La redistribution des richesses aux yeux d’un économiste trop original

Tous les indicateurs vont à l’encontre d’une supposée analyse soucieuse de tresser des lauriers au gouvernement PJD


Hassan Bentaleb
Samedi 13 Août 2016

C’est le gag de la semaine. « Le gouvernement Benkirane a mené la plus grande opération de redistribution des richesses de l’histoire du Maroc », a indiqué le site du PJD en guise de  résumé de l’entretien qu’il a fait avec Abdennabi Aboulaarab, présenté comme expert en économie et affaires.   
Selon ce dernier, la réforme de la Caisse de compensation a permis une redistribution des richesses au profit des catégories sociales les plus vulnérables jamais vue depuis l’indépendance du pays en indiquant que 40 milliards de DH ont été injectés dans l’investissement, la lutte contre les disparités sociales et le soutien des catégories vulnérables à  besoins spécifiques.  Mieux, ajoute l’expert, l’actuel Exécutif a injecté près de 50 milliards de DH dans l’INDH afin de lancer 20.800 projets au profit de 12 millions de Marocains résidant  dans 24.290 douars.    
« Faux, a rétorqué Mohamed Kerkab, professeur à la Faculté des sciences économiques, juridiques et sociales de l’Université Cadi Ayyad à Marrakech. On ne peut pas parler de répartition des richesses puisque les couches sociales pauvres et vulnérables n’ont été touchées par nulle  redistribution. Ces dernières  paient les carburants au même prix malgré la libéralisation. Idem pour le prix du pain ». Et d’expliquer : « On se trouvera face à une redistribution des richesses  lorsque les autorités publiques augmenteront les dépenses destinées aux secteurs sociaux dont l’éducation, la santé et le logement ou les fonds alloués à  l’investissement. Et ces deux cas de figure n’existent pas au Maroc puisque les dépenses sociales et les fonds d’investissements sont en chute libre comme en attestent tous les rapports nationaux et internationaux. Il suffit de consulter les indicateurs du  développement social au Maroc qui sont tous au rouge pour avoir une idée claire des défaillances».  
Notre source va plus loin. Elle estime que rien ne garantit que les 40 milliards de DH économisés suite à la réforme de la Caisse de compensation vont être investis dans les domaines sociaux ou le développement économique. « Il est fort probable que ces milliards seront  dédiés au service de la dette qui s’élève à des milliards de DH», a-t-elle affirmé.
Evoquant la réforme de la Caisse de compensation, notre source nous a précisé que lesdits 40 milliards de DH économisés ne sont pas le fruit du génie du gouvernement mais plutôt de la  chute des prix du baril de pétrole et des matières premières sur le marché mondial. « Cela  rappelle la période 2003-2004 qui a été marquée, elle aussi, par la baisse des charges de la Caisse de compensation induite par la diminution des prix du pétrole et des matières premières. L’actuel gouvernement aurait pu se retrouver en mauvaise posture si le prix des hydrocarbures  avait augmenté », a-t-elle souligné.
Et qu’en est-il des 50 milliards injectés dans les caisses de  l’INDH ? « Ce chiffre n’a rien de nouveau », nous a répondu notre expert tout en précisant que  ce montant  ne sera pas  injecté dans l’immédiat et que son versement devrait s’étaler sur 10 ans. Et de poursuivre : «Mais cela ne veut rein dire puisque plusieurs projets de l’INDH n’ont même pas abouti ».
La même analyse nous a été déjà faite  par Hicham Attouch, président du Forum des économistes marocains (FEM) et professeur d’économie   à l’Université Mohammed V- Souissi  qui pense que la  réforme de la Caisse de compensation n’a pas été orientée vers le soutien des démunis et des personnes en situation de vulnérabilité mais plutôt à l’allégement de la pression exercée par celle-ci sur le budget général de l’Etat. En outre, les fonds de soutien alloués  au programme Tayssir, au soutien des veuves ayant un ou plusieurs enfants à charge et à l’appui au monde rural et aux zones montagneuses proviennent de comptes spéciaux et  que l’effet de ces fonds de soutien demeure à la fois limité dans le temps et dans l’espace et incapable de résoudre l’équation de la justice sociale au Maroc.
« La question de la redistribution des richesses est problématique au Maroc puisque celles-ci sont concentrées entre les mains de quelques familles, et le PJD, parti qui mène le gouvernement,  ne peut rien faire pour changer cette donne», nous a expliqué Mohamed Kerkab.  Une réalité que confirment les statistiques officielles qui ont attesté du fait  qu’au Maroc, cinq régions créent 56,7% du PIB,  que 80% des ménages ont un revenu inférieur à 6.650 DH par mois, que 20% des ménages les plus aisés accaparent plus de 40% des subventions destinées aux produits de première nécessité et que plus de 50% des subventions vont à l’enseignement secondaire et supérieur. En outre,  10% des Marocains les plus riches consomment  14 fois plus que les 10% les plus pauvres,  69% des emplois créés sont concentrés en milieu urbain, et la ville de Casablanca, à elle seule, y contribue à hauteur de 21,3%, tandis que les autres régions, comme Tadla-Azilal, ne dépassent pas les 2,6% et que 2 millions de salariés seulement bénéficient des services de la CNSS ; le reste (les non-salariés) ne disposant d’aucune couverture sociale obligatoire, etc.
 Dans son rapport sur les comptes régionaux de 2014, le Haut-commissariat au plan (HCP) avait révélé, de son côté, que quatre régions sur seize créent près de 50% du PIB, huit régions en créent plus des trois quarts et six régions affichaient en 2012 des dépenses par tête d’habitant supérieures à la moyenne nationale, au lieu de neuf régions en 2011.
Notre source estime que la redistribution  des richesses doit se faire via une réforme des impôts avec une hausse d’impôts à la clé pour les riches et une baisse pour les pauvres, permettant ainsi le rééquilibrage des prestations sociales. D’après lui, le système fiscal actuel est inéquitable et  injuste et qu’il faudra le revoir de fond en comble.


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