retiré leurs cartes RAMED? «Beaucoup refusent de payer leur contribution financière de 120 dirhams par personne bénéficiaire avec un plafond de 600 dirhams par ménage. Elles estiment ce montant exorbitant», nous a   précisé notre interlocuteur. Des propos confirmés par l’ANAM qui a indiqué que le taux de retrait des cartes de catégorie « Vulnérables », au titre de l’année 2015, a été de 29,5%, en régression de trois points par rapport à l’année 2014. Ce taux n’a d’ailleurs pas dépassé les 33,6% depuis 2009 ; ce qui confirme sa tendance baissière même s’il est déjà en deçà des attentes.
Une situation qui a fortement impacté le financement de ce régime. En fait et jusqu’à fin octobre 2015, les montants collectés auprès des personnes en situation de vulnérabilité, s’élevaient à 24.739.083,00 dirhams, soit une diminution de 20% par rapport à la même période de l’année 2014 qui avait enregistré 31.001.301,00 dirhams. Le montant cumulé collecté jusqu’à fin septembre 2015 est de 119.650.827,00 dirhams.
Les interrogations de notre source concernent  également la volonté du gouvernement d’élargir ce régime aux migrants. « Elargir le RAMED aux migrants est une mesure indiscutable  mais pourquoi les intégrer à  ce régime et non pas à celui de la CNSS sachant que les migrants régularisés dans le cadre de l’opération de régularisation des étrangers en situation administrative irrégulière sont souvent des personnes   vivant sur le territoire marocain depuis au moins cinq ans et qui exercent un travail rémunéré depuis deux ans?», s’est interrogé le vice-coordinateur du Collectif pour le droit à la santé au Maroc (CDSM). Et de poursuivre : « N’est-il pas plus utile de les faire bénéficier de la CNSS puisque ce dernier régime offre plus de prestations de soins que le RAMED ? Et qu’en est-il des migrants irréguliers dont le nombre est plus élevé et qui vivent des situations de vulnérabilité extrême?». Notre source va plus loin. Elle considère cet élargissement comme anticonstitutionnel puisque l’article 31 de la Loi suprême limite la mobilisation de tous les moyens disponibles par l’Etat, les établissements publics et les collectivités territoriales pour faciliter l’accès aux soins de santé aux seuls citoyens et citoyennes marocains. «On a déjà critiqué cette disposition au nom du Collectif lors de la discussion du draft de la Constitution  et on l’a jugée comme discriminatoire puisqu’on estime que chaque personne a le droit de jouir de ce droit universel indépendamment de sa nationalité et de sa race», nous a précisé Aziz Rhali.
Mais au-delà de ces interrogations, notre source estime que le régime demeure incapable de fournir de véritables prestations de soins à ces nouveaux affiliés au regard des déficits qui minent son bon fonctionnement.  Elle énumère trois contraintes de taille. La première à caractère juridique et les autres d’ordre financier et managérial.
Au niveau juridique, notre interlocuteur  critique la loi n° 65-00 portant Code de la couverture médicale de base qui corrèle l’accès aux soins aux capacités et aux  moyens de chaque établissement sanitaire. « Un citoyen marocain à Bouarfa ou Jérada n’aura pas droit d’accès aux mêmes soins que celui qui habite à Rabat ou Casablanca. On est en face d’un système inégalitaire. Pis, les citoyens doivent se débrouiller seuls face au manque de moyens. Au Collectif, on a enregistré le cas d’une femme qui devrait subir une opération cardiologique et à qui  la direction de l’hôpital a demandé d’amener des intrants dont le coût est estimé à 14.000 DH. Que faut-il donc  attendre d’un tel régime?», nous a déclaré Aziz Rhali.
Un constat observé également au niveau financier. «L’Etat n’a pas injecté de fonds dans ce système depuis deux ans. En outre, il n’y a pas de dispositions claires dans la loi de  Finances qui précisent les sources de financement du RAMED. Pendant un certain temps,  Benkirane a espéré financer ce régime via les recettes  des impôts collectés sur les hauts salaires; ce qui s’est soldé par un fiasco. Par la suite, il a été question d’en puiser les financements dans la Caisse de solidarité dont les recettes sont alimentées par des dons volontairement consentis par les grandes entreprises», nous a expliqué notre source. Et d’affirmer: «Ce qui a  d’ailleurs incité l’UE à refuser de continuer à financer ce régime en raison de son manque de visibilité et de transparence. Les responsables européens ont conditionné leur participation par l’intégration des financements du RAMED dans la loi de Finances». Cette situation a poussé plusieurs  établissements de santé publique à refuser de prendre en charge les Ramédistes faute de compensations financières. Nombreux sont les hôpitaux qui se sont trouvés confrontés à une équation complexe, à savoir une  augmentation du nombre d’assurés RAMED d’un côté et l’insuffisance des subventions du ministère de la Santé de l’autre. Les 2,4 MMDH alloués à ce régime par la loi des Finances 2015,  dont 60 MDH pour cinq CHU, ne semblent pas avoir été au diapason de la demande de soins qui est en nette  progression. Selon le document de l’ANAM, à la date du 31 octobre 2015, le montant des subventions reçues du ministère de l’Economie et des Finances (Fonds d’appui à la cohésion sociale) est de 10 millions de dirhams, soit 43% du montant prévu au titre de l’année 2015. A la même date, le disponible de trésorerie a atteint 28,78 millions de dirhams enregistrant une augmentation de 26,30 millions de dirhams découlant d’un virement de 20 millions de dirhams, à titre de prêt, provenant des  fonds de l’AMO débloqués suite à l’accord dudit département ministériel, et ce en vue de résorber les arriérés de paiements relatifs à la confection des cartes RAMED.
« Aujourd’hui, si les dépositaires de cette carte peuvent se soigner auprès des dispensaires et des hôpitaux régionaux, ils ne le peuvent pas auprès des CHU faute  de fonds et, du coup, ce régime ne couvre aujourd’hui que les secteurs primaires et secondaires comme ce fut le cas pour l’ancien certificat d’indigence », a indiqué notre source.
L’aspect organisationnel enregistre également plusieurs failles.  Le Collectif pointe du doigt  l’inexistence d’un comité central de gestion indépendant. « Le régime est géré aujourd’hui par l’ANAM alors que cette agence doit s’occuper de la régulation du secteur et non pas de la gestion », nous a déclaré le vice-coordinateur.
De son côté, Mostafa Chanaoui, secrétaire général  de la CDT-Santé, estime que l’élargissement du nombre des affiliés au RAMED tient de la politique du faux semblant chère au ministre de la Santé. « Pour ce dernier, l’essentiel est de gonfler les chiffres et le nombre des cartes distribuées. Il parle d’un taux de généralisation de 80% ou de 90% et il semble fier. Mais de quoi s’agit-il en fait ? Aujourd’hui, le RAMED se résume à une distribution massive de  cartes sans pour autant garantir à leurs titulaires des prestations et des soins de qualité. Les Ramédistes sont souvent obligés d’attendre des mois pour avoir un rendez-vous. Ils sont également contraints de régler avec leurs propres deniers les analyses et l’achat de médicaments », nous a-t-il lancé.  Et de poursuivre : «El Houssaine Louardi se fiche de cette réalité puisqu’il n’a rien à perdre. Et ce sont les médecins, les infirmiers et le corps médical qui doivent payer les pots cassés puisqu’ils se trouvent souvent dans l’obligation d’expliquer à la population que le manque de moyens et de personnel les empêchent d’honorer leurs obligations tout en supportant d’éventuelles  agressions et les accusations qui sont aujourd’hui en nette progression.  Les malades croient qu’on ne veut pas leur délivrer les médicaments prescrits et qu’on ne veut pas les soigner ». 
Notre source ne mâche pas ses mots. D’après elle, le ministre de la Santé veut réussir ce chantier sans y mettre un sou. «Il gonfle le nombre de  bénéficiaires sans donner, pour autant, les moyens aux établissements hospitaliers à même de leur permettre de faire face à l’augmentation de la demande. Le nombre de médecins et d’infirmiers demeure le même et le budget du secteur stagne dangereusement. On est encore loin des 10% du PIB exigés par l’OMS et le nombre de nos fonctionnaires ne dépasse pas les 50.000 alors qu’en France, on les évalue à un million », nous a précisé Mostafa Chanaoui.  Une réalité confirmée par les statistiques de l’OMS qui classe le Maroc parmi les 57 pays qui enregistrent un manque criant au niveau des ressources humaines. Les cadres médicaux représentent entre 0,89 et 0,97 pour 1.000 habitants. Selon l’Association marocaine des sciences infirmières et techniques sanitaires, le nombre d’infirmiers a baissé de 26.494 en 2011 à 25.036 en 2014, soit 840 postes en moins en trois ans. Une situation face à laquelle le département de la Santé est  resté les bras croisés. En fait, sa stratégie de création de 5.000 postes budgétaires à l’horizon 2016 s’avère un vrai fiasco.
Aziz Rhali pense que l’échec ou plutôt les failles actuelles du RAMED sont à rechercher dans ses origines. « Ce régime a été lancé dans un contexte très particulier, marqué par le Printemps arabe et l’émergence du Mouvement du 20 février. Ce système a été plutôt une réaction ou une réponse  à ce contexte social et politique tendu. Le Maroc n’était pas prêt à lancer ce chantier. Il s’agit donc d’un projet qui a été opérationnalisé à l’improviste d’autant plus que les experts étaient unanimes à qualifier de raté  le projet-pilote de Béni-Mellal Azilal lancé en 2008».  Notre source pense que le RAMED n’est pas le seul à avoir  émergé dans un contexte de crise. D’après elle, le dossier de la couverture sociale au Maroc a toujours entretenu des relations étroites avec les tensions sociales. «La première fois qu’on a évoqué la couverture sociale, c’était en 1984 après les évènements de Nador où de simples protestations estudiantines ont fini en bain de sang.  Il a fallu attendre quelques années et, précisément, les évènements de Fès en 1991 pour qu’on parle de nouveau de la couverture sociale pour les plus démunis. En 1993, l’Etat sort l’assurance maladie obligatoire (AMO) de son chapeau avant que les choses ne s’accélèrent sous le gouvernement d’alternance  en 1998 et la promulgation de la loi régissant l’AMO sous le gouvernement Jettou», nous a expliqué le vice-coordinateur du CDSM.
Pour sa part, Mostafa Chanaoui estime que le secteur de la santé n’a jamais été l’une des priorités stratégiques du Maroc comme c’est le cas pour l’enseignement public ou l’agriculture à titre d’exemple. «Le débat sur ce sujet a toujours été occulté. Et pour cause, les lobbies exploitent à fond ce secteur qui est devenu pour eux une véritable vache à lait», a-t-il précisé. Et de conclure : «Aujourd’hui, on détruit ce secteur de l’intérieur pour le faire passer sous les fourches caudines des capitaux privés. Une stratégie déjà expérimentée dans d’autres secteurs et qui consiste à faire imploser un secteur social pour le céder à prix bas aux entrepreneurs privés».


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