Jean-Claude Carrière, entre cinéma et littérature


Libé
Jeudi 11 Février 2021

Jean-Claude Carrière, entre cinéma et littérature
J ean-Claude Carrière, écrivain français prolifique et scénariste aux côtés notamment de Luis Bunuel, mort lundi à l’âge de 89 ans, se définissait comme un “conteur”, “plus attiré par son différent que par son semblable”. Apprécié autant par la critique que par le public, il était un véritable “athlète” de l’écriture, à la croisée des chemins entre cinéma, théâtre et littérature. Au total, il a signé une soixantaine de scénarios ainsi qu’environ 80 ouvrages (récits, essais, comme ses Dictionnaires amoureux de l’Inde et du Mexique, traductions, fictions, entretiens). Il a été en outre acteur, dramaturge et parolier pour Juliette Gréco, Brigitte Bardot ou Jeanne Moreau.

“J’ai travaillé toutes les formes d’écriture. Je pense que je possède un bon arsenal. Il y a quelque chose en moi qui se satisfait d’être au service d’un auteur, de se couler dans sa pensée, de l’adapter au mieux. Je n’ai pas d’ego”, assurait cet humaniste distingué et affable à la grande puissance de travail et à l’humour corrosif.

Costaud, solide, barbe courte et moustache légère poivre et sel, cheveux courts, Jean-Claude Carrière a placé sa vie sous le signe des “rencontres, des amitiés et des maîtres de vie”, comme le Dalaï Lama, avec lequel il a écrit un livre, ou le cinéaste espagnol Luis Bunuel, avec lequel il collabora dix-neuf ans, jusqu’à sa mort. Autre rencontre importante : celle du dramaturge britannique Peter Brook pour qui il adapta à la scène l’inégalé “Mahâbhârata”, épopée de la mythologie hindoue, présentée pendant neuf heures d’affilée au festival d’Avignon en 1985 devant un public sous le choc. “Le voir en oubliant que je l’avais écrit fut un des grands bonheurs” de ma vie, assurait-il. 

“Radicalement athée”, mais “passionné par la religion et ses déviances”, étranger à tout fanatisme, il a écrit sur le bouddhisme et l’hindouisme mais aussi sur le christianisme avec son roman le plus célèbre, “La controverse de Valladolid”, sur la conquête du Nouveau-monde par les Espagnols, décliné en pièce et adaptation télévisée. On lui doit également des travaux sur l’islam (par ses traductions de poésie persane, avec son épouse, l’écrivaine iranienne Nahal Tajadod, dont il a eu une fille). Comme scénariste, il est au générique de films majeurs: “Le Journal d’une femme de chambre”, “Belle de jour” et “Le charme discret de la bourgeoisie” (Luis Bunuel), “Taking Off” (Milos Forman), “Borsalino” (Jacques Deray), “Le tambour” (Volker Schlondorff, Palme d’or à Cannes), “Danton” (Andrzej Wajda, prix Louis Delluc 1982), “L’insoutenable légèreté de l’être” (Philipp Kaufman), “Cyrano de Bergerac” (Jean-Paul Rappeneau), “Le retour de Martin Guerre” (Daniel Vigne) qui lui vaut le César du meilleur scénario en 1983. 

Il a reçu en 2014 un Oscar d’honneur pour son oeuvre de scénariste. Né le 17 septembre 1931 à Colombières-sur-Orb (sud de la France) de parents viticulteurs montés près de Paris en 1945 pour ouvrir un café, le jeune homme se révèle vite un élève brillant. Il devient boursier, saute dans l’ascenseur social qui le propulse à la prestigieuse Ecole Normale Supérieure, Normale Sup, d’où est issue une partie de l’élite intellectuelle française.

A 26 ans, il signe son premier roman, “Le Lézard”, fait son service militaire en Algérie, rencontre le réalisateur Jacques Tati et le débutant Pierre Etaix. Avec ce dernier, il reçoit l’Oscar 1962 du meilleur court-métrage de fiction pour “Heureux anniversaire”. Bibliophile, passionné par le dessin, l’astrophysique, le vin et bien d’autres choses encore, amateur de Tai-Chi-Chuan (art martial), Jean-Claude Carrière a présidé pendant dix ans la Fémis, l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son, pirncipale école du cinéma en France. Toujours très actif malgré l’âge, il avait écrit en 2018 un dernier essai, “La vallée du néant”, et cosigné en 2020 le scénario du long-métrage “Le sel des larmes” de Philippe Garrel.


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