L’Exécutif doit honorer ses engagements et limiter ses hésitations

Mémorandum du Médiateur pour la démocratie et les droits de l’Homme sur le PLF 2016


Mardi 15 Décembre 2015

Contexte
Partant de son rôle en matière de suivi des politiques publiques, le Médiateur pour la démocratie et les droits de l’Homme (MDDH) a élaboré un certain nombre de mémorandums et de rapports portant sur l’évaluation des réalisations du gouvernement actuel, depuis la désignation de son chef. Le Médiateur a donc présenté le 13 décembre 2011 une trentaine de propositions opérationnelles, a émis aussi son avis par rapport au programme gouvernemental, présenté par le chef du gouvernement devant le Parlement le 19 janvier 2012  et a évalué le bilan annuel du gouvernement au titre de l’année 2013 dans les secteurs sociaux.
Aujourd’hui, le Médiateur présente son avis sur le projet de loi de Finances n°15-70 au titre de l’année budgétaire 2016 à l’occasion de la cinquième année législative, et dernière année du mandat législatif et exécutif actuel. Le Médiateur juge cette occasion opportune pour dresser le bilan du gouvernement sur la base de ses engagements pris dans le cadre de son programme gouvernemental. Partant des décisions et des mesures contenues dans le présent projet de loi de Finances présenté pour discussion et approbation, et qui est supposé être un déterminant majeur de la mesure de l’ampleur de la réalisation des objectifs économiques et sociaux des politiques publiques adoptées depuis l’installation du gouvernement en  2012.
L’approche adoptée par le Médiateur dans le suivi des politiques publiques se base sur la distinction entre la lecture normative des droits humains et l’analyse des politiques publiques d’un point de vue purement académique. Il s’agit donc d’une approche civile basée sur des fondements que le Médiateur définit comme suit :
• Un suivi attentif et permanent des engagements pris par le gouvernement à travers les différentes échéances relatives à ses politiques publiques, ses stratégies et ses programmes ;
• S’assurer dans quelle mesure le gouvernement met en œuvre ses engagements;
• Une évaluation du bilan d’étape, tout en s’arrêtant sur les défaillances constatées et formuler des propositions de telle manière qu’elles soient conformes à la vision du Médiateur en tant qu’acteur de la société civile, tout en prenant en considération les avis des experts et des autres acteurs.
1. Observations générales sur le débat parlementaire portant sur le projet de loi de Finances :
L’analyse du contexte général du débat parlementaire portant sur le projet de loi de Finances 2016 requiert la prise en compte d’un ensemble de déterminants structurels et conjoncturels et qui influencent de manière directe ou indirecte le processus législatif relatif à l’adoption du budget de l’année prochaine, avec toutes les mesures et orientations qui peuvent en découler.
Premièrement : les déterminants structurels du débat parlementaire sur le projet de loi de Finances.
Partant du suivi assuré par le Médiateur des différentes étapes de débat et d’adoption de la loi de Finances 2016 au niveau de la Chambre des représentants, il est possible de déduire que trois déterminants structurels continuent de caractériser le débat parlementaire sur le budget ;
Les limites constitutionnelles et juridiques du rôle législatif : malgré les avancées enregistrées en matière de renforcement du contrôle exercé par l’institution législative à l’égard du gouvernement, qu’il s’agisse des dispositions de la Constitution de 2011 y afférentes, ou encore de la loi organique de la loi de Finances dans sa nouvelle version, le rôle du Parlement demeure limité à plusieurs niveaux. Il s’agit notamment du recours du gouvernement à l’article 77 de la Constitution relatif à la préservation de l’équilibre financier, ce qui réduit les possibilités d’amender les articles du projet de loi de Finances.  Il ressort du bilan des votes par rapport au projet de loi de Finances au sein de la Chambre des représentants que le gouvernement a refusé plus de 100 amendements sur un total de 240 qui ont été proposés par la majorité et l’opposition. Le gouvernement s’est contenté d’accepter 51 amendements; le reste des amendements a été retiré. Ceci est révélateur du fait que le pouvoir exécutif se réserve la mission de maintenir l’équilibre financier de manière unilatérale sans tenir compte de l’avancée apportée par l’article 77 de la Constitution, prévoyant une responsabilité partagée du Parlement et du gouvernement.
Le Médiateur constate, par la même occasion, un retard au niveau de la mise en œuvre des dispositions de la loi organique de la loi de Finances relatives à la présentation du projet de loi de finances de manière à consolider sa lisibilité pour les représentants, ce qui empêche les législateurs d’exercer leur droit législatif avec efficacité. A noter également qu’aucun changement notable n’a été apporté au mode de présentation du projet de loi de Finances durant cette première année de la mise en œuvre des dispositions de la nouvelle loi organique de la loi de Finances.
Le Médiateur conclut donc que le cadre général de discussion du projet de loi de Finances continue à limiter l’initiative législative dans le domaine financier, malgré le nombre croissant des amendements présentés, soit par les groupes parlementaires, ou encore ceux acceptés par le gouvernement, et malgré l’accroissement de l’ampleur des informations et de la documentation, présentés par le gouvernement. 
• La supériorité nette du gouvernement dans le processus d’élaboration de la loi de Finances : L’observation de l’écart constaté en matière de ressources et moyens matériels et humains mis à la disposition du Parlement au niveau de l’expertise administrative et technique permet de conclure que le gouvernement continue de surpasser le Parlement dans toutes les étapes d’élaboration de la loi de Finances, rendant par voie de conséquence, la relation entre le Parlement et le gouvernement toujours déséquilibrée. La discussion du projet de loi de finances s’éloigne ainsi, et à maintes reprises, des dispositions contenues dans le projet, en raison de l’incapacité des députés de s’approprier le projet, d’en relever les limites et les principales orientations, généralement de nature technique.
• Absence d’une structuration objective du champ politique sur la base des choix idéologiques : ce constat résulte notamment des alignements constatés lors de la formation du gouvernement dans sa première et deuxième version, ainsi que pour l’opposition. Il apparaît clairement également au niveau de la conformité des amendements proposés avec l’identité politique des groupes parlementaires, puisque le gouvernement refuse des propositions d’amendements qui représentaient des revendications essentielles de son composant essentiel (le PJD) durant la période d’opposition, tandis que l’opposition actuelle adopte des amendements qu’elle-même refusait quand elle faisait partie du gouvernement. Il s’agit notamment de la proposition d’amendement de l’article 6 du projet de loi de Finances qui prévoit une hausse de la taxe de consommation intérieure  sur les boissons alcooliques. Cette réalité fait en sorte qu’aussi bien le gouvernement que l’opposition soient dépourvus de leur identité idéologique, alors que celle-ci doit être un déterminant majeur de la polarisation du champ politique sur la base de programmes, favorisant  les possibilités de l’alternance politique aboutissant à une alternance des politiques publiques. Il serait donc difficile d’évaluer les choix économiques et sociaux du gouvernement et de l’opposition partant de déterminants idéologiques clairs vu les nombreuses contradictions qui les traversent.
Deuxièmement : les déterminants conjoncturels du débat parlementaire sur le projet de loi de Finances
Le contexte général relatif au débat du projet de loi de Finances s’est caractérisé par plusieurs spécificités qui se sont rajoutées à ce qui a été souligné auparavant. Il s’agit plus précisément de :
• L’impact de la période postérieure au 4 septembre : les échéances électorales relatives aux élections des conseils des collectivités territoriales, des membres de la Chambre des conseillers et de son président ont donné lieu à des distorsions importantes aussi bien au niveau de la majorité que de l’opposition. Les rangs de l’opposition parlementaire ont été fragmentés, et les évènements ont démontré la fragilité de la majorité qui soutient le gouvernement, ce qui a rendu plus floue la vision de la scène politique et ses principaux alignements. Ceci pose un ensemble d’interrogations profondes quant à la capacité du gouvernement et de sa majorité à poursuivre la mise en œuvre de ses engagements annoncés dans le programme gouvernemental en perspective des prochaines élections législatives. En contrepartie, la capacité de l’opposition parlementaire à présenter de vraies alternatives est aussi fortement soulevée, surtout à la lumière de la multitude des opinions exprimées au moment du vote sur le projet de loi de Finances, entre le refus, l’abstention et l’approbation.
• La loi de Finances a été réduite par les médias et le débat politique à des questions mineures. Dans le prolongement des répercussions des élections communales et régionales, des questions mineures liées en grande partie à la capacité des partis politiques à gérer leurs conflits internes, ont occupé la Une des débats politiques et médiatiques. Le moment de discussion des mesures financières du gouvernement relatives aux priorités des politiques publiques a été réduit de manière arbitraire à la discussion de l’article 30 du projet de loi de Finances. Le Médiateur considère ainsi que ce débat doit s’opérer d’abord au sein du Conseil de gouvernement en sa qualité d’instance délibérative de l’appareil exécutif, au lieu de reléguer  ce débat au Parlement.
Il ressort d’une lecture des répercussions du débat autour de l’article 30 du projet de loi de Finances qu’il y a une faiblesse au niveau de l’appropriation par le chef du gouvernement  de sa nouvelle fonction constitutionnelle et une orientation vers l’approbation de la gestion technocratique des politiques publiques, avec tout ce que cela suppose comme concrétisation de l’idée de la supériorité des choix technocratiques et engendre une consécration de l’irresponsabilité organisée, qui anéantit tout lien entre la responsabilité et la reddition des comptes. L’impact de l’année électorale et de la dernière année de mandat : à travers son suivi des différentes étapes de débat et d’adoption du projet de loi de Finances 2016 au sein de la Chambre des représentants, soit dans le cadre de commissions sectorielles ou des séances plénières, le Médiateur remarque globalement un relâchement dans l’efficacité législative des représentants, qu’il s’agisse du taux de présence, l’efficacité de la participation aux débats et la présentation d’amendements pour améliorer la qualité du texte présenté pour discussion et vote. En fait le Parlement est devenu, pendant cette année et sous la pression de la cadence des échéances législatives prochaines et la fatigue politique résultant des échéances territoriales précédentes, moins efficace par rapport aux années précédentes du mandat législatif actuel.
II. Observations sur le contenu du projet de loi de Finances
Partant de l’examen des dispositions de la loi de Finances 2016 relatives aux engagements du gouvernement, soit ceux exprimés dans le programme gouvernemental ou  par rapport aux objectifs déclarés dans la note de présentation de la loi de Finances elle-même. le Médiateur prend note de deux observations principales :
D’une part, il est clair que pour l’élaboration du projet de loi de Finances, le gouvernement s’est basé sur des hypothèses qui se caractérisent par la continuité par rapport aux années précédentes, ce qui reflète des efforts limités déployés par le gouvernement au niveau de l’influence sur le cadre macroéconomique dans lequel s’inscrit ce projet ;
D’autre part, il en ressort que la loi de Finances reste de manière générale soumise, une année après l’autre, à une structure figée au niveau des composantes et du volume des dépenses et des recettes, ce qui réduit de manière importante la marge de manœuvre pour le gouvernement. La structure des lois de Finances limite, voire oriente les choix économiques et sociaux dans un cadre marqué par la continuité, qui s’impose aux gouvernements indépendamment de leurs orientations déclarées.  
Les deux observations susmentionnées posent un problème de fond : dans quelle mesure la loi de Finances peut-elle jouer son rôle essentiel et principal en tant qu’instrument de mise en œuvre du programme électoral,  de concrétisation des choix politiques et d’accomplissement des engagements et des programmes électoraux, tout en réussissant les débats souhaités sur les politiques publiques et les liant à l’alternance politique des gouvernements.
En ce qui concerne les aspects procéduraux contenus dans le projet de loi de Finances 2016, ils peuvent être regroupés en 3 axes principaux suscitant quelques remarques; il s’agit notamment de l’objectif de la croissance économique, des politiques sociales et des réformes structurelles.
Premièrement : l’objectif de la croissance économique
La croissance économique est l’objectif central structurant de toute loi de Finances, car elle représente un signal pour les acteurs économiques et sociaux sur la manière dont le gouvernement conçoit la conjoncture générale et détermine le degré des efforts publics et l’ambition du gouvernement pendant l’exercice en question. Il s’agit au même titre d’un paramètre déterminant pour les autres indicateurs économiques, principalement l’emploi, la consommation et la production. Toutefois, le gouvernement a limité donc son objectif de croissance économique à 3%, ce qui pose un certain nombre de problématiques et d’interrogations, dont on peut citer notamment :
• Le pourcentage de l’objectif de croissance demeure moindre que le pourcentage mentionné sur le programme électoral qui avait fixé un taux de 5,5% à l’horizon 2016, sachant que les déficits enregistrés dans différents domaines nécessitent l’accélération du rythme de croissance économique créatrice d’opportunités d’emploi.
• Le pourcentage visé remet en cause les choix économiques adoptés durant ces quatre dernières années et leur capacité d’influencer positivement le modèle économique national, l’ampleur de son impact sur la réduction de la fragilité structurelle de l’économie nationale.
• Considérant que 2016 est une année électorale décisive dans le mandat du gouvernemental, ce dernier était appelé à redoubler d’efforts, afin d’honorer ses engagements pris depuis 2012, et limiter les hésitations et l’absence de l’horizon relatifs aux années électorales, qui nécessite un investissement dans la confiance afin que la cadence de la croissance ne se perturbe pas à cause des préparatifs électoraux.
Deuxièmement : les politiques sociales
Les secteurs sociaux ont représenté un enjeu stratégique et un point de départ mobilisateur pour le gouvernement, qu’il s’agisse du programme du Parti de la justice et du développement qui le dirige ou encore du programme gouvernemental dans sa globalité. Le projet de loi de Finances 2016 suscite, toutefois, des observations essentielles, à ce niveau qui peuvent être résumées ainsi :
• Les dépenses de fonctionnement continuent à croître au détriment des dépenses d’investissement relatives aux secteurs sociaux, tout en notant une régression dans le budget alloué à certains secteurs sociaux, notamment le ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle au titre du projet de loi de Finances 2016, ce qui reflète au fond le souci de réduction des charges de l’Etat en conformité avec l’objectif des équilibres macroéconomiques.
• La faiblesse du nombre de postes budgétaires dédiés aux secteurs sociaux durant l’exercice 2016 ; ils ne dépassent pas 40% de la totalité des postes budgétaires créés. Ceci pose de vraies problématiques relatives à la couverture du déficit enregistré au niveau des ressources humaines dans ces secteurs vitaux en relation directe avec le citoyen et sa vie quotidienne.
• La non prise en compte de la question de l’emploi comme priorité centrale et structurelle de la loi de Finances, qu’il s’agisse de la création de postes budgétaires dans le secteur public, ou de l’encouragement de l’insertion professionnelle des jeunes dans le secteur privé, à la lumière des indicateurs inquiétants du taux de chômage, qui a atteint 9,9% alors qu’il représentait 8,9% en 2011, ce qui requiert du gouvernement un double effort afin d’intégrer les nouveaux arrivés au marché du travail, tout en réduisant la précarité en mettant en œuvre le concept du travail décent.
Troisièmement : les réformes structurelles
Le Médiateur a observé à travers les dispositions du projet de loi de Finances 2016, une disparité dans l’intérêt du gouvernement accordé à la mise en œuvre des réformes structurelles, tout en enregistrant l’absence d’une approche globale dans la mise en œuvre de plusieurs d’entre elles. Il s’agit des observations suivantes :
• Les déséquilibres essentiels et structurels existants dans le régime fiscal national persistent encore. A travers les dispositions fiscales prévues par la loi de Finances 2016, le gouvernement n’a pas changé, de manière catégorique et après trois ans des assises nationales sur la fiscalité, les équilibres essentiels du système fiscal, caractérisé par un déséquilibre et une absence effective de justice fiscale, pour la participation des catégories et des secteurs dans le financement des politiques publiques de l’Etat de manière à réussir une répartition de la charge fiscale de manière juste entre les acteurs économiques et sociaux.
• Prenant en compte que l’exercice 2016 représente une étape pour dresser le bilan financier de la réforme du système de compensation, notamment dans son volet relatif à la subvention des prix des carburants, partant de la conjoncture positive qui a accompagné  l’annulation de la subvention aux produits pétroliers et vu les programmes et les mesures d’accompagnement et alternatives adoptés (programme Taissir, programme de soutien aux  veuves ayant la garde de leur enfants), le Médiateur signale en contrepartie que la réforme du système de compensation doit avoir comme objectif la réalisation d’une justice sociale entre les catégories au niveau de la contribution juste dans la prise en charge des frais de réforme, tout en l’intégrant dans un cadre de réforme général des politiques publiques sociales.
• Le Médiateur enregistre un retard important dans la réforme des systèmes de retraite, ce qui accentue les risques autour des finances publiques, de façon à menacer la viabilité des finances publiques et la garantie des droits fondamentaux des employés et des salariés. Il en résulte ainsi que le projet de loi de Finances de l’année 2016 ne va pas dans le sens de l’élargissement de l’éventail des adhérents aux systèmes de retraite de façon à garantir un minimum de protection sociale et à préserver le pouvoir d’achat.


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