L’enfer tel que raconté par des Marocains de Syrie

Tiraillés entre le mal du pays et l’obligation de subir des conditions de vie insoutenables


Hassan Bentaleb
Mercredi 24 Avril 2019

La guerre civile en Syrie
entame sa neuvième année
et aucune issue ne pointe
à l’horizon. Le conflit entre les partisans de Bachar
Al-Assad et ses opposants
se poursuit de plus belle
faisant des centaines
de milliers de morts et blessés et forçant des millions
d'autres à chercher refuge ailleurs ou à se déplacer
à l’intérieur du pays.


Abou Amir, Marocain de 55 ans installé en Syrie depuis 25 ans, fait partie de ceux qui cherchent à quitter l’enfer de la guerre et à épargner à sa famille les affres de celle-ci. « Il n’y a plus rien à faire en Syrie. La vie est devenue atroce à cause de l’insécurité, de la cherté des denrées alimentaires, du chômage et de l’absence de perspectives. Tout le monde veut partir », nous a-t-il confié. Mais partir où ? « Je veux bien revenir à la mère patrie, mais mon pays semble ne pas vouloir de moi ou plutôt de ma femme syrienne. En fait, il y a des mois que j’ai déposé une demande de visa pour elle auprès de l’ambassade du Maroc au Liban, mais je n’ai rien reçu jusqu’à aujourd’hui, nous a-t-il indiqué. J’ai contacté le personnel de l’ambassade à plusieurs reprises mais sa réponse a toujours été la même : on ne peut rien faire puisqu’il y a blocage au niveau du ministère des Affaires étrangères. Le même personnel m’a affirmé que des demandes de visa sont restées sans réponse depuis 2014. Certains d’entre eux ont même eu l’outrecuidance de me conseiller de répudier ma femme pour pouvoir  retourner plus facilement au Maroc».
Pourtant, le cas de la femme d’Abou Amir n’est pas une exception. Elle n’est ni la première ni la dernière Syrienne à qui il a été refusé de mettre pied en territoire marocain. Nombreux sont les Syriens et les Syriennes qui ont été bloqués aux frontières ou qui n’ont pas obtenu de visas marocains. Une situation des plus absurdes puisqu’il n’y a aucun texte de loi qui interdit l’entrée des Syriens au Maroc. Ceci d’autant plus que plusieurs citoyens syriens ont réussi à obtenir ce visa. « Les rumeurs enflent depuis des mois arguant qu’il est possible d’obtenir un visa grâce à de l’argent. Les mêmes rumeurs parlent de certains individus (intermédiaires) chargés de faciliter l’obtention de visas contre des sommes allant jusqu’à 300 euros, nous a-t-il révélé. Moi aussi je suis prêt à payer, l’essentiel est que je puisse quitter la Syrie le plus tôt possible. Ici, il n’y a plus de travail, ni d’avenir, ni quoi que ce soit ».
Aujourd’hui, le nombre de Marocains (et de leurs familles) restés en Syrie reste inconnu. Cependant, Abou Amir estime qu’il a beaucoup régressé ces dernières années. Selon lui, nombreux sont ceux qui ont choisi de repartir vers le Maroc en laissant derrière eux femmes et enfants et notamment ceux d’entre eux qui sont détenteurs de la nationalité syrienne. D’autres ont opté pour la Turquie. «A présent, Ankara refuse d’accepter toute installation de Syriens sur son territoire. En plus, les Turcs n’apprécient pas les Marocains et tous ceux qui avaient élu domicile dans ce pays l’ont quitté pour d’autres. Pour moi, il n’est pas question d’aller vers la Turquie alors que j’ai mon propre pays», s’est-il insurgé. Et de poursuivre : «Il est vrai que les autorités syriennes nous traitent correctement et nous laissent en paix et que les Syriens demeurent aimables envers les Marocains. En fait, ces derniers ont choisi la neutralité dès le début du conflit puisqu’ils se considèrent comme des invités qui n’ont pas le droit de protester contre ce pays qui les a accueillis. Mais, la situation économique et sociale est grave et se dégrade chaque jour davantage ».

Pauvreté, chômage et autres
En détail, Abou Amir nous explique que beaucoup de Marocains ont perdu leur travail  ainsi que leurs maisons et vivent aujourd’hui comme des locataires alors que la vie est devenue plus chère et que le chômage fait des ravages. « Il y a des Marocains qui font aujourd’hui la manche. Et il y a de plus en plus de pauvres. La vie est devenue plus dure notamment pour les gens mariés qui ont des enfants. Une brique de lait pour enfant coûte actuellement 4.500 livres syriennes, une consultation médicale 5.000 livres, sans parler des médicaments qui ont vu leurs prix plus que doubler. Bref, tous les prix se sont envolés et les produits qui coûtaient 50 livres hier ont atteint 500 à présent», nous a-t-il expliqué. Et d’ajouter : « Les gens sont contraints de se débrouiller pour survivre. Chacun fait ce qu’il peut pour gagner sa vie ». Des propos que confirment plusieurs sources médiatiques qui ont rapporté que les prix des denrées alimentaires ont flambé. Ainsi un kilo de viande d’agneau coûte 4.200 livres syriennes contre 3.500 pour le bovin et 850 pour le poulet. Idem pour les prix des fruits et légumes.
Au niveau des prix des carburants, il faut compter 410 livres/L pour le gasoil importé, 250 livres pour le gasoil raffiné localement et 400 livres pour l’essence importée. Ces hausses des prix qui concernent également les produits locaux (blé, légumes et fruits)  sont imputables à la dévalorisation de la livre syrienne par rapport au dollar, aux sanctions économiques, à l’incapacité des institutions officielles à assurer les besoins quotidiens des citoyens, à la baisse de la production locale et au trafic en tout genre. Les flux des déplacés vers certaines villes ont également exercé une pression insupportable sur les moyens limités et ressources des villes notamment en matière de services et de logement.
De son côté, l’Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a révélé dans un récent rapport que le conflit armé en Syrie, conjugué à la pire vague de sécheresse qui a frappé le pays depuis 30 ans et aux précipitations tombées hors saison, ont causé une baisse drastique de la production du blé. Et que les prix des produits alimentaires ont été multipliés par sept. Une situation qui est appelée à perdurer avec la poursuite du conflit et des crises climatiques et économiques.   
Le même rapport a indiqué, en outre, que le taux de chômage a atteint 55%, que la baisse du pouvoir d’achat est au dixième de ce qu’elle fut avant le début du conflit et que la pauvreté moyenne a affecté 83% des Syriens.
Selon des estimations onusiennes, près de 6,5 millions de personnes sur les 18,3 millions que compte le pays souffrent de l’absence de sécurité alimentaire et que 2,5 millions pourraient en devenir les victimes tout en précisant que 91.000 des enfants âgés de moins de 5 ans souffrent d’une malnutrition aiguë.
Mais, il n’y a pas que la crise économique qui sévit en Syrie, il y a également une crise sociale grave et qui prend de l’ampleur. « Il y a des enlèvements, du vol, de l’extorsion, etc. la situation sécuritaire n’a rien de réjouissant. Ceci d’autant plus que la société syrienne est aujourd’hui confrontée à des phénomènes sociaux tels que la hausse de la consommation de drogues notamment chez les jeunes, la mendicité, le vagabondage, la prostitution et le fléau des enfants de la rue, nous a précisé Abou Amir.

Silence radio
Du côté des autorités marocaines, c’est toujours silence radio. Un mutisme qui tue puisque ces Marocains et Marocaines ainsi que leurs maris ou épouses ne savent plus à quel saint se vouer, eux qui ne demandent rien d’autre que le respect du droit à l’unité de la famille et à la vie familiale. Les experts internationaux sont unanimes à considérer que «le respect du droit à l’unité de la famille exige non seulement que les Etats s’abstiennent d’agir d’une manière qui aboutirait à des séparations familiales, mais qu’ils prennent des mesures pour maintenir l’unité de la famille et réunir ses membres.
Le refus du regroupement familial peut être considéré comme une interférence au droit à une vie familiale ou à l’unité de la famille, en particulier lorsque la famille n’a aucune possibilité de bénéficier de ce droit ailleurs.
De même, le renvoi ou l’expulsion pourrait constituer une interférence au droit à l’unité de la famille, à moins d’être justifiée conformément aux normes internationales». Certaines sources proches du dossier nous ont affirmé que l’interdiction d’entrer au Maroc est toujours en vigueur et que l’examen de dossiers des Syriens demandeurs de visas se fait au cas par cas. « Il y a des Syriens qui ont réussi à entrer au Maroc mais leur nombre demeure insignifiant », nous a-t-elle confié.  
Abou Amir est aujourd’hui en colère contre les autorités marocaines accusées d’abandonner leurs propres ressortissants dans un pays en guerre. «Aucun responsable marocain n’a jugé utile de nous rendre visite pour se rendre compte de notre situation et voir comment on vit, nous a-t-il lancé. Pis, ces mêmes responsables ont décidé d’interdire à nos femmes et à nos enfants d’accéder au territoire national et nous ont livrés pieds et mains liés aux trafiquants en tout genre. Dernièrement, un passeur m’a demandé 2.500 dollars par visa ».


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