«Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat»


Par Jean-Pierre Buyle et Dirk Van Gerven *
Jeudi 4 Novembre 2010

Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat ! » Qui n’a entendu cette phrase dans un feuilleton américain ?
Dans la plupart des pays d’Europe, elle est aussi d’application. Toute personne qui y entendue par la police, le procureur du Roi ou un juge d’instruction, et qui est suspectée d’avoir commis une infraction, a le droit d’être assistée par un avocat dès la première audition.
Seuls quatre pays européens, dont la Belgique, font encore et toujours exception.
La Belgique est dans l’illégalité. Elle le sait parfaitement. La cour européenne des droits de l’Homme, juge des Etats face à leurs obligations en matière de droits de l’Homme a répété, sur tous les tons, ces trois dernières années, l’existence de ce droit pour garantir un procès équitable. C’est l’arrêt Salduz (novembre 2008) qui a posé le principe de manière très claire. Il condamnait la Turquie qui n’avait pas respecté ce principe. Les droits de l’Homme qui doivent être respectés en Turquie ne doivent-ils pas l’être pareillement en Belgique ?
Il faut rappeler que dans notre système juridique, quand une loi est contraire au droit européen, c’est évidemment celui-ci qui prime. Depuis juin 2010, plusieurs présidents de tribunaux de première instance ont courageusement décidé de se conformer au droit européen. Du côté francophone du pays, à Mons, Marche-en-Famenne, Neufchâteau et à Tournai, les suspects arrêtés se voient proposer l’aide d’un avocat lorsqu’ils sont entendus par un juge d’instruction. A Eupen, cette assistance est même prévue lors de l’audition par la police, ce qui est l’application totale et parfaite de l’enseignement de la Cour des droits de l’Homme.
A Bruxelles et à Liège, les présidents des tribunaux de première Instance ont manifesté leur volonté… de se conformer au droit. Ils ont dit leur intention de permettre aux avocats d’assister aux auditions des juges d’instruction. Les avocats se sont organisés pour relever le défi. Parce qu’il s’agit bien d’un défi : la Constitution prévoit qu’un juge d’instruction ne peut placer un suspect sous mandat d’arrêt qu’au plus tard 24 heures après sa privation de liberté. Pendant ces 24 heures, la police doit entendre le suspect, procéder à divers devoir d’enquête (auditions de témoins, perquisitions, expertises scientifiques…) Pendant le même délai, le procureur du Roi peut souhaiter lui aussi entendre le suspect. Et enfin, toujours dans ce délai de 24 h à compter de la privation de liberté, le suspect doit être entendu par le juge d’instruction qui décidera s’il délivre un mandat d’arrêt. Pour toutes ces auditions, le suspect peut demander à être assisté d’un avocat. Cela signifie évidemment qu’on doit laisser un minimum de temps à l’avocat pour rencontrer son client, lui expliquer ses droits et ébaucher avec lui une ligne de défense. On n’aura pas le temps d’attendre les avocats. Ils devront être là très vite, dès qu’on les appelle. Ils se sont organisés. A Bruxelles, une permanence de plus de 250 avocats s’est portée volontaire pour assister les justiciables 24 heures sur 24, sept jours sur sept.
Mais n’est-il pas décevant d’entendre que de profondes réticences, sinon de véritables résistances se multiplient au sein même du monde judiciaire ? Pourtant, dans un arrêt du mois de mars 2010, la Cour des droits de l’Homme a d’une façon extrêmement claire eu l’occasion de dire que le système judiciaire belge est illégal. Or de façon surprenante, les Procureurs Généraux se montrent réticents.
On évoque de prétendues difficultés qui rendraient la mesure impossible. L’argument est faible. Toute réforme comporte son lot de changements. Mais oserait-on sérieusement soutenir que ce qui est possible pour 23 des 27 pays de l’UE… et pour la Turquie, n’est pas possible en Belgique ?
On soutient qu’il faudrait d’abord modifier la loi. Le ministre de la justice, en affaires courantes, a même fait déposer au Sénat une proposition de loi. Ce texte n’est pas suffisant. Il n’est pas non plus indispensable. Il n’est pas suffisant parce qu’il ne rencontre pas les conditions fixées par la Cour des droits de l’Homme. Il prévoit que le suspect pourra, avant l’audition, conférer avec un avocat. Mais pas qu’il sera assisté pendant l’audition. On propose donc une modification de la loi… qui restera illégale. Une nouvelle loi n’est pas non plus indispensable. Certes, préciser le rôle et les devoirs de chaque acteur d’un procès pénal ne peut pas nuire. Mais il est absurde de dire qu’on ne pourrait appliquer la jurisprudence Salduz qu’après une modification législative alors qu’on l’applique déjà, sans opposition, dans plusieurs arrondissements judiciaires belges.
La question est importante. Il en va de la qualité du débat judiciaire. La sagesse populaire retient que du choc des idées jaillit la lumière. Il en va de même en justice. Un dossier qui a pu faire l’objet de critiques ou de contradictions sera plus abouti. Ou ne sera pas. Les questions et contestations du suspect, aidé par un avocat, contraindront le magistrat à préciser son raisonnement et à répondre aux objections déjà soulevées. Ou à se rendre compte que les poursuites ne sont pas fondées.
La jurisprudence Salduz ne pousse à rien d’autre qu’à l’affinement du débat judiciaire. Les avocats sont prêts

* Bâtonniers de l’Ordre français et de l’Ordre néerlandais
du barreau de Bruxelles


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