Langue amazighe : un linguicide délibéré ?


Par Mohamed Azergui
Vendredi 1 Avril 2011

Langue amazighe : un linguicide délibéré ?
Tamzgha ou Afrique du Nord est riche par sa nature aux ressources multiples et diversifiées. Ses habitants de base sont les imazighens depuis toujours. Ils n'ont jamais eu besoin dans le passé d'aller ailleurs pour survivre. Par contre, Tamazgha a été envahie par des peuples du Nord et de l'Est. Les Imazeghens ont lutté contre les Phéniciens, les Romains, les Vandales et les Arabes. Ils ont vite balayé la brève colonisation française et espagnole du siècle dernier. Pour résister, combattre et vaincre, ils se réfugient loin du littoral dans les montagnes et dans leur langue. Les occupants utilisent la force, la sujétion, les mythes, les dieux et les religions pour éteindre la langue amazighe âme d'union. Les Imazighens intègrent dans leur langage des apports positifs des dominants de passage tout en restant fidèles à leur langue. Ainsi, au départ des colons européens (1956), la majorité des Marocains sont ruraux et parlent encore amazigh. Ce n'est plus le cas aujourd'hui un demi-siècle plus tard. Aux dires de tous, la langue amazighe est menacée d'extinction définitive dans une génération ou deux. Ce qui est supposé dans ce texte est que ce linguicide de la langue amazighe est délibéré quelque part par obédience au Moyen Orient arabe.
 Le panarabisme est une idéologie ethnique de l'élite arabe au 19ème siècle pour affronter les Turcs. Dans les années 50 du XXème siècle, le panarabisme devient un outil de la propagande de Nasser. Il  prône «une Nation de l'Océan au Golfe, une religion, et une langue : l'arabe ». Au Maroc, un vieux Parti de droite a le pouvoir politique et économique depuis un demi-siècle. Ses leaders (zaîms) sont des citadins nantis, panarabes par intérêts et calculs de clan. Ils dissimulent leur crainte ancestrale du démon amazigh, mais ne cachent pas leur aversion de la langue amazigh. Ils profitent du contexte nassérien de l'époque et optent pour l'identité arabe. Ils manœuvrent dans les coulisses du pouvoir et ils imposent la langue arabe à tous les Marocains.
Plusieurs Constitutions sont préparées dans les hautes sphères de l'Etat et publiées depuis 1962. Elles sont plébiscitées par les urnes grâce aux soins des scribes et sbires du Makhzen. Elles décrètent toutes que l'arabe est la langue officielle du Maroc. Elles ignorent la langue amazighe au lieu de la protéger par respect pour la majorité de la population.
Le prétexte trompeur avancé est de remplacer les langues des colons par celle du Coran. L'usage de la langue amazighe est dès lors banni de l'administration, de la justice, de l'école, des services publics, et des médias. Les Marocains parlant la seule langue amazighe sont éliminés de la scène culturelle et de la vie politique. Ils ne s'adressent aux institutions du Makhzen que contraints, ils parlent alors un arabe dialectal bâtard. Ils préfèrent régler leurs soucis et conflits entre eux dans la confiance et l'intimité de leur langue. Par ailleurs, ils se méfient des barbus qui pullulent au pays et crient : « La langue arabe est sacrée, choisie par le ciel pour s'adresser aux hommes d'ici bas, c'est la langue de l'au-delà».
La langue amazighe est devenue hors la religion, hors la loi, une langue de rebelles, une âme à éteindre. Ses défenseurs sont accusés d'être en connivence avec les anciens colons et certains sont en prison. L'arabisation forcée de tous n'est pas nouvelle dans l'Histoire de Tamzgha. Ainsi au XVIIème siècle, à défaut de génocide, les hordes arabes de Béni Hillal, faisaient le linguicide amazigh par la contrainte dans nos contrées du Sud.
Leurs descendants et cousins, chefs du Polisario feraient pire dans leur lugubre soi-disant république arabe, si par malheur ils y arrivent. Au pays, hier et aujourd'hui ce terrorisme linguistique est de mise : «Ne parle pas amazigh. Parle arabe, langue du Coran et de la Constitution, ou tais toi » vous dit avec agressivité l'arabophone. La langue amazighe parlée encore presque par tous les Marocains dans les années 50 du siècle dernier, se trouve refoulée dans les campagnes ou reléguée au foyer en ville.
 Au Maroc les campagnes se vident, les villes s'emplissent, éclatent et se multiplient dans la misère. Les Amazighs immigrent en groupe en Europe ou vont en masses dans les villes littorales du pays. Là, hommes, ils sont ouvriers, serveurs, boutiquiers. Femmes, elles deviennent des bonnes à tout faire. Pour survivre, ils doivent parler la langue du dominant économique en ville : l'arabe dialectal régional. Le citadin lui se perçoit maître tenu de civiliser et par là d'arabiser ces berbères venus des monts. L'arabophone est monolingue et il s'en vante et l'amazigh est obligé d'être bilingue et il en souffre. Parler amazigh dans les milieux publics urbains est prohibé par les regards hostiles suivis d'invectives. Il y a une répression arabiste à peine voilée contre l'amazigh et sa langue dans la cité marocaine. Elle agit par anecdotes, blagues, et assertions mimant et ridiculisant les amazighs en ville et leur langue. N'importe quel vaurien peut lancer des avanies semi-racistes aux boutiquiers amazighs. Le mot chleuh toujours utilisé pour interpeler l'amazigh en ville signifie brigand en arabe classique.
Exprimer ses plaintes, ses besoins ou soucis en tamazight aux autorités de la cité est interdit. L'Amazigh arrivé en ville est poussé par le milieu à dissimuler sa langue maternelle. Son discours intime en tamazight montre qu'il se perçoit étranger. Il vit dans des villes où sa langue est mal venue.  Il souffre dans l'anonymat urbain et l'exclusion linguistique. Il se console dans sa petite boutique en écoutant des chansons amazighes ou fredonnant des chants amazighs pour endurer les pénibles travaux dans les chantiers. Il a laissé sa demeure, et ses terres dans les campagnes et les montagnes pour survivre dans la ville arabisée. Il rêve de réaliser un projet d'avenir meilleur pour ses enfants par l'école accessible en ville. C'est justement là à l'école que l'Etat arabiste l'attend pour anéantir sa langue amazighe.
Dans mon enfance, les colons nous imposent leur langue à l'école et excluent l'arabe et l'amazigh. En 1957, une commission de l'éducation décide l'arabisation de l'enseignement et exclut l'amazigh. Des milliers d'enseignants marocains sont recrutés à la hâte. Ils sont sans vocation, mal formés, mal payés, mais ils sont les outils dociles de l'arabisation à outrance. La langue arabe devient la langue de l'enseignement de l'école publique du cours préparatoire à la terminale. Les contenus scientifiques (mathématiques, sciences) sont mal arabisés, mal enseignés et mal assimilés.
Les contenus à fond culturel (littérature, histoire, instruction islamique et civique) encensent le pouvoir, le panarabisme et le Moyen Age arabe. Les enseignants de ces matières sont panarabes et panislamistes convaincus.
L'élève acquiert péniblement un arabe classique, non utilisé ni dans la société, ni dans la formation, ni dans le métier. L'élève amazigh est enfermé par la langue arabe dans un univers archaïque qui de plus n'est pas le sien. La langue amazighe est axée sur le vécu, la nature, la terre, l'amour et non sur les déserts, guerres, gloires et princes. Aucun texte des manuels scolaires en vigueur dans le pays ne fait allusion à la langue, la culture, l'histoire et l'identité amazighes. Là où il se trouve dans tout le pays, au village et en ville, l'élève amazigh subit durant des années le dressage scolaire arabiste. Résultat : l'enfant, l'adolescent et le jeune amazighs voient leur langue ignorée, et se voient exclus de l'Histoire, de la culture et de l'identité du Maroc par les programmes en vigueur dans le Royaume. Ils quittent l'école publique illettrés, sans formation, chômeurs, mais arabisés. C'est peut-être là le seul et vrai but de la Commission d'antan (1957). Un demi-siècle plus tard, l'école publique marocaine est en faillite chronique. Mais peu importe pour les dirigeants, l'essentiel pour eux est de mettre les générations amazighes dans le moule panarabe. Leurs descendants vont dans les écoles privées ou affiliées aux ambassades européennes. Ils parlent mal l'arabe, ignorent et méprisent le tamazight.
Ils remplacent déjà leurs parents et prennent les commandes du pays. De nos jours, ce cynisme ne trompe plus personne. Malgré cela, les massmédias traditionnels sont là pour continuer à occulter l'échec de l'arabisation et à accélérer la mise à mort de la langue amazighe.
 Le terme massmédia englobe la radio, les journaux, revues, les TV et les NTIC dont l'internet. Au Maroc les radios nationales émettent en arabe ou en français. Elles louent la langue arabe, sous-estiment les autres langues surtout le tamazight qualifié de dialecte berbère. Elles présentent dans les heures de faible audience des chansons amazighes : «Voix, rythmes des monts et des vallées ». Ce qui insinue qu'elles sont sans valeur artistique en comparaison avec « les mélodies andalouses ». Les radios régionales sont arabophones même dans des provinces amazighes, et sont peu écoutées. La radio nationale qui émet en amazigh depuis longtemps certes, demeure sous équipée à dessein. Elle se capte avec peine même dans les provinces amazighes et pratiquement pas du tout ailleurs. Elle présente des émissions qui s'écoutent le soir et la nuit à domicile en famille presque en paria. Ces émissions glorifient le pouvoir et louent la langue, la culture et l'identité arabes en tamazight !. Elles sont écoutées non pour le discours démagogique mais pour entendre les chansons amazighes. Ces chansons reflètent la nature, la douleur, la sagesse amazighes, et permettent de rêver de liberté. Par contre, les TV du pays et celles d'Orient arabe ne donnent pas le droit de rêver. Elles accaparent la vue, l'ouïe, et aliènent l'esprit du téléspectateur. Les deux TV nationales qui émettent en continu, en arabe et en français excluent la langue amazighe. Parfois elles présentent, tard dans la nuit des chansons amazighes pour combler le temps des grisés des villes. Cependant, les deux TV du pays émettent en amazigh et en heures de grande audience lors des mascarades électorales. Du coup, on découvre que tels leaders arabistes convaincus parlent bien le tamazight, langue de leurs parents. Les amazighs sont désarmés et affligés devant ce rejet et mépris médiatique de la langue amazighe.
Certes ils ont obtenu un début de gain de cause depuis peu, mais le mal est fait. La blessure faite par les radios et TV du pays dans la mémoire et la conscience collectives amazighes est profonde. Cette plaie est aggravée et infectée au quotidien par la presse écrite nationale.
 Les quotidiens et revues de droite et de gauche ignorent ou banalisent souvent la langue amazighe. Leurs ténors et lettrés dégurgitent leur logorrhée sur la suprématie et la sacralité de la langue arabe. Ils assurent doctement que « le tamazight est un dialecte de même origine que la langue arabe mais qu'il faut l'oublier ». C'est le discours du dominant envers le dominé: « Nie ta langue amazighe, parle arabe et alors tu deviendras civilisé ». De leur côté, les écrits de la gauche marocaine Censés défendre la justice ; participent à ce linguicide de tamazight. Ils utilisent une autre logique pour ne pas trop blesser les sentiments de leurs militants pour la plupart amazighs.
Ils argumentent que la lutte des classes, le socialisme et le communisme sont les vrais buts des masses. Dès lors, lutter pour la langue, la culture et l'identité amazighes est une déviation politique grave. Ils dissimulent mal que leurs leaders et cadres sont des nostalgiques de la domination arabe d'antan. Les plaintes maintes fois exprimées par la base amazighe de ces partis sont écoutées mais occultées. Par ailleurs, depuis deux décennies, la presse panislamiste apparaît et se développe, elle avance une autre rhétorique. L'argumentaire en est : « Nous sommes certes des amazighs par nos origines, mais nous sommes arabisés par l'Islam ». Défendre une autre langue en particulier la langue amazighe devient au sein de cette rhétorique un blasphème. Donc qu'elle soit de droite, de gauche ou panislamiste, la presse marocaine est contre la langue amazighe. Pour flatter l'ethnocentrisme panarabe de ses lecteurs arabes, elle n'hésite pas à accuser les défenseurs de la langue amazighe de félonie, voire de sionisme.
Cependant un petit vent de liberté, depuis l'avènement de S.M Mohammed VI a permis la parution d'une jeune presse amazighe (le Monde amazigh, Tiwizza, Agraw, et revues). Elle défend une langue non reconnue par le Makhzen. Elle manque de moyens financiers et humains et de protection juridique. Elle essaie cependant de défendre la langue amazighe, de la valoriser, de la développer et d'inciter les Marocains à préserver la langue et la mémoire de leurs ancêtres amazighs.
Ma mère est au seuil de la centaine saine de corps et d'esprit, dévote et implore Dieu en amazigh. C'est une bibliothèque vivante de langue, de citations, de poèmes et de sagesse amazighes. Elle nous répète toujours: «Parlez le tamazight à vos enfants, l'arabe, ils le parleront malgré eux ».
C'est là le principe conservateur de l'amazigh et un message du fond des âges transmis par nos vieux parents. Mais force est de constater que nous les imazighens d'aujourd'hui ne le respectons pas en ville. Au foyer, nous avons perdu l'habitude de parler le tamazight avec les enfants. Ils passent une grande partie de leur temps dans la rue et à l'école. Là, ils sont obligés par la société urbaine et par l'Etat de parler arabe. A la maison, ils sont soumis à l'endoctrinement continu des TV panarabes. De plus, nous croyons à tort que leur parler arabe les aide dans leur scolarité et leur parler amazigh les handicape.
Les enfants ont des dons innés pour apprendre les langues et une mémoire fraîche pour les retenir. Parler amazigh, arabe, français et autres développe des logiques différentes et donc l'intelligence de l'enfant. Un enfant condamné à parler l'arabe seul est diminué et enfermé dans un monde restreint. En plus en Afrique du Nord, il se déracine et perd sa langue et donc sa personnalité de base amazighe. Les enfants amazighs en ville écoutent les parents parler amazigh, ils le comprennent un peu sans le parler. Devenus adultes, certains à force de labeur sont des riches, des notables ou des intellectuels de renom. Ils se coupent de la masse amazighe, se parlent arabe, se fabriquent des pédigrées arabes.
Dans leurs mariages mixtes, c'est la langue du partenaire arabe qui domine sans remord aucun. De nos jours, beaucoup parmi nous s'avouent impuissants et démissionnent devant leur devoir de transmission de la langue amazighe. Les générations suivantes ne transmettront que des brides et puis rien. Même la langue n'est pas protégée par ses locuteurs assidus, elle s'est remplie d'arabismes et de néologismes malgré les louables efforts de l'IRCAM …
 Il ressort de ce qui précède que le linguicide de la langue amazighe est délibéré, non accepté et subi. Il faut espérer que la démocratie qui souffle sur Tamazgha rendra enfin justice à la langue amazighe. Ensemble, nous avons fait le passé de la nation marocaine et ensemble nous en ferons l'avenir. Les amazighs acceptent la langue du Coran, leurs lettrés la parlent et la développent plus que d'autres. Dès lors, il est du devoir des arabophones du pays d'accepter, de parler et de développer le tamazight transmis à travers des millénaires par nos ancêtres à tous les amazighs.
C'est peut-être là le premier but du tout récent discours Royal (9/3/2011) sur la révision de la Constitution. Reconnaître la langue amazighe comme langue de tous les Marocains et donc langue officielle est un droit et une aspiration des Amazighs dans tout le Royaume (Tagldit).

* Professeur universitaire retraité
(Ndlr. Cet article nous a été adressé en réponse à la
contribution de M. Zouiten parue sur nos colonnes
le 15 mars 2011)


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