Les attentats du 16 mai ont mis en lumière un des aspects de l'islamisme radical: la bombe humaine qui suscite l'horreur par le nombre élevé de victimes qu'elle fait périr en tout état de cause.
Le choix de l'attentat terroriste est dû en grande partie au fait qu'il est peu onéreux à réaliser et que derrière l'acte lui-même, il s'agit de démontrer à l'"ennemi" la détermination absolue de son auteur à aller jusqu'au bout de ses convictions.
Selon le credo des intégristes, il faut être pur pour être accepté au paradis et on peut se purifier en se lavant avec le sang de celui qui est jugé sale.
D'autant plus que les bombes sont de plus en plus faciles à fabriquer (notamment grâce à Internet qui fournit de nombreuses informations sur leur composition). Les bombes du 16 mai furent très archaïques et se constituaient de bonbonnes de gaz, de clous et de boulons.
En plus des trois survivants tombés entre les mains de la police, en l'occurrence Mohamed Omari, Rachid Jalil et Hassan Taoussi, douze terroristes ont trouvé la mort lors de ces attentats.
Nous produisons ci-dessous des profils de onze parmi eux, puisque nous ignorons jusqu'à présent l'identité de la douzième bombe humaine.
Il s'agit de:
_______________________________________________________________________ Prénom et nom Date de naissance Âge Profession Lieu de résidence Niveau scolaire Remarques
Youssef Kawthri 1972 31 ans Ouvrier Sidi Moumen Baccalauréat
Khaled Benmoussa 1982 21 ans Coiffeur Sidi Moumen École primaire
Adil Taïe 1982 21 ans Sidi Moumen École primaire
Saïd Abid 1974 29 ans Chômeur Sidi Moumen, École primaire Eclaireur ayant prospecté les lieux choisis pour les attentats des 9 et 16 mai
Khalid Taïb 1980 23 ans Journalier Sidi Moumen École primaire
Mohamed M'hani 1979 24 ans Étudiant Sidi Moumen Baccalauréat
Ahmed Laâroussi 1976 27 ans Sidi Moumen 4e Collège
Abdelfettah Bouliqdane 1975 28ans Journalier Sidi Moumen Collège Chef du groupe
Mohamed Hassouna 1982 21 ans Sidi Moumen Baccalauréat
Mohamed Arbaoui 1981 22 ans Soudeur Abderrahim Belcaïd 1977 26 ans Ouvrier
A la lecture de ce tableau, il y a lieu de conclure que le niveau scolaire de l'ensemble du groupe ne dépasse pas le baccalauréat: les bombes humaines se font de plus en plus rares au fur et à mesure que l'on avance dans les cycles de l'enseignement. Elles sont toutes issues du même quartier, Sidi Moumen, et la plupart d'entre elles sont originaires de Casablanca, selon les indications fournies par les autorités.
Conformément à la tradition jihadiste, les volontaires de la mort sont de sexe masculin, jeunes (entre 21 et 31 ans), religieux, célibataires et sans emploi ou ayant un emploi précaire. Contrairement à certaines approches qui affirment qu'au moment de leur ralliement, les terroristes sont de jeunes gens naïfs et immatures et vulnérables à l'endoctrinement, dans le cas des attentats de Casablanca, les terroristes les plus jeunes ont au moins 21ans. Ils ont rallié la mouvance radicale bien après l'adolescence et sont à même de résister à n'importe quel lavage de cerveau.
Mais cela ne les empêche pas d'être à mille lieux des militants de la gauche des années soixante et soixante-dix du siècle dernier- des hommes généralement instruits et capables de réciter par coeur l'histoire de leur pays, qui se souvenaient avec nostalgie de leur enfance et savaient raconter des légendes et des récits tirés du passé. Ces jeunes appartiennent à une génération qui n'a jamais connu la paix sociale.
Sans mémoire, sans projet d'avenir, ils ne vivent que pour le présent. Ces orphelins de l'indépendance, sans racines ni points d'attache, souvent sans travail, constituent une masse de laissés-pour compte qui n'ont guère la possibilité d'exercer leur jugement. Leur foi simpliste en un islam messianique et puritain leur a été inculquée par de modestes prédicateurs de quartiers et des imam autoproclamés; elle est leur seul soutien, elle seule donne sens à leur vie.
Et à l'instar de ce qui s'est produit sous d'autres cieux, les attaques suicides sont considérées comme la "bombe intelligente" suprême du pauvre. Efficaces et spectaculaires, elles annulent le risque de voir leurs auteurs arrêtés et interrogés. Mais, pour les rescapés, qui n'ont pas pu aller jusqu'au bout de leur projet, leurs tentatives sont payées au prix fort, en termes d'endurance, aussi bien avant leur arrestation qu'au moment de la torture et de l'emprisonnement.
Les rescapés
L'arrestation de trois rescapés sera déterminante pour l'enquête de la police. Dans la foulée de leurs aveux, ils lâchent le nom de Abdelhaq Bentassir, surnommé Moul Sebbat (cordonnier). Arrêté le 26 mai à Fès et considéré comme "le principal coordinateur" des attentats, ce dernier décédera subitement durant son transfert à l'hôpital Avicenne de Casablanca, le mercredi 28 mai 2003. Avec lui, la piste qui devait mener aux commanditaires est enterrée.
Du coup, c'est le témoignage d'Omari, considéré comme le chef exécutif des attentats, qui sera crucial pour reconstituer le fil des évènements. Personnage central du drame, il a hébergé les meneurs de l'opération, et secondé Abdelfattah Bouliqdane, principal et unique agent de liaisons entre Moul Sebbat et les bombes humaines, tout au long de l'opération.