Jihyun Park, la voix des sans-voix


Libé
Mardi 9 Février 2021

Des prisons nord-coréennes à la gestion des nids-depoule britanniques, le pas peut sembler géant. Mais se présenter aux élections locales anglaises ne fait pas peur à Jihyun Park, dissidente qui a fui sa Corée natale et survécu à la traite d’humains en Chine. Treize ans après avoir trouvé refuge au Royaume-Uni, cette femme de 52 ans portera aux élections municipales de mai prochain les couleurs du Parti conservateur du Premier ministre Boris Johnson, voulant représenter ceux qui n’ont “pas de voix”. “Le peuple britannique m’a accueillie dans ce pays et j’ai enfin trouvé ma liberté. Je veux rendre la pareille”, déclare-t-elle à l’AFP. Mme Park avait tenté une première fois en 1998 de fuir la Corée du Nord, alors en proie à la famine. Arrivée en Chine avec son jeune frère, elle avait été séparée de lui et vendue à un joueur alcoolique pour un soi-disant mariage. Après avoir donné naissance à un fils et passé six ans sur place, elle avait été arrêtée par la police chinoise et renvoyée en Corée du Nord. Jetée en camp de travail forcé pour dissidents politiques, elle et les autres prisonniers étaient traités comme s’ils étaient “moins que des animaux”, a-t-elle expliqué, décrivant un quotidien fait de “famines et tortures”. Expulsée du camp après être tombée malade, Jihyun Park est retournée en Chine récupérer son fils, avant de rejoindre en 2005 un groupe de dissidents, où elle rencontre celui qui deviendra son véritable mari. Jihyun Park vit dans la clandestinité à Pékin jusqu’à ce qu’un pasteur la dirige en 2007 vers le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. En 2008, elle obtient finalement l’asile en Angleterre, et s’installe avec fils et mari à Bury (nord-ouest), près de Manchester. Cette ancienne institutrice travaille alors dans un restaurant coréen, apprend l’anglais et devient une militante des droits humains, dénonçant les abus dans son pays natal et aidant ses compatriotes à s’installer au Royaume-Uni. “Bury est ma patrie”, estime-telle, comparant son apprentissage de l’anglais à une véritable renaissance, dans une petite ville dont les habitants “nous ont toujours aidés.” Malgré la politique peu accueillante du Parti conservateur envers les demandeurs d’asile, c’est cette formation que Jihyun Park choisit de rejoindre en 2016, considérant qu’elle porte haut les valeurs de “liberté, justice, éducation et vie de famille” dont ont besoin “le peuple nord-coréen et beaucoup de Britanniques”. Avec une campagne électorale suspendue en raison de la pandémie, les chances que Mme Park l’emporte en mai sont minces, car Bury constitue un bastion de l’opposition libérale-démocrate. Lors des élections législatives de 2019, le candidat conservateur était arrivé seulement en 5e position. Mais le fait de pouvoir se présenter à un véritable scrutin avec plusieurs partis constitue déjà une aventure inédite pour la réfugiée, plutôt habituée aux élections du Parlement nord-coréen, où un seul candidat, choisi par le parti du leader Kim Jong Un, se présente par circonscription. Si elle gagne cependant, Jihyun Park deviendra la première dissidente nord-coréenne à remporter une élection dans un autre pays que la Corée du Sud, où de nombreux réfugiés ont bâti une carrière politique. C’est le cas de Thae Yong Ho, ex-vice-ambassadeur de Pyongyang à Londres, devenu en 2020 le premier dissident à être élu directement par les électeurs sud-coréens. Selon Hazel Smith, experte de la Corée du Nord à l’Université des études orientales et africaines de Londres, ce pays ne se soucie guère des dissidents qui habitent en Occident, même s’il surveille des personnalités haut placées comme Thae Yong Ho. “C’est nouveau qu’une NordCoréenne se présente sous le drapeau conservateur au Royaume-Uni. Ça va renforcer le fait qu’ils peuvent aussi participer au processus politique”, a estimé la chercheuse. Jihyun Park déclare ne pas avoir eu d’ennui avec des représentants du régime nord-coréen depuis ses prises de position politiques, affirmant qu’ils ne pourraient de toute façon pas la réduire au silence. “Ils ont déjà tout pris: mon passé, ma famille, mes amis, mais ils n’ont jamais réussi à tuer notre volonté”, a-t-elle martelé. “C’est pourquoi nous combattons toujours ce mal. Je veux me battre pour les libertés des autres.”


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