Le blé dur, de plus en plus rare au Maroc : Les agriculteurs tirent la sonnette d’alarme


Hassan Bentaleb
Vendredi 30 Décembre 2011

Le blé dur, de plus en plus rare au Maroc : Les agriculteurs tirent la sonnette d’alarme
La production marocaine de blé dur risquera-t-elle de ne plus être qu’un souvenir dans les années à venir? Oui, si l’on en  croit Atifi Baydoun, président de la Fédération des associations de Baghati (FAB) à Safi, une région connue par la qualité de sa production en blé. A cet égard, il tire la sonnette d’alarme en révélant que les agriculteurs s’adonnent peu à la culture du blé dur vu le coût élevé de sa production et la faiblesse de son  rendement. Des propos qui placent sous leur jour véritable la décision adoptée lors du dernier Conseil de gouvernement et concernant la prorogation de la suspension de la perception du droit d'importation applicable au blé dur et au blé tendre jusqu'au 28 février 2012.
Une mesure destinée à assurer un approvisionnement normal du marché local en ces denrées, dans une conjoncture internationale marquée par la hausse de leurs prix et la faible qualité constatée du blé tendre produit localement, a expliqué un communiqué du  gouvernement ajoutant que le rétablissement de la perception du droit d'importation, à partir du 1er janvier 2012 (aux taux du droit d'importation de 135% pour le blé tendre et de 80% pour le blé dur) risque d'inciter les détendeurs actuels de blé à imposer des prix élevés en profitant du fort niveau de protection tarifaire.
«Le Maroc était réputé jusqu’il y a peu, par sa culture de blé dur. A l’aube de l’indépendance, il en exportait même en grandes quantités. Mais aujourd’hui, la situation a beaucoup changé du fait qu’une grande majorité des agriculteurs, notamment les petits se sont orientés vers la culture du blé tendre. Si dans le passé, on emblavait  20 hectares en blé dur contre deux en blé tendre, aujourd’hui, c’est l’inverse qui se fait. Et pour cause : le blé dur  est plus vulnérable aux conditions climatiques. Il résiste mal au froid et dépérit  rapidement au moindre problème», nous a indiqué le président de la FAB.Mais il n’y a pas que le climat à blâmer, ajoute M. Baydoun, il y a également la question des fonds à investir pour ce faire. Selon lui, un hectare de blé dur coûte plus cher à produire que celui emblavé en blé tendre avec, au final, un rendement plus faible.   
« Un hectare de blé dur coûte à peu près 4.920 DH de charges réparties comme suit : 870 DH pour deux quintaux de semences de blé, 1.000 DH pour cinq labours par an, 150 DH pour un semi, 300 DH pour les produits phytosanitaires, 1.000 DH pour l’achat d’azote et 300 DH pour les moissons. Si les conditions climatiques sont bonnes et clémentes, un hectare peut livrer 30 sacs de blé dur vendus chacun à 220 DH ; soit un rendement de 6.600 DH sur deux ans ou 3.300 DH par an, ce qui n’est pas énorme vu le travail et les efforts fournis en amont et en aval. C’est pourquoi beaucoup d’agriculteurs ne sont plus attirés par la culture du blé dur », nous a-t-il précisé.
Même appréciation du côté de Abdellatif Hmadass, un agriculteur de Sebt Gzoula à Safi, qui a estimé que les agriculteurs ont perdu  confiance dans la culture du blé dur puisque son prix de vente sur le marché ne se différencie pas trop du blé tendre alors qu’il coûte cher à la production.  
Il pense également que les habitudes de consommation des Marocains sont devenues de plus en plus concentrées sur le blé tendre. « Même les minoteries accordent plus d’intérêt au blé tendre vu sa couleur blanche, même si sa qualité est moindre, qu’au blé dur », nous a-t-il précisé.
Et qu’en est-il du rôle du département de l’Agriculture concernant cette question ? « Il y avait une initiative adoptée par le Centre de travail agricole (CTA) de Jemmaat Shyame pour encourager les agriculteurs à s’orienter vers la culture du blé dur en bénéficiant, en contrepartie, des engrais et phytosanitaires à des prix moins chers et avec des crédits ou des facilités de paiement. Mais l’expérience est vite tombée à l’eau vu le manque d’enthousiasme des parties concernées », nous a révélé M. Baydoun qui déplore l’absence d’experts du ministère de tutelle sur le terrain et l’improvisation qui caractérise les politiques menées sur place. « Chaque année, on a droit à une nouvelle gamme de semences de blé. Nos champs se sont transformés en laboratoires. La société spécialisée dans l’importation des marques de blés, nous impose des marques qui ont fait leur preuve dans d’autres pays sans prendre en considération les réalités du terrain. Une marque qui a réussi en Espagne ne veut pas dire qu’elle va automatiquement s’acclimater et réussir au Maroc », nous a-t-il déclaré.
Un jugement que partage Moustafa Belmaatou, de l’Association El Hana pour le développement rural, qui s’interroge sur le rôle des chercheurs et des laboratoires relevant du département de l’Agriculture dans le développement de la culture du blé.
Selon lui, ils ont failli à leur mission. La valorisation et l’amélioration des produits agricoles restent insuffisantes et le transfert technologique entre le chercheur et l’agriculteur fait encore défaut.
Pour lui, c’est la sécurité alimentaire du pays qui est en jeu. D’autant, que la balance alimentaire reste déficitaire pour plusieurs produits et que le taux d'autosuffisance alimentaire se situe pour les produits de base, en moyenne, à 80 % pour les céréales, 60 % pour le sucre et  85% pour le lait et dérivés.
Une situation que le plan Maroc Vert ne semble pas avoir prise en ligne de compte puisqu’il a relégué l’incontournable notion de sécurité alimentaire aux calendes grecques. Particulièrement en ce qui concerne la céréaliculture. A cet effet, il prévoit de faire baisser de 22% les superficies qui lui seront dédiées en l’an 2020 en espérant voir la production suivre une courbe contraire et passer de 53 millions de quintaux actuellement à 76 en cette même année, moyennant l’injection de quelque 11 milliards de DH. Une simple vue de l’esprit, selon les agriculteurs concernés et particulièrement les plus petits d’entre eux. Ces derniers s’attendent donc à des temps de plus en plus difficiles et risquent de se retrouver contraints de choisir la voie de l’exode rural. 


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