La fuite coûteuse des médecins africains


Slate.fr
Jeudi 22 Décembre 2011

La fuite coûteuse des médecins africains
Il y a des fuites qui coûtent cher, très cher, la fuite des cerveaux par exemple. Et le continent africain en sait quelque chose. La revue médicale britannique British Medical Journal, le BMJ, publie en effet, dans son numéro du 24 novembre 2011, une étude sur le coût financier représenté par l’émigration de médecins de neuf pays d’Afrique sub-saharienne vers l’Europe, l’Australie et l’Amérique du Nord. L'étude concerne l’Ethiopie, le Kenya, le Nigeria, le Malawi, la Zambie, le Zimbabwe, l’Ouganda, la Tanzanie et l’Afrique du Sud. Les critères ayant conduit à ce choix sont divers. Il fallait qu’il y ait au moins une faculté de médecine dans chacun des pays. L’infection par le virus VIH devait concerner 5% au moins de la population ou un million de personnes et plus. Le dernier critère était de disposer des données sur l’exercice des médecins dans les quatre pays d’émigration: Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne et Australie.
Les chercheurs ont calculé ce qu’il en coûte pour chaque nation de former un médecin en incluant les sommes dépensées dans le primaire, dans le secondaire et, bien entendu, à la faculté de médecine. Former un médecin varie selon les pays, le moins dispendieux étant l’Ougandais dont le «prix de revient» est d'environ 15.200 euros (10 millions de francs CFA). Le plus cher est le Sud-Africain, avec 43.000 euros (28 millions de francs CFA).
En cumulant toutes les données, les auteurs de l’étude chiffrent la perte du retour sur investissement liée au départ de ces médecins à plus de 1,5 milliard d'euros (984 milliards F CFA). Au Malawi, cet exil se chiffre à près d'1,6 million d'euros, mais en Afrique du Sud, la facture est de plus d'un milliard d'euros!
Un tiers des médecins formés en Afrique du Sud exerce déjà dans les quatre pays occidentaux. Il y a eu, certes, des départs liés à la politique d’apartheid, mais ce qui est inquiétant c’est que diverses études et sondages indiquent que 58% des personnels de santé travaillant dans le pays disent vouloir émigrer eux aussi vers ces quatre nations occidentales et australes. L’Afrique du Sud souffre déjà d’un déséquilibre énorme entre zones urbaines et zones rurales, Il y a quatorze fois plus de médecins dans les villes que dans les campagnes. L’épidémie liée au virus du sida nécessiterait, idéalement, trois fois plus de professionnels de santé qu’il n’y en a actuellement. Le désir d’émigration va donc encore aggraver la situation. Pertes pour le continent africain, mais bénéfices pour les nations d’accueil qui voient arriver des professionnels qui parlent anglais et qui ont bénéficié d’une bonne formation. Il y a même un paradoxe: ces médecins africains ont une expérience de la médecine dite de «premier recours», de proximité que les pays riches ont oubliée.
Les deux grands gagnants de cette émigration sont la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.
Accueillir des médecins venus d’Afrique permet aux citoyens de sa gracieuse majesté d’économiser la bagatelle de 2 milliards d’euros. Et le système de santé américain aux prises avec les tourments que l’on sait, évite ainsi de dépenser 626 millions d’euros avec ces immigrants. Pas d’effort de formation pour les pays riches, une main d’œuvre opérationnelle instantanément et qu’on va payer souvent moins cher que ses propres nationaux, l’Occident a toutes les raisons de se frotter les mains.
Mais dans plusieurs pays, notamment anglo-saxons, on se dit que ce drainage de cerveaux ne peut pas continuer impunément et qu’il faut un tant soit peu de réciprocité. Ce n’est pas demain, hormis dans les missions humanitaires, qu’on verra des médecins occidentaux aller s’installer en brousse! Mais on peut imaginer qu’à titre de dédommagement, les pays riches augmentent leurs contributions financières vis-à-vis des pays «fournisseurs» et que ces mêmes pays riches aident à la formation permanente des professionnels de santé qui ont fait le choix de rester au pays.
Un code «volontaire» est en place en Grande-Bretagne qui insiste sur l’importance de savoir «remercier» les pays qui ont formé les médecins exilés. Avec près de deux milliards d’économies réalisés grâce à l’arrivée de ces médecins africains, les pays de destination ne devraient pas avoir trop de mal à se montrer généreux avec les pays qui ont été ainsi dépouillés de leurs forces vives.


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