Le calvaire des habitants de douar Brahma perdure : La colère des sinistrés enjambe les décennies


Rida ADDAM
Mardi 4 Janvier 2011

Le calvaire des habitants de douar Brahma perdure : La colère des sinistrés enjambe les décennies
Fini le temps de la compassion ! Le drame des sinistrés du bidonville de Brahma Cherkaoua interpelle désormais notre conscience. Plus qu’un fait divers, c’est un fait de société dont la survenue remet les pendules à l’heure des responsabilités.
D’abord celle des habitants. Il s’agit d’ouvriers agricoles, travailleurs à faibles salaires, des paysans pauvres qui ont perdu leurs lopins de terre dans des conditions obscures, des sans domiciles fixes, etc. Ces personnes ne paient rien, ne bénéficient ni d’électricité, ni d’eau courante, ni de service de ramassage des ordures. De fait, il s’agit de gens en difficulté qui n’ont trouvé où aller que dans ce véritable cratère de forme ovale d’environ 14 mètres de profondeur, 300 mètres de long et 200 mètres de large, ancienne carrière d’extraction de la roche pour agrandir la jetée du port de Mohammedia au cours des années quatre-vingts. Ils y ont construit un bidonville «légal».
Les autorités, quant à elles, ont préféré pratiquer la politique de l’autruche en leur délivrant des cartes d’identité nationale, des cartes d’électeurs et d’autres documents administratifs officiels qui portent les adresses du douar Brahma Cherkaoua. Et ce pour des politiques politiciennes et de tripatouillages électoraux.  Un lieu qu’ils savent faire partie de ces endroits où nul ne peut édifier un quelconque logement ou lieu de résidence. Les spécialistes les appellent des zones non-edificandi.
Bref, les uns et les autres ont fermé les yeux. Par intérêt d’abord. Un intérêt mal compris puisque le drame attendu ne pouvait que survenir un jour ou l’autre, mettant ainsi chacun face aux éléments ou à ses responsabilités. Désormais, celles-ci doivent être officiellement assumées car il y a eu mort d’hommes. Un bébé qui a à peine ouvert les yeux sur la vie, a dû rendre l’âme faute de chaleur humaine, de compassion et de soins. 
Pour Ali Fkir, militant associatif et coordinateur du Comité de la défense et de l'action  pour la libération des détenus et de la solidarité avec les victimes des intempéries et de l'exclusion à Mohammedia, «la responsabilité de cette situation inhumaine incombe entièrement aux autorités et au Conseil de la ville de Mohammedia. Ce sont eux qui ont agi dans le sens d’aggraver cette situation… ils ont encouragé, premièrement, ces citoyens à s’entasser dans des baraques sans les moindres droits élémentaires d’une vie saine ». Il a, en outre, précisé que «ces autorités n’ont présenté aucune assistance à ces personnes en détresse». «Aucun secours ou aide substantielle n’ont été apportées à ces sinistrés, seule une répression des sit-in pacifiques organisés par les sinistrés et des arrestations arbitraires de certains éléments actifs ont été enregistrés depuis le jour des inondations», a-t-il déploré. Pis, a-t-il poursuivi, «la responsabilité des autorités est flagrante dans la misère de ces sinistrés puisque les forces de l’ordre ont eu recours à des méthodes illégales pour arrêter des innocents. Les gendarmes avaient demandé aux habitants de désigner leurs représentants pour dialoguer avec le gouverneur. Les six volontaires d’entre eux se sont retrouvés en prison».


Les sinistrés du bidonville de Brahma à Mohammedia ont clôturé l'année 2010 par une dernière vague de protestations. Pour eux, le réveillon est peu exotique : sous les lumières des bougies, dans un froid de canard auquel ils commencent à s'habituer et avec une faim qui devient un membre de la famille, ils ont fêté le nouvel an. Et pas n'importe comment. Ils traînent avec eux leurs malheurs et leurs souffrances pour une nouvelle année pleine de surprises. Leurs proches incarcérés à tort risquent lourd, leurs baraques inondées ne tarderont plus à s'effondrer, leurs modestes meubles ne servent plus à rien, leurs enfants ont quitté l'école, les maladies menacent les plus vulnérables et les femmes enceintes avortent et les bébés sont mort-nés. Le tableau n'est certes pas beau à voir. Pire : il est dur à vivre. En revanche, rien de concret de toutes ces promesses qu'ils étaient obligés d'avaler, depuis de longues années et même récemment suite aux dernières inondations, n'a vu le jour. Ils attendent toujours la réalisation des dernières promesses du gouverneur de la ville qui leur a promis par le biais de son chef des affaires générales (DAG) des lots de terrain dans les plus brefs délais. Ils ont même signé, selon certains membres du «Comité de la défense et de l'action pour la libération des détenus et de la solidarité avec les victimes des intempéries et de l'exclusion à Mohammedia», un engagement les obligeant à quitter leur bidonville juste avant l'acquisition des lots de terrain promis. Une initiative des autorités locales que les habitants qualifient de porteuse si toutefois elle ne s'avérait pas une simple promesse en l'air pour apaiser les tensions. La lutte des sinistrés se poursuit donc jusqu'à la fin de leur calvaire qui dure bien depuis de nombreuses décennies. C'est la raison pour laquelle, des centaines de sinistrés du douar Brahma Lhofra et de Haj Miloudi ont observé leur sit-in ouvert au siège de la section locale de l'AMDH. Une initiative organisée en collaboration avec les ONG locales et le «Comité de la défense et de l'action pour la libération des détenus et de la solidarité avec les victimes des intempéries et de l'exclusion à Mohammedia» dans le cadre d'une grande campagne de solidarité et de sensibilisation menée depuis le jour du drame. Les sinistrés qui protestent contre la passivité des autorités locales qui n'ont fait qu'aggraver leur douleur en emprisonnant à tort six de leurs proches, réclament par ailleurs la résolution de leur situation qui empire d'année en année. Surtout qu'ils déclarent tous avoir été victimes d'une politique générale des responsables qui les encourageaient à s'installer dans ces bidonvilles à des fins purement politiques. D'après les plus âgés de ces bidonvilles, ce sont les anciens responsables de l'autorité publique et les élus qui les ont installés dans ces lots de terrain appartenant à la fois aux domaines communaux et aux particuliers. Il y en a même ceux qui nous ont affirmé que certains agents d'autorité  leur avaient fourni, bien longtemps, des aides financières pour s'y installer. Et ce, dans le cadre d'une stratégie bien étudiée pour manipuler les élections. Ceci dit, ces gens qui avaient servi, au départ de leur installation sur ces sites insalubres, de voix électorales louées au mieux disant ou à celui qui représente une opinion politique proche du pouvoir, continuent à jouer ce rôle. Sauf que depuis quelques années, ils le font pour leurs propres intérêts. «Dans ces trous à rats, comme le qualifie la presse internationale, les gens ne sont que des voix pour influencer les urnes. Une fois la campagne électorale terminée, ils sont traités moins que des êtres humains ayant des droits», crie un militant associatif furieux de cette situation qui perdure.
Rappelons dans ce sens, que même les propriétaires des terrains envahis par les bidonvilles réclament leur éradication pour récupérer leur bien. Ce qui est difficile puisque la plupart des bidonvillois sont des locataires. Ils occupent ces terrains depuis de longues années à des prix dérisoires qu'ils versent chaque année aux propriétaires.  Mais avec le boom de l'immobilier, ces terrains valent bien des millions de dirhams. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle plusieurs procès ont vu le jour. Le tribunal a toujours donné raison aux propriétaires sauf pour les terrains agricoles occupés par les ouvriers agricoles du patron. L'évacuation a toujours provoqué la grogne de l'opinion publique qui réclame des solutions concrètes en faveur des occupants des terrains installés par les responsables qui envoient aujourd'hui leurs agents d'autorité faire exécuter les jugements.

     Qui est donc responsable de cette situation qui provoque la colère des sinistrés et de l'opinion publique qui n'admet plus que ce calvaire persiste jusqu'à la deuxième décennie du 21ème siècle? Est-ce les responsables qui les encourageaient par le biais des aides financières et des multiples promesses à s'installer sur ces terrains vierges dans les quatre coins de la ville ? Ou devons-nous accuser ces bidonvillois qui n'avaient pas d'autres alternatives? Qui partage la responsabilité dans ces bidonvilles qui ont poussé en un temps record comme des champignons dans toutes les villes du pays? Où étaient les autorités locales et les élus qui ont légitimé leur existence en leur fournissant des documents administratifs et surtout des cartes d'électeurs? Des questions multiples qui interpellent toutes les consciences vives de la société marocaine. D'après les observateurs, il ne fallait pas attendre que la catastrophe ait lieu pour paniquer et commencer à y trouver des solutions à la hâte pour occulter leurs responsabilités dans la création de ces bidonvilles. «Certes, il est temps d'avouer que toutes les composantes de la société partagent par leur silence, la responsabilité de ce malheur qui se poursuivra bien longtemps si l'on ne réagit pas fermement en trouvant des solutions adéquates au phénomène des bidonvilles. Surtout que nous avons dépassé tous les deadlines déclarés par le ministère de tutelle qui n'a cessé de promettre l'éradication des bidonvilles et des quartiers insalubres à partir de fin 2008», déplore un autre associatif. Sur le tas, d'après les chiffres et l’ampleur des dégâts enregistrés lors des dernières inondations, le phénomène est plus grave que l'imaginent les officiels. Ces derniers sont les premiers accusés de cette situation. Tout le monde les pointe du doigt. Les sinistrés, les ONG et l'opinion publique locale les accusent également de ne rien faire pour subvenir aux besoins des sinistrés. Ils les accusent surtout de leur inertie lors des inondations. Est-ce vrai ? Leur absence sur le terrain était flagrante au moment du drame. Ils n'ont même pas attribué des aides aux sinistrés qui ont passé plusieurs nuits dans les rues et dans une école à proximité du bidonville sinistré. Ce qui a provoqué la grogne des habitants de la ville surtout après l'arrestation des 8 bidonvillois (6 de Brahma et 2 de Haj Miloudi) dans le seul but d'opprimer tout mouvement de colère.  
Rappelons qu'aucune politique d'éradication des bidonvilles n'a encore donné ses fruits, à l'échelle locale ou nationale. A chaque catastrophe humaine, les officiels s'adonnent à un recensement qui ne sert pratiquement à rien. Les gens sont là, leurs baraques aussi. Le malheur persiste davantage avec le temps. Jusqu'à quand ? Personne ne peut trancher. Une chose est sûre : des milliers de sinistrés vivent toujours dans la misère. Ils attendent la concrétisation des promesses du gouverneur qui a entamé, d'après ses cadres des affaires générales, un processus sérieux d'éradication. De quoi s'agit-il vraiment? Personne ne le saura tant les officiels de la ville travaillent dans l'anonymat et préfèrent être sournois. Ce qui provoque l'inquiétude des sinistrés, doutant des paroles vagues et sournoises des officiels. Sur le tas, la vérité est ailleurs. En un mot : c'est le statu quo. 



Lu 916 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Dossiers du weekend | Actualité | Spécial élections | Les cancres de la campagne | Libé + Eté | Spécial Eté | Rétrospective 2010 | Monde | Société | Régions | Horizons | Economie | Culture | Sport | Ecume du jour | Entretien | Archives | Vidéo | Expresso | En toute Libé | USFP | People | Editorial | Post Scriptum | Billet | Rebonds | Vu d'ici | Scalpel | Chronique littéraire | Chronique | Portrait | Au jour le jour | Edito | Sur le vif | RETROSPECTIVE 2020 | RETROSPECTIVE ECO 2020 | RETROSPECTIVE USFP 2020 | RETROSPECTIVE SPORT 2020 | RETROSPECTIVE CULTURE 2020 | RETROSPECTIVE SOCIETE 2020 | RETROSPECTIVE MONDE 2020 | Videos USFP | Economie_Zoom | Economie_Automobile | TVLibe











L M M J V S D
      1 2 3 4
5 6 7 8 9 10 11
12 13 14 15 16 17 18
19 20 21 22 23 24 25
26 27 28 29 30 31  





Flux RSS
p