L’amazighité, autre point noir d’un gouvernement empêtré dans ses contradictions

Assez des mesures et des décisions improvisées dans le traitement des questions liées aux langues et à la gestion de la problématique linguistique


Nouri Zyad
Mercredi 5 Octobre 2016

Dans le bilan de Benkirane, l’amazighité reste parmi les volets les plus lésés. Un point noir, selon les ONG marocaines actives dans le domaine. Une indifférence manifeste a marqué la relation du gouvernement avec une disposition constitutionnelle, d’une importance capitale. Et si les démocrates, dont l’Union socialiste des forces populaires, avaient trop attendu pour la consécration constitutionnelle de l’amazighité, les islamistes en avaient vu uniquement un élément perturbateur d’une vision «étroite» et une menace d’une existence basée sur l’unité.
Alors qu’il fallait réhabiliter la culture marocaine dans son équilibre psycho-social et culturel, les « frères » mettaient à l’écart cet axe considéré par les acteurs comme un atout de redressement de toute une société et un tremplin pour l’avenir. L’USFP ne pouvait ainsi omettre, dans son évaluation de ce mandat, cette négligence affligeante et cette omission lamentable. On savait que les textes ne valent que par leur application, mais là, Benkirane, et de manière délibérée, avait évité de se pencher sur cette question. La loi organique relative à la disposition constitutionnelle de l’amazighité a été renvoyée aux calendes grecques. Consacrée par la Constitution en juillet 2011, l'amazighité reste toujours en attente, du fait d'une opacité de la production législative.
De leur côté, les défenseurs de la cause amazighe et tous les démocrates s’impatientaient de voir l'officialisation de la langue amazighe. Et pour atteindre cet objectif, ils étaient obligés de passer par un nouveau combat, comme la démarche militante de la collecte d’un million de signatures. Et comme il n’y avait pas d’écoute de la part du gouvernement, la pétition a été adressée aux instances nationales et internationales compétentes. Un fait saillant qui avait même continué à investir l’espace public, c’est l’interdiction des prénoms amazighs. Si la loi de l’état civil stipule que le prénom doit avoir un "caractère marocain", on a persisté à considérer des prénoms amazighs, et partant purement marocains, comme étant étrangers à leur territoire d’origine.
En bref, le reproche des ONG va plus loin, avec la non-application des termes du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, conformément aux prescriptions de l'article 16 dudit Pacte. Ainsi, et en dépit de l'évolution de la pratique de l'Etat marocain dans le domaine des droits de l'Homme et des événements annonçant la création d'un mécanisme national pour surveiller et combattre la discrimination conformément aux dispositions de l'article 14 de la Convention CERD depuis août 2006, ce mécanisme n'a toujours pas vu le jour. Le gouvernement n’y accorde pas beaucoup d’importance.
Les faits. Les rapports des ONG, à cet égard, ont donné des exemples vivants. Une dizaine de prénoms amazighs ont été pratiquement interdits. Le dernier en date est «Annir» dans la province de Taza. Quant aux autres, on avait interdit aussi "Tazizi" à Tahla, "Sifaou" à Meknès, "Siman" à Boufekrane, "Titrite" par les autorités consulaires de Créteil en France, "Kaya" à Aït Ourir dans la région de Marrakech, et "Ayour" à Béni-Mellal, et ce au motif de la circulaire n° 160 du ministère de l’Intérieur datée du 24/06/2005. En dépit de la publication d’une autre circulaire du ministère de l’Intérieur N° D 3220 du 9 avril 2010, la Haute commission de l’état civil, dont le ministère de l’Intérieur est membre, persiste à refuser d’enregistrer ces prénoms amazighs.
Et ce n’est pas tout. Les programmes d’enseignement de la langue amazighe ont été aussi d’une faiblesse accablante. Le nombre d’enseignants de la langue amazighe a été réduit de manière sensible, et partant les classes dédiées à cette langue ont été annulées purement et simplement. On a oublié catégoriquement le principe de généralisation de l’enseignement de cette langue, consacrée constitutionnellement.
Il faut préciser que les spécialistes de l’éducation ont souligné que l’enseignement de la langue amazighe ne répond pas aux critères requis et ne correspond nullement au contenu culturel et historique de cette langue, de même qu’il ne garantit pas l’égalité des chances et l’unification des acquis de tous les élèves dans l’ensemble des écoles marocaines. De nombreux programmes d’enseignement adoptés au Maroc véhiculent toujours des textes et des données consacrant la discrimination, la marginalisation et l’infériorité de l’Amazigh, son histoire, sa civilisation et sa culture.
D’ailleurs, c’est ce qui est institué dans  des espaces publics, des discours officiels ou des établissements de l’Etat à travers l’utilisation de termes exclusifs et anticonstitutionnels tels que Maghreb arabe, et d’expressions péjoratives (berbère, Dahir berbère), dans les programmes scolaires et les médias publics. La marginalisation de la langue amazighe dans la carte scolaire est un fait avéré. La réponse du gouvernement est lamentable : «S’abstenir d’affecter des  enseignants pour cette langue». Une manière de dire que la langue amazighe est victime surtout des humeurs.

L’USFP plaide pour la préservation de la diversité linguistique nationale et l’ouverture sur les langues étrangères

- Mise en œuvre d’une stratégie nationale intégrée pour la gestion du paysage linguistique au Maroc à travers l’adoption d’une approche ouverte fondée sur le renforcement des deux langues officielles (arabe et amazighe), la préservation de la diversité linguistique nationale et l’ouverture sur les langues étrangères ;
- Mise en œuvre des dispositions constitutionnelles relatives à la question linguistique en prenant en considération l’ensemble des mesures pratiques appropriées ;
- Renforcement de la dimension régionale dans le traitement des problématiques linguistiques à travers l’élaboration de projets transrégionaux pour la prise en charge des langues et la préservation des expressions linguistiques locales ;
- Adoption des dispositions pertinentes pour l’appui à la diversité linguistique en vue du renforcement du tissu linguistique et du respect du principe de l’équité linguistique ;
- Relever le niveau des dotations financières et appui aux projets culturels et académiques relatifs aux domaines linguistiques au Maroc ;
- Révision du cadre législatif et institutionnel relatif aux langues avec l’incitation des départements gouvernementaux à mettre en place des dispositifs adéquats pour la défense des langues nationales;
- Mise en œuvre des dispositions relatives à la déclinaison du caractère officiel de la langue amazighe à travers la mise en place des conditions et moyens nécessaires à la promotion du statut de la langue amazighe et à son enseignement ;
- Elaboration d’un cadre contractuel en vue d’encourager le partenariat avec les institutions universitaires et les centres de recherche scientifique pour la réalisation d’études et de recherches de terrain sur les langues au Maroc et la recommandation de solutions pertinentes aux problématiques posées ;
- Appui à l’édition et à la diffusion des travaux réalisés sur les langues au Maroc dans divers domaines et disciplines (linguistique, psychologie, sociologie, études culturelles, etc) ;
- Renforcement de l’enseignement des langues à travers le recours aux méthodes pédagogiques et informatiques modernes et l’utilisation des NTIC ;
- Appui aux programmes médiatiques et communicationnels visant le renforcement du paysage linguistique marocain, notamment dans l’espace numérique ;
- Appui aux différentes initiatives pédagogiques et artistiques visant le renforcement de l’unité identitaire nationale, la défense des expressions linguistiques locales  et la préservation de la cohésion linguistique nationale ;
- Appui à l’ouverture sur les langues étrangères en vue de soutenir les valeurs de coexistence, de dialogue culturel et civilisationnel en tant que passerelles pour l’accès effectif à un horizon humaniste et universel.


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