Jeûne et sommeil, l’équation difficile


Libé
Mercredi 19 Mars 2025

Cernes bleuâtres sous les yeux, bâillements à longueur de journée, maux de tête à répétition. En cette première moitié de Ramadan, Salma, 35 ans, a les traits tirés et le visage blême de fatigue.

"Pendant ce mois sacré, mon sommeil est profondément chamboulé, mes nuits sont hachées et mon humeur est chagrine", confie la jeune femme, en caressant mollement le front d’une main tremblotante.
Pour une hygiène de vie optimale, il est essentiel de veiller à respecter 7 à 8 heures de sommeil par jour, en dépit des différents changements qui s’opèrent pendant ce mois sacré, tant au niveau des habitudes que des horaires de travail
Le geste renseigne sur les efforts consentis, entre préparation des repas et tâches ménagères, par cette femme au foyer et mère de deux adolescentes pour satisfaire les caprices des siens, avant de tomber tardivement dans les bras de Morphée.

A l’instar de Salma, de nombreux jeûneurs peinent à trouver l’équilibre ténu entre jeûne et sommeil durant ce mois béni où le métabolisme est déréglé et le cycle du sommeil mis à rude épreuve.
Et pour cause, le rythme quotidien est décalé au gré des repas pris à des heures inhabituelles durant les soirées ramadanesques qui, pour certains, s’allongent jusqu’au shour.

"Pour une hygiène de vie optimale, il est essentiel de veiller à respecter 7 à 8 heures de sommeil par jour, en dépit des différents changements qui s’opèrent pendant ce mois sacré, tant au niveau des habitudes que des horaires de travail", préconise Fouzia Kadiri, spécialiste des maladies du sommeil et psychologie médicale.

Selon elle, un sommeil non équilibré se répercute inéluctablement sur la performance des jeûneurs pendant la journée, notamment par des problèmes de vigilance, de manque de concentration et de somnolence, avec leur impact sur la vie professionnelle, familiale et sociale.

À l’opposé de Salma, Abderrahim, un commerçant de 33 ans, affiche une jovialité à toute épreuve. "Le Ramadan, dit-il, est le mois de l’année où je me sens le plus actif".

Son secret ? "Je veille à respecter 8 heures de sommeil pour être alerte et productif durant la journée. Je ne me réveille pas au shour et je m’évertue à garder une alimentation saine et équilibrée", confie-t-il, avec un large sourire sur le visage.

Et il y a de quoi, explique de son côté le neurologue Hamid Ouhabi. Si le sommeil permet le repos et la restauration des fonctions essentielles du corps et de l’esprit, sa perturbation finit par altérer les capacités cognitives, entraînant des troubles de concentration et d’attention et réduisant ainsi la productivité au travail et dans l’apprentissage scolaire.

"L’inversion des rythmes alimentaires, notamment l’excitation apportée par la rupture du jeûne, complexifie le processus d’endormissement de même que l’ambiance festive du soir favorise un sommeil plus tardif", indique M. Ouhabi.

Ce changement d’habitudes induit, selon le praticien, une "dette de sommeil qui s’accumule et s’accentue avec les jours", causant souvent une perturbation du système métabolique et cardio-vasculaire, couplée à un risque de décompensation des troubles cardiaques ou de l’hypertension artérielle.

Et d’ajouter que la somnolence diurne excessive est une source de difficultés scolaires, professionnelles, familiales et sociales, et constitue, par ailleurs, une cause majeure d’accidents au travail et d’accidents de la route.

Abondant dans le même sens, Fouzia Kadiri, également présidente de l’Association marocaine du sommeil et de la vigilance, explique que le non-respect des horaires de sommeil laisse apparaître certains troubles pathologiques, dont les syndromes de retard de phase de sommeil et l’insomnie peuvent se prolonger au-delà du mois de Ramadan.
Certaines maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension artérielle sont exacerbées en cas de non-respect du régime alimentaire ou d’un décalage dans la prise de médicaments, poursuit-elle.

Si la finalité du jeûne est de détoxifier le corps et de nourrir la spiritualité, les tables du ftour chez nombre de jeûneurs sont démesurément garnies de plats copieux et sucrés, fait-elle observer, notant que la consommation alimentaire non modérée est responsable d’un sommeil de mauvaise qualité, "ce qui se répercute inéluctablement sur la santé physique, mentale et émotionnelle".

Sur la même lancée, M. Ouhabi recommande d’optimiser les heures de sommeil pendant le Ramadan, d’éviter les repas consistants juste avant de dormir et d’exercer une activité physique non intense durant la journée.

Au moment où les réseaux sociaux et l’addiction aux smartphones ne font qu’aggraver la dette de sommeil, il importe de faire de ce mois béni une pause annuelle d’introspection, de spiritualité, de piété et de cohésion sociale.

Par Maria Zoubeir (MAP)


Lu 166 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Actualité | Dossiers du weekend | Spécial élections | Les cancres de la campagne | Libé + Eté | Spécial Eté | Rétrospective 2010 | Monde | Société | Régions | Horizons | Economie | Culture | Sport | Ecume du jour | Entretien | Archives | Vidéo | Expresso | En toute Libé | USFP | People | Editorial | Post Scriptum | Billet | Rebonds | Vu d'ici | Scalpel | Chronique littéraire | Chronique | Portrait | Au jour le jour | Edito | Sur le vif | RETROSPECTIVE 2020 | RETROSPECTIVE ECO 2020 | RETROSPECTIVE USFP 2020 | RETROSPECTIVE SPORT 2020 | RETROSPECTIVE CULTURE 2020 | RETROSPECTIVE SOCIETE 2020 | RETROSPECTIVE MONDE 2020 | Videos USFP | Economie_Zoom | Economie_Automobile | TVLibe



Flux RSS