Autres articles
-
Festival international du court métrage de Souss à Aït Melloul
-
15 longs métrages en lice au 25ème FICAK
-
7e art national : Les ciné-clubs annoncent un programme éclectique dans plusieurs villes marocaines
-
Tenue de la 1ère session de la Commission d’aide à la production des œuvres cinématographiques au titre de l’année 2025
Samedi 12 avril 2025, dans l’écrin sobre du complexe Mohammed Zefzaf, La Dernière Répétition de Yassine Fennane a été projeté devant un public silencieux, saisi. Silencieux, car le film exige cette respiration rare, celle qui se retient devant l’urgence d’un récit. Six mois après son passage sans trophées au Festival national de Tanger, le voilà qui ressurgit au Festival international du cinéma indépendant de Casablanca, comme une réponse à l’oubli.
Et si Tanger n’a pas su l’honorer, Casablanca, ce soir, a tremblé avec lui. Car ce film-là ne se laisse pas étiqueter « œuvre ratée » ou « expérience confidentielle » : il s’impose, lent et tenace, comme un électrochoc. Un huis clos où chaque plan griffe nos certitudes, où chaque silence de Nabil El Mansouri creuse un abîme bien plus profond que les discours. J’y ai vu bien plus qu’un film : un miroir fissuré, tendu à un cinéma marocain parfois trop pressé de célébrer l’éclat sans oser regarder ses failles. Retour sur une œuvre qui, malgré les jurys muets, refuse de se taire.
Au cœur du film, Nabil. Il est à la fois metteur en scène, scénariste, metteur en scène d’acteurs — en fiction et en réalité — et c’est lui qui essaie de monter en scène à bout de bras une pièce de Jean Genet, Les Bonnes, dans un climat de tension grandissante. Nabil est un personnage brisé, en guerre contre lui-même, hésitant entre ses idéaux esthétiques, ses principes éthiques, ses dépendances et les décombres de sa propre existence. Il est pris dans une spirale de médicaments psychotropes, d'alcool et de doutes, dans un chaos intime où se mêlent épuisement professionnel, éclatement psychologique, et peine familiale. Son père, atteint d’Alzheimer, plane au-dessus du film comme une métaphore douloureuse de notre société : celle qui ignore les siennes, pour manque de services sociaux de niveau et pour manque de structure pour accompagner la vieillesse, la maladie, l’humain.
Ce qui marque profondément, c’est cette tension constante entre les membres de la troupe. Elle est sourde, lourde, parfois explosive. Elle reflète avec une justesse crue les fractures invisibles qui traversent tous les métiers de collaboration : les jalousies larvées, les frustrations rentrées, les déséquilibres de pouvoir. C’est tout le théâtre qui est ici mis à nu, non pas comme un art noble et idéalisé, mais comme un champ de bataille humain, sensible, fragile.
Le scénario, coécrit avec finesse par Nabil El Mansouri, Yassine Fennane et Oumaima Bouzid, brille par son économie de moyens et sa justesse de ton. Dans un seul lieu, avec un petit groupe d’acteurs, sans artifice ni surenchère, le film réussit à capter une intensité dramatique rare. Là où d'autres productions marocaines, souvent soutenues par des budgets publics conséquents, cèdent à la facilité de récits formatés ou à la mise en avant de figures de popularité sans réelle profondeur, La Dernière Répétition fait un choix radical : celui du silence, de la lenteur et de l’écoute.
Ce dépouillement narratif devient un puissant levier pour explorer, avec une sobriété maîtrisée, une multitude de thématiques sociales : la santé mentale, la précarité des artistes, l’isolement des personnes âgées, la pression qui pèse sur la jeunesse, les tensions intergénérationnelles, et plus largement, les dysfonctionnements systémiques d’une société qui demande beaucoup mais soutient peu. Ce huis clos sert alors de révélateur, où chaque dialogue, chaque geste, chaque silence devient l’expression d’un monde intérieur en crise.
Et dans tout cela, il faut souligner une chose essentielle : Nabil El Mansouri, dans ce rôle central, a enfin reçu un espace à la hauteur de son talent. Dans une interview récente, il confiait avec une honnêteté désarmante qu’on l’appelait souvent non pas pour jouer, mais pour «coacher les acteurs amateurs». Une phrase lourde de sens, qui dit beaucoup de la manière dont le métier d’acteur est encore considéré au Maroc, surtout quand on ne joue pas le jeu médiatique. Le voir dans cette œuvre forte, puis récemment dans une série diffusée pendant le Ramadan où ses scènes ont été massivement partagées, parfois même devenues virales, provoque un vrai soulagement — presque une revanche douce. Oui, il mérite qu’on le voie. Il mérite qu’on le reconnaisse.
Et c’est bien là que l’on comprend ce que ce film aurait dû recevoir. Il ne s’agit pas d’un caprice de cinéphile ni d’un plaidoyer par sympathie. Il s’agit de reconnaître une œuvre pour ce qu’elle est : un miroir de notre époque, de nos douleurs collectives, de notre fatigue nationale. Il méritait le prix du meilleur acteur, sans discussion. Le scénario, dense, tendu, profondément humain, aurait dû être distingué. Et la réalisation, portée par Yassine Fennane, est un acte de foi cinématographique : celle de créer avec rien, pour parler de tout. Fennane ne s’est pas contenté de faire un film. Il a lancé un cri discret, mais qui continue de résonner longtemps après la projection. Il a pensé aux artistes oubliés, aux travailleurs invisibles, aux jeunes à bout de souffle, à ceux qui ne parlent plus.
Et ce n’est pas parce qu’il a été ignoré par les jurys du Festival national du film de Tanger qu’il s’effacera de nos mémoires — bien au contraire. La Dernière Répétition s’installe doucement, mais sûrement, comme une œuvre essentielle, de celles qu’on ne célèbre peut-être pas assez sur le moment, mais qui finissent par s’imposer avec le temps. On y revient, on la partage, non pas parce qu’elle cherche à convaincre, mais parce qu’elle nous parle — intimement, profondément — bien mieux que tous les grands discours.
Par Salaheddine Lalouani
Et si Tanger n’a pas su l’honorer, Casablanca, ce soir, a tremblé avec lui. Car ce film-là ne se laisse pas étiqueter « œuvre ratée » ou « expérience confidentielle » : il s’impose, lent et tenace, comme un électrochoc. Un huis clos où chaque plan griffe nos certitudes, où chaque silence de Nabil El Mansouri creuse un abîme bien plus profond que les discours. J’y ai vu bien plus qu’un film : un miroir fissuré, tendu à un cinéma marocain parfois trop pressé de célébrer l’éclat sans oser regarder ses failles. Retour sur une œuvre qui, malgré les jurys muets, refuse de se taire.
Un film qui dérange par la précision de son regard.Le film est tout d’abord une initiative audacieuse, un geste artistique courageux: autoproduit, sans soutien institutionnel de masse, issu d’une volonté sincère de raconter une histoire de manière différente. Coécrit par Yassine Fennane lui-même et par l’acteur principal Nabil El Mansouri, le film se situe dans un huis clos radical, dans un décor resserré jusqu’au sang. Ce choix, loin d’être une contrainte créative, est un déclencheur narratif. Chaque plan, chaque dialogue, chaque silence acquiert un poids singulier, un relief intense. Le spectateur est pris à la gorge dès les premières séquences, embarqué dans une tension palpable qu’il ne quittera plus.
Au cœur du film, Nabil. Il est à la fois metteur en scène, scénariste, metteur en scène d’acteurs — en fiction et en réalité — et c’est lui qui essaie de monter en scène à bout de bras une pièce de Jean Genet, Les Bonnes, dans un climat de tension grandissante. Nabil est un personnage brisé, en guerre contre lui-même, hésitant entre ses idéaux esthétiques, ses principes éthiques, ses dépendances et les décombres de sa propre existence. Il est pris dans une spirale de médicaments psychotropes, d'alcool et de doutes, dans un chaos intime où se mêlent épuisement professionnel, éclatement psychologique, et peine familiale. Son père, atteint d’Alzheimer, plane au-dessus du film comme une métaphore douloureuse de notre société : celle qui ignore les siennes, pour manque de services sociaux de niveau et pour manque de structure pour accompagner la vieillesse, la maladie, l’humain.
Ce qui marque profondément, c’est cette tension constante entre les membres de la troupe. Elle est sourde, lourde, parfois explosive. Elle reflète avec une justesse crue les fractures invisibles qui traversent tous les métiers de collaboration : les jalousies larvées, les frustrations rentrées, les déséquilibres de pouvoir. C’est tout le théâtre qui est ici mis à nu, non pas comme un art noble et idéalisé, mais comme un champ de bataille humain, sensible, fragile.
Le scénario, coécrit avec finesse par Nabil El Mansouri, Yassine Fennane et Oumaima Bouzid, brille par son économie de moyens et sa justesse de ton. Dans un seul lieu, avec un petit groupe d’acteurs, sans artifice ni surenchère, le film réussit à capter une intensité dramatique rare. Là où d'autres productions marocaines, souvent soutenues par des budgets publics conséquents, cèdent à la facilité de récits formatés ou à la mise en avant de figures de popularité sans réelle profondeur, La Dernière Répétition fait un choix radical : celui du silence, de la lenteur et de l’écoute.
Ce dépouillement narratif devient un puissant levier pour explorer, avec une sobriété maîtrisée, une multitude de thématiques sociales : la santé mentale, la précarité des artistes, l’isolement des personnes âgées, la pression qui pèse sur la jeunesse, les tensions intergénérationnelles, et plus largement, les dysfonctionnements systémiques d’une société qui demande beaucoup mais soutient peu. Ce huis clos sert alors de révélateur, où chaque dialogue, chaque geste, chaque silence devient l’expression d’un monde intérieur en crise.
Et dans tout cela, il faut souligner une chose essentielle : Nabil El Mansouri, dans ce rôle central, a enfin reçu un espace à la hauteur de son talent. Dans une interview récente, il confiait avec une honnêteté désarmante qu’on l’appelait souvent non pas pour jouer, mais pour «coacher les acteurs amateurs». Une phrase lourde de sens, qui dit beaucoup de la manière dont le métier d’acteur est encore considéré au Maroc, surtout quand on ne joue pas le jeu médiatique. Le voir dans cette œuvre forte, puis récemment dans une série diffusée pendant le Ramadan où ses scènes ont été massivement partagées, parfois même devenues virales, provoque un vrai soulagement — presque une revanche douce. Oui, il mérite qu’on le voie. Il mérite qu’on le reconnaisse.
Et c’est bien là que l’on comprend ce que ce film aurait dû recevoir. Il ne s’agit pas d’un caprice de cinéphile ni d’un plaidoyer par sympathie. Il s’agit de reconnaître une œuvre pour ce qu’elle est : un miroir de notre époque, de nos douleurs collectives, de notre fatigue nationale. Il méritait le prix du meilleur acteur, sans discussion. Le scénario, dense, tendu, profondément humain, aurait dû être distingué. Et la réalisation, portée par Yassine Fennane, est un acte de foi cinématographique : celle de créer avec rien, pour parler de tout. Fennane ne s’est pas contenté de faire un film. Il a lancé un cri discret, mais qui continue de résonner longtemps après la projection. Il a pensé aux artistes oubliés, aux travailleurs invisibles, aux jeunes à bout de souffle, à ceux qui ne parlent plus.
Et ce n’est pas parce qu’il a été ignoré par les jurys du Festival national du film de Tanger qu’il s’effacera de nos mémoires — bien au contraire. La Dernière Répétition s’installe doucement, mais sûrement, comme une œuvre essentielle, de celles qu’on ne célèbre peut-être pas assez sur le moment, mais qui finissent par s’imposer avec le temps. On y revient, on la partage, non pas parce qu’elle cherche à convaincre, mais parce qu’elle nous parle — intimement, profondément — bien mieux que tous les grands discours.
Par Salaheddine Lalouani