La Journée nationale des femmes selon Al Oula : Le message subliminal de la télévision publique


Narjis Rerhaye
Mercredi 12 Octobre 2011

Le journal télévisé d'Al Oula s'est mis à l'heure des élections. Dans le jargon professionnel, cela s'appelle la pré-campagne et toutes les télévisions du monde, dignes de ce nom, se soumettent à cet exercice censé mettre dans l'ambiance « politico-électorale » le citoyen cathodique.
Depuis quelques semaines donc, Al Oula est résolument dans la pré-campagne et donc le politique. Ce qui n'est plutôt pas nouveau lorsque l'on sait que cette télévision publique a longtemps tenu le politique et tout ce qui peut y ressembler à distance. Emissions, capsules, reportages et invités de journaux télévisés, Al Oula ouvre ses studios pour parler politique. Des bandes-annonce vendent l'article. Des génériques « spécial élections 2012 », aux couleurs du Maroc bien sûr, mettent en appétit. Des visages nouveaux surgissent. Tout est fait pour tenir en haleine le citoyen cathodique, l'accrocher, peut-être le pousser à se faire une idée sur les enjeux politiques en cours et pourquoi pas se forger une opinion.  
Lundi 10 octobre, Journée nationale des droits des femmes, le journal télévisé d'Al Oula a été -comment dire?- un modèle du genre. D'abord un reportage sur une mère courage qui a élevé seule ses 4 fils, après la mort précoce du père. Image de la Marocaine en djellaba et foulard sur la tête, toute en abnégation  et renoncement qui oublie de vivre et d'être pour que ses enfants deviennent des « hommes ». Ses fils sont aujourd'hui installés. Et cela suffit à son bonheur. Le reportage laisse un goût amer. Derrière la success story que veulent retenir Al Oula et ses équipes du journal télévisé,  le citoyen cathodique ne retient, lui,  que ce message subliminal selon lequel la Marocaine est d'abord et surtout une mère, et cela lui suffit comme droits.
Al Oula avait décidé qu'on allait avoir droit à la totale en cette Journée nationale des droits des femmes. Un micro-trottoir, avec en arrière-plan le Parlement, est ensuite diffusé, immédiatement après le reportage dédié à cette mère qui s'est sacrifiée pour ses 4 gosses.  Des hommes et des femmes défilent devant la caméra pour des déclarations du  style « Ah oui, les Marocaines sont au Parlement, elles y sont nombreuses et c'est très bien comme ça ». Syndrome de la caméra allumée qui fait dire automatiquement que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ? » Morceaux choisis, particulièrement choisis, pour marteler en prenant à témoins des citoyens lambdas croisés « au hasard » d'un micro-trottoir que le Maroc fait « d'incroyables avancées » en matière de droits des femmes ? En tout cas, ce 10 octobre 2011, en regardant le journal télévisé d'Al Oula, le citoyen cathodique était en droit de penser qu'il n'y avait plus vraiment de raison valable de célébrer chez nous  la Journée nationale des droits des Marocaines…
Ce sentiment allait se confirmer ce même soir du 10 octobre dans ce même JT d'Al Oula. En plateau, une femme, invitée pour parler des Marocaines en politique. Elle s'appelle Rajae Naji Mekkaoui. Elle n'est pas simplement une universitaire, spécialiste du droit de la famille et de celui de la santé.Elle est aussi et surtout membre de la Commission de la réforme de la Constitution et du Conseil supérieur des Oulémas, après avoir été, en 2003, la première Marocaine à avoir présenté une causerie religieuse devant le Souverain.

Syndrome de la
caméra allumée ?
C'est donc un profil particulier et inattendu qui a été choisi par Al Oula pour commenter la représentativité politique des Marocaines, et ce  à quelques semaines des législatives. L'interview commence et les réponses de Mme Rajae Naji Mekkaoui sont à son image. Ce ne sont pas les réponses d'une activiste des droits des femmes, ni celles d'une militante qui se refuse d'être aphone en politique. Non, ce sont les réponses d'une universitaire qui appartient au corps des Oulémas. L'invitée du JT se félicite des avancées réalisées par les femmes de ce pays depuis une décennie. Dans la foulée, elle enchaîne sur la liste nationale des femmes  à laquelle on a voulu greffer les jeunes de sexe masculin et qui ont moins de 40 ans. Ce n'est pas un recul, juste peut-être par rapport à des attentes féminines,  explique l'universitaire membre de la Commission de la réforme de la Constitution, une commission qui a de plus constitutionnalisé la liste nationale et, surtout, l'égalité. Rajae Naji Mekkaoui en profite pour pointer la responsabilité des partis politiques, « en déphasage depuis le discours Royal du 9 mars ». « Je suis déçue », affirme-t-elle, honnête jusqu'au bout, anti-partis jusqu'à la fin. De l'autre côté de l'écran, elles étaient nombreuses à attendre que Mme Mekkaoui parle de ces réalités de femmes qu'elle n'a pas voulu voir. De ces mariages de mineures, de ces femmes battues et victimes de violences, de ces Marocaines aux premières loges de la précarité, de ces petites filles arrachées de leurs parents et transformées en petites bonnes jusqu'à en perdre parfois la vie…
 La première chaîne de télévision publique s'est mise à l'heure de la pré-campagne et du politique. Mais peut-on sérieusement réhabiliter l'action politique en invitant sur les plateaux de télévision, et sans contradicteur, des personnes qui se situent hors du champ politique ? Peut-on contribuer à aider le citoyen électeur à se faire une opinion et surtout à ne pas bouder le chemin des urnes en sélectionnant des invités de JT dits « neutres », comme si la neutralité était ici une qualité ? En ces temps de fin de transition, la mission du service public est nodale. Les messages transmis par la télévision sont essentiels dans la construction du projet de société moderne et démocratique auquel appellent les Marocains.


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