La circulaire de l’Intérieur n’a pas résolu le problème : Les prénoms amazigh entre état civil et prétoires


Hassan Bentaleb
Mardi 15 Février 2011

Le choix de prénoms, notamment amazighs pose toujours problème. Beaucoup de Marocains  sont encore confrontés dans les bureaux de l’état civil et les consulats du Maroc à l’étranger aux complications liées au choix de prénoms pour leurs enfants.
Plusieurs prénoms amazighs et arabes ont été ainsi rejetés malgré la circulaire D-3220 du ministre de l’Intérieur, datée du 9 avril, adressée aux autorités régionales, provinciales, locales et  aux arrondissements, qui disposent d’un bureau de l’état civil assouplissant les procédures  d’enregistrement des noms amazighs sur les registres de l’état civil.
Tel a été le cas de Mohamed Elouihyoui et de son épouse, évoqué par Human Rights Watch, qui ont essayé de donner à leur fils, né le 9 octobre, le prénom de « Yuba », mais qui ont été  surpris par l’attitude d’un officier d’état civil à Agadir qui a refusé de donner suite à leur  requête, car ce prénom ne serait pas autorisé. Bien que le père ait invoqué la circulaire D-3220 et expliqué que Yuba était le nom d’un ancien roi amazigh (Juba II), l’officier a persisté dans son refus d’inscrire le nouveau-né.
C’est le cas aussi d’Aziza Boulwiha, de Sidi Slimane, qui voulait déclarer son nouveau-né sous le nom amazigh de Simane, qui signifie « deux âmes » mais il a appris que c’était impossible.  Il lui a fallu plusieurs allers-retours pour que le préposé à l’état civil accepte d’inscrire ce prénom, mais en faisant signer au père une déclaration selon laquelle il assumait toutes les conséquences juridiques du choix de ce prénom.
Et enfin  Lhoussain Azergui, un émigré marocain en France, qui s’est vu refuser, en juillet 2010, par le consulat du Maroc à Lille de déclarer sa fille, née le 10 décembre 2009, sous le prénom de « Mazilia Tara ». L’officier d’état civil du consulat marocain a accepté « Tara », nom amazigh que ce même consulat avait rejeté en 2006 mais a refusé « Mazilia » puisque il ne s’affichait pas sur une liste qu’il avait consultée.
Pourtant, la circulaire D-3220 est claire. Elle fait référence au « droit des citoyens de choisir le prénom de leurs enfants » et à la nécessité d’empêcher des violations de ce droit et d’« éviter les conflits qui pourraient éclater entre les officiers de l’état civil et les citoyens ».
Elle précise la procédure que doivent suivre les officiers d’état civil lorsqu’un citoyen leur présente un nom méconnu. Par ailleurs, elle rend publique pour la première fois une définition officielle en deux parties de l’attribut « marocain » dans le contexte des prénoms.
Ainsi, par  caractère marocain, elle « désigne les caractéristiques de la société marocaine, du nord au sud et d’ouest en est. Le nom personnel doit être usité au Maroc au point d’y être fréquent ; autrement dit, à tel point que le port de ce nom soit entré dans la coutume, et donc que le nom ne sonne étranger ni à l’oreille marocaine ni pour le milieu marocain, avec toutes ses parties constituantes. Il s’agit donc d’un nom répandu, tel que sa reconnaissance n’engendre aucun inconfort ni difficulté. »
A ce propos, ladite circulaire précise que les prénoms doivent se ranger dans l'une des cinq catégories à savoir les noms arabes usités au Maroc depuis longtemps, les « attributs d'Allah  (asmaa' Allah al-housna), à condition d'être précédés de « Abd », les noms amazighs dont la signification peut varier d'une région à l’autre, les noms devenus communs ces dernières années au Maroc, dont la prononciation en arabe est claire et dont les origines sont islamiques et enfin les noms hébreux pour les Marocains de confession juive.
La circulaire fait également référence aux listes de prénoms existantes, dont beaucoup sont d'origine amazighe, et que la Haute commission de l'état civil avait approuvés ou rejetés avant la promulgation de la loi 37-99. La circulaire précise par ailleurs que les bureaux de l'état civil peuvent consulter ces listes de noms «  acceptés et refusés », mais que ces conclusions ne sont pas contraignantes.
Cependant, pour plusieurs observateurs l’application de ladite circulaire ne semble pas changer grand chose au fait que l'exigence générale selon laquelle les parents doivent choisir un nom présentant un « caractère marocain », continue de limiter leur choix et de dresser nombre d’obstacles administratifs devant eux. Et que le pouvoir de décision de l’officier d’état civil n’a pas été limité. « On est encore dans le même schéma, celui de l’officier qui décide, de la Haute commission qui statue et du  citoyen qui peut court-circuiter toute la procédure administrative en allant directement devant les tribunaux. Alors, je me demande ce qui a vraiment changé», s’est interrogé cet officier de l’état civil à la retraite.
En effet, les Marocains vont continuer de se voir opposer une fin de non-recevoir si l'officier d’état civil ne connaît pas le prénom qu'ils ont choisi ou s'il considère qu'il est difficile à prononcer ou qu'il n'est pas assez connu.
Si les requêtes des parents semblent aboutir dans la plupart des cas, la procédure reste pourtant stressante et éprouvante pour les familles qui, pour exercer leur droit fondamental à donner un nom à leur enfant, se retrouvent contraintes de rassembler et de soumettre des documents supplémentaires, de se rendre à plusieurs reprises dans les bureaux de l'administration, de demander le soutien d'organisations non gouvernementales, d'intenter des  procès en justice ou de lancer des campagnes médiatiques via les organisations des droits de l’Homme tant marocaines qu’étrangères.
Pour certains inspecteurs de l’état civil, le problème relève d’abord du manque de communication entre les citoyens et les officiers d’état civil et l’absence de canaux de médiation entre les deux parties. « On est confronté parfois à des cas surréalistes. Des parents qui débarquent subitement et qui exigent des noms qu’on n’a jamais entendus ou qui sont étrangers à la culture marocaine sans donner une explication sur le pourquoi et le comment de la chose », nous a indiqué un inspecteur provincial sous le seau de l’anonymat.
Parfois, il y a, selon notre interlocuteur, une surenchère politicienne. « Plusieurs activistes, surtout amazighs profitent de l’occasion du refus d’inscription de leur progéniture sur les registres de l’état civil pour  revendiquer de manière de plus en plus péremptoire, leur identité berbère », nous a-t-il déclaré.
Pour cet inspecteur, si les officiers de l’état civil ont le pouvoir de décider, ils sont limités par des lois et des textes réglementaires. « S’il refuse un nom, tout officier d’état civil doit s’expliquer sur ses motivations et le citoyen a un droit de recours devant les inspecteurs provinciaux qui essayent de trouver un terrain d’entente. Le problème, c’est que ni les citoyens ni les préposés à l’état civil n’ont la patience et la culture du dialogue pour que les procédures aillent jusqu’au bout. Sur un oui ou un non, les parents préfèrent  passer directement par les tribunaux», a-t-il souligné avant d’ajouter : «Mais cette situation doit cesser. On en a marre d’être pointés du doigt comme seuls responsables. Une loi précise et cohérente doit voir le jour pour clarifier les choses, sinon, bonjour les dégâts ! ».


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