L’islamisation de la justice inquiète la société civile

Deux adolescents en prison pour un baiser posté seront jugés le 11 octobre


Narjis Rerhaye
Mardi 8 Octobre 2013

L’islamisation de la justice inquiète la société civile
C’est l’affaire de trop, la dérive de plus. Depuis le 2 octobre, deux jeunes adolescents, une fille et un garçon,  originaires de la ville de Nador sont en état d’arrestation. Transférés dans des centres de protection et de rééducation, ils sont privés de liberté. Ils ne sont pas chez eux, ne vont plus au lycée et attendent de passer devant le juge le 11 octobre. Voici leur « crime ». Les deux lycéens âgés de 15 ans ont échangé un baiser devant la porte de leur lycée, un ami ado les prend en photo. Une photo de baiser que les deux amoureux publient sur leurs pages facebook. Un témoignage virtuel d’un amour d’adolescent.  Deux jeunes qui s’embrassent, qui sont connectés, qui sont sur les réseaux sociaux et qui poursuivent tranquillement leurs études secondaires. Chronique d’une normalité absolue. Non, pas quand ça se passe à Nador.
Une association locale de défense des droits de l’Homme et des libertés individuelles, l’Organisation unie pour les droits de l’Homme et les libertés individuelles que préside Fayssal El Marsi, s’est apparemment fait une spécialité. Celle de fouiner comme on fouille dans les poubelles pour traquer les vies privées.
Munie du baiser des deux jeunes lycéens, l’ONG en question dépose plainte auprès du procureur qui, visiblement, n’a pas grand-chose à faire. Une plainte est rédigée par des associatifs censés défendre les libertés individuelles –on a du mal à le croire- qui demandent l’ouverture officielle d’une enquête. Dans cette demande datée du 30 septembre, on peut très clairement lire que le président de cette association locale demande «l'inculpation et le transfert devant la justice des trois collégiens parce qu'ils se sont embrassés dans la rue ». L’ONG, gardienne des bonnes mœurs et de la vertu des citoyens, s’en explique dans  sa plainte en égrenant les motifs de sa démarche.  «La plainte de l’ONG est motivée par le souci de défendre la société contre les dérives morales et que l’acte commis est une atteinte à la pudeur et menace notre société en touchant les fondements de notre éducation et de notre enseignement », peut-on lire dans ce document qui a été dévoilé par les internautes. Et le président de l’organisation de présenter solennellement dans sa plainte l’objet du délit :  « Ils sont collégiens et ils ont publié la photo de leur baiser sur Facebook ». Le crime absolu.
Très vite, la machine s’emballe. Les deux jeunes collégiens sont arrêtés chez eux par la police judiciaire de la ville. Un troisième adolescent, le photographe du baiser, est lui aussi inquiété. Et ce que personne n’attendait ou n’osait même pas imaginer est arrivé : contre toute attente,  les adolescents ont été placés par le parquet de Nador dans des centres de protection et de rééducation pour mineurs. Le procureur a donc suivi la plainte de l’ONG en poursuivant, en état d’arrestation et non pas en liberté conditionnelle, trois gamins à peine sortis de l’enfance parce qu’il a estimé qu’il y a atteinte à la pudeur. Vendredi 11 octobre, ils seront entendus par un juge qui devra décider de leur sort. Leur avenir, lui, est gâché. Comment ces gamins pourront-ils un jour oublier ce qu’ils ont vécu à cause d’un baiser ? Comment pourront-ils se reconstruire maintenant que la machine judiciaire est en train de les broyer ? Qui répondra, plus tard, à leurs questions lorsqu’ils chercheront à comprendre qu’ils ont été emprisonnés alors qu’ils n’ont ni tué, ni volé, ni dealé, ni détourné ?
Un projet de société menacé
Dès que l’information de l’arrestation des deux amoureux accusés d’avoir échangé un baiser est connue, la Toile s’enflamme et la mobilisation s’organise. Une page facebook  est créée, « Solidarité avec les jeunes de Nador. Un baiser n’est pas un crime » alors que plusieurs internautes, en guise de soutien, ont publié leurs baisers sur facebook. L’ironie, cette forme polie du désespoir, est aussi de la partie. Des photos détournées –comme celle montrant le chef du gouvernement embrassant Karim Ghellab à son élection au poste de président de la Chambre des députés- retrouvent une seconde vie sur le Net.
Et hier, dimanche 6 octobre, un « kiss-in » devait être organisé devant l’ambassade du Maroc à Paris. "La police marocaine a arrêté tous les malfrats, voleurs, fraudeurs, terroristes de ce pays, la sûreté au Maroc est totale. Il ne reste plus que le danger que représentent deux gamins qui s'embrassent ... ", lit-on dans l’appel à ce "Kiss-in géant".
Face à l’ampleur du scandale,  l’association en question s’est rétractée en  demandant « la libération immédiate des trois adolescents » à qui elle dit apporter son soutien ainsi qu’à leurs parents. Les responsables de l’ONG ont même essayé de manière très grossière de se disculper en arguant leur volonté de vérifier s’il y avait un réseau de pédophilie derrière le poste du baiser des deux adolescents.
La réforme de la justice en prend un sérieux coup. Quel est donc ce système judiciaire qui met derrière les barreaux des ados qui postent leur baiser ? Les tribunaux dont le ministre de tutelle est le Pjdiste Ramid sont-ils en train de surfer sur la vague de l’islamisation ? Les inquiétudes de la société civile et de toute une jeunesse ont envahi les réseaux sociaux pendant tout le week-end. L’injustice, l’intolérance et l’ultra-conservatisme du gouvernement Benkirane  sont au cœur du débat. Le projet de société démocratique, ouvert et moderniste est sérieusement menacé.  « Serions-nous ce pays qui met ses journalistes et  ses ados qui s’aiment en prison ? » conclut en s’interrogeant  cette indignée de la Toile.


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