Insoutenable: Sur une population de 27,5 M en âge de travailler, 15,3 M sont hors du marché de l’emploi


Hassan Bentaleb
Mardi 21 Février 2023

Pendant ce temps, le gouvernement se perd dans des rêveries et des promesses sans lendemain

Quelques jours seulement après le « show » de Mohamed Mehdi Bensaid à Dubaï, vantant les nombreux programmes destinés à « améliorer » le niveau économique et social de la jeunesse marocaine et les propos du chef du gouvernement, saluant les « résultats positifs » du programme “Awrach”, le HCP a refroidi les ardeurs du gouvernement en révélant que le taux de chômage chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans est de 32,7%, contre 11,8% pour ce qui est de la moyenne nationale totale, tandis que le taux de chômage des personnes âgées de 15 à 44 ans est de 12,3%.

Tableau en noir
Hicham Attouch, professeur d’économie à l’Université Mohammed V de Rabat, va plus loin. Il estime que les conclusions de la dernière note d’information du HCP relative aux principales caractéristiques de la population active occupée en 2022, démontrent que sur une population de 27,5 millions en âge de travailler, 15,3 millions de personnes sont hors du marché de l’emploi. Cela signifie, selon lui, que seulement 10,7 millions de personnes ont un emploi sur une population de 36 millions d’habitants en précisant, cependant, que sur ces 10 million, seuls près de 3 millions ont un emploi stable (fonctionnaires, militaires...). « Ces chiffres n’ont rien de nouveau. Ils sont souvent cités dans les enquêtes trimestrielles du HCP sur le chômage sans avoir toutefois l’intérêt qu’ils méritent. Certes les taux changent mais la structure demeure identique. Et ce malgré l’augmentation des taux de diplomation des jeunes », nous a-t-il expliqué. Et de poursuivre : « Cette situation n’est que la traduction négative d’une économie nationale qui n’arrive toujours pas à absorber le chômage et à créer de l’emploi sans oublier la problématique de la formation qui reste en inadéquation avec le marché de l’emploi ».

Des chiffres têtus
En effet, la réalité des chiffres du chômage au Maroc est têtue et les attentes en matière d’emploi sont énormes. Un policy paper établi par Oxfam intitulé : «Le marché du travail au Maroc : défis structurels et pistes de réforme pour réduire les inégalités», a considéré le Maroc comme étant l’un des pays de la région MENA les plus touchés par le phénomène des NEET (Not in education, employment or training), qui concerne les jeunes de 15 à 24 ans non scolarisés, ne disposant pas d’un emploi et ne suivant aucune formation. En 2018, 28% des 15-24 ans étaient considérés comme NEET, soit environ 1,7 million de personnes, en recul relatif par rapport à 2000 (32%). Les femmes sont bien plus touchées que les hommes, puisque 44,1% des femmes de 15- 24 ans sont considérées comme NEET, contre 13,3% pour les hommes. En d’autres termes, sur l’ensemble des jeunes considérés comme NEET, les trois quarts sont des femmes et près de 45% sont des jeunes femmes en milieu rural. Une situation qui tend à persister dans le temps, précise le document d’Oxfam, et risque de renforcer l’immobilité sociale ainsi que le chômage de long terme. Sans parler des risques de marginalisation progressive des individus de la société, ce qui peut nourrir le désir d’émigration ou une volonté de révolte sociale. Pour Oxfam, les indicateurs du marché du travail marocain demeurent alarmants, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. En raison de l’essoufflement du modèle de croissance, le nombre d’emplois créés est insuffisant et l’inactivité augmente. «La raréfaction des emplois tend à favoriser le groupe en position dominante dans la société, à savoir les hommes d’âge mûr. A contrario, les femmes et les jeunes sont largement exclus du marché du travail. Etant donné la structure productive du pays, l’offre de travail apparaît en décalage avec la formation des nouveaux entrants sur le marché du travail. Les diplômés subissent ainsi un chômage massif. Enfin, la prégnance de l’informalité est telle qu’occuper un emploi n’est pas une condition suffisante pour échapper à la précarité », souligne policy paper. Et de conclure : « Les conséquences d’une mauvaise intégration sur le marché du travail pour les jeunes ayant tout juste terminé leurs études se ressentent à long terme. Ils sont, en effet, plus touchés par des périodes de chômage et leur salaire, même des années après, est amputé. La cohorte de jeunes arrivant sur le marché du travail a subi de plein fouet la crise de Covid-19. Au-delà des effets psychosociaux liés à l’enfermement, la privation de liens sociaux ou de loisirs, ils traîneront cette intégration ratée sur le marché du travail pendant de longues années. Quant aux femmes, leur situation dans l’emploi, déjà particulièrement dégradée, pourrait être affectée à plus long terme. Etant donné les difficultés rencontrées pré-crise à trouver un emploi, la chute massive du taux d’activité féminin pendant la crise pourrait éloigner durablement une partie d’entre elles du marché du travail ».

Constat d’échec
Pour Hicham Attouch, la dernière note du HCP n’est qu’un constat d’échec de l’actuel gouvernement qui a pris l’engagement, entre autres, de créer un million d’emplois, d’augmenter le taux d’employabilité des femmes et d’élargir la classe moyenne. « L’Exécutif se contente aujourd’hui de jouer le rôle du sapeur-pompier qui excelle dans la lutte contre les feux déclenchés partout (augmentation des prix, dégradation du pouvoir d’achat, hausse des prix des carburants...). Autrement dit, il s’agit d’un Exécutif qui excelle dans les réactions et non dans la pro-activité. Il est souvent en retard par rapport aux crises et les traite souvent avec des actions circonscrites et avec peu d’efficacité », nous-a-t-il déclaré. Comment peut-on sortir de cette situation ? Notre interlocuteur soutient que le gouvernement doit clarifier sa position concernant certains points, à savoir les aides de l’Etat, la politique des salaires, la politique d’emploi et le registre social. « Ces paramètres demeurent encore flous et aucune politique claire et précise les concernant n’a été établie. Prenez le cas du registre social dont l’opérationnalisation tarde à voir le jour ainsi que les mécanismes de ciblage. Ainsi, rien n’a été fait au niveau technique sauf les opérations d’inscription », a-t-il conclu. 


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