Le Plan d’Action de Rabat concrétisé à Béni Mellal: Discours de haine ? Liberté d’expression plutôt, tranche la Cour


Hassan Bentaleb
Dimanche 3 Novembre 2024

Le Plan d’Action de Rabat concrétisé à Béni Mellal: Discours de haine ? Liberté d’expression plutôt, tranche la Cour
Une première dans les annales juridiques du Royaume du Maroc. Dans un jugement récent, le tribunal de première instance de Béni Mellal a pris en compte les normes internationales dans sa définition de la haine et de l’hostilité adoptant, par là même, le Plan d'action de Rabat visant à éviter de restreindre la liberté d'expression.

Avancée significative

Il s’agit d’un  jugement qui marque une avancée significative dans l’histoire juridique marocaine, illustrant une application approfondie des normes internationales dans les affaires de discours de haine. Dans cette décision pionnière, le tribunal a intégré le Plan d’action de Rabat, mis en place par le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies, comme cadre de référence pour interpréter les notions de haine et d’hostilité, en s’efforçant de préserver la liberté d’expression. Ce choix inédit a conduit le tribunal à abandonner les poursuites engagées contre un conseiller communal, accusé de propos haineux, racistes et discriminatoires à l’égard de marchands ambulants originaires d’El Kelaâ des Sraghna et de Rhamna, accusés d’occasionner du désordre dans la ville et de perturber le trafic à Béni Mellal. L’association de défense des droits humains plaignante considère ces propos comme une forme de discrimination raciale, remettant en question les engagements internationaux du Maroc et portant atteinte à la liberté de circulation garantie par la Constitution.

Insuffisance

En se penchant sur le délit d’incitation à la discrimination, le tribunal a examiné les dispositions de l’article 431-1 du Code pénal, qui interdit toute distinction discriminatoire fondée sur des critères tels que l’origine, la couleur, le sexe, la santé ou les croyances religieuses et politiques. Ce même cadre est renforcé par l’article 431-4, qui interdit l’incitation à la discrimination ou à la haine par tout moyen public, y compris électronique.

L’analyse de ces articles a permis au tribunal de conclure que les éléments constitutifs d'un délit d'incitation à la discrimination faisaient défaut. En conséquence, il a jugé que les propos tenus par le conseiller communal, bien qu’inappropriés, ne sont pas suffisamment graves pour justifier une condamnation. A noter, cependant, que concernant la question de l’incitation à la haine, l’article 431-5 prévoit, en effet, des peines d’emprisonnement et des amendes pour toute personne incitant à la haine ou à la discrimination en public ou par tout média.

Susceptibilité

Et afin de contextualiser sa décision, le tribunal a rappelé les engagements internationaux souscrits par le Maroc, notamment dans le cadre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui interdit tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse. En outre, le tribunal a pris en compte la définition des termes «haine» et «hostilité» proposée par le Maroc lors de la mise en place du Plan d’action de Rabat en 2012. Selon cette définition, ces termes désignent des sentiments irrationnels et agressifs de mépris, encouragés à l’encontre d’un groupe spécifique. Le terme «incitation» renvoie à des discours susceptibles de provoquer un danger imminent de discrimination, de violence ou d’animosité envers des groupes spécifiques.

Critères

Dans le but de limiter au minimum les restrictions à la liberté d’expression, le tribunal a expliqué que le Maroc utilise désormais six critères principaux pour évaluer si un discours constitue un crime pénal, à savoir  le contexte qui implique d’évaluer la position de l’auteur du discours ainsi que la situation dans laquelle il est tenu. Cela inclut le statut social ou politique de l’auteur vis-à-vis de son public.

Il y a également le critère de l’intentionnalité qui exige de démontrer une volonté explicite d’incitation, au-delà d’une simple expression d’opinion. L’article 20 du Pacte international précise que l’incitation doit être intentionnelle et non involontaire. Idem pour la finalité du discours et son public qui doit essentiellement déterminer si le discours visait à mobiliser ou inciter un auditoire particulier à une action discriminatoire.

Le fond et la forme sont aussi pris en compte. Leur analyse consiste à examiner les propos eux-mêmes, leur caractère provocateur et direct, ainsi que le style et les arguments employés par l’auteur.

Il y a aussi la teneur du discours qui évalue l’ampleur de  son impact, y compris sa diffusion, le canal utilisé et la portée potentielle auprès du public visé. Et la probabilité d’incitation qui rappelle que l’incitation est un crime incomplet, car  n’exigeant pas la réalisation effective de l’acte pour être reconnu. Toutefois, le tribunal doit évaluer si le discours contient une probabilité réelle et directe d’inciter à des actions dommageables envers un groupe cible.

Référence

En appliquant ces critères, également observés dans des pays comme la Tunisie et la Côte d’Ivoire et adoptés comme références dans les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, le tribunal a déterminé que les propos du conseiller communal de Béni Mellal ne pouvaient être qualifiés d’incitation à la haine. Ces déclarations ont été faites dans un cadre restreint, lors d’une session interne du conseil communal, sans visée de diffusion publique ni d’appel direct à l’action, ce qui a renforcé la décision de non-lieu. Cette interprétation marque ainsi une nouvelle orientation pour le Maroc, affirmant une approche plus nuancée de la lutte contre les discours de haine tout en protégeant fermement la liberté d’expression.

Hassan Bentaleb       


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