Histoire d'Aladdin ou la lampe merveilleuse


Libé
Samedi 21 Septembre 2013

Histoire d'Aladdin ou la lampe merveilleuse
Je ne vous parle pas de la frayeur que j’ai eue de me sentir enlever quatre fois dans mon lit sans voir qui enlevait le lit et le transportait d’un lieu à un autre, et sans pouvoir imaginer comment cela s’est pu faire. Vous jugerez vous-même de l’état fâcheux où je me suis trouvé, lorsque je vous dirai que j’ai passé deux nuits, debout et nu en chemise, dans une espèce de privé étroit, sans avoir la liberté de remuer de la place où je fus posé, et sans pouvoir faire aucun mouvement, quoiqu’il ne parût devant moi aucun obstacle qui pût vraisemblablement m’en empêcher. Après cela, il n’est pas besoin de m’étendre plus au long pour vous faire le détail de mes souffrances ; je ne vous cacherai pas que cela ne m’a point empêché d’avoir pour la princesse mon épouse tous les sentiments d’amour, de respect et de reconnaissance qu’elle mérite ; mais je vous avoue de bonne foi qu’avec tout l’honneur et tout l’éclat qui rejaillissent sur moi d’avoir épousé la fille de mon souverain, j’aimerais mieux mourir que de vivre plus longtemps dans une si haute alliance, s’il faut essuyer des traitements aussi désagréables que ceux que j’ai déjà soufferts. Je ne doute point que la princesse ne soit dans les mêmes sentiments que moi, et elle conviendra aisément que notre séparation n’est pas moins nécessaire pour son repos que pour le mien. Ainsi, mon père, je vous supplie, par la même tendresse qui vous a porté à me procurer un si grand honneur, de faire agréer au sultan que notre mariage soit déclaré nul. »
 
Quelque grande que fût l’ambition du grand vizir de voir son fils gendre du sultan, la ferme résolution néanmoins où il le vit de se séparer de la princesse, fit qu’il ne jugea pas à propos de lui proposer d’avoir encore patience au moins quelques jours pour éprouver si cette traverse ne finirait point. Il le laissa, et il revint rendre réponse au sultan, à qui il avoua de bonne foi que la chose n’était que trop vraie après ce qu’il venait d’apprendre de son fils. Sans attendre même que le sultan lui parlât de rompre le mariage, à quoi il voyait bien qu’il n’était que trop disposé, il le supplia de permettre que son fils se retirât du palais et qu’il retournât auprès de lui, en prenant pour prétexte qu’il n’était pas juste que la princesse fût exposée un moment davantage à une persécution si terrible, pour l’amour de son fils.
 
Le grand vizir n’eut pas de peine à obtenir ce qu’il demandait. Dès ce moment, le sultan, qui avait déjà résolu la chose, donna ses ordres pour faire cesser les réjouissances dans son palais et dans la ville, et même dans toute l’étendue de son royaume, où il fit expédier des ordres contraires aux premiers ; et en très-peu de temps, toutes les marques de joie et de réjouissances publiques cessèrent dans toute la ville et dans le royaume.
 
Ce changement subit et si peu attendu donna occasion à bien des raisonnements différents. On se demandait les uns aux autres d’où pouvait venir ce contre-temps, et l’on n’en disait autre chose, sinon qu’on avait vu le grand vizir sortir du palais et se retirer chez lui accompagné de son fils, l’un et l’autre avec un air fort triste. Il n’y avait qu’Aladdin qui en savait le secret, et qui se réjouissait en lui-même de l’heureux succès que l’usage de la lampe lui procurait. Ainsi, comme il eut appris avec certitude que son rival avait abandonné le palais, et que le mariage entre la princesse et lui était rompu absolument, il n’eut pas besoin de frotter la lampe davantage et d’appeler le génie pour empêcher qu’il ne se consommât. Ce qu’il y a de particulier, c’est que ni le sultan, ni le grand vizir, qui avaient oublié Aladdin et la demande qu’il avait fait faire, n’eurent pas la moindre pensée qu’il put avoir part à l’enchantement qui venait de causer la dissolution du mariage de la princesse.


Lu 120 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Dans la même rubrique :
< >

Dossiers du weekend | Actualité | Spécial élections | Les cancres de la campagne | Libé + Eté | Spécial Eté | Rétrospective 2010 | Monde | Société | Régions | Horizons | Economie | Culture | Sport | Ecume du jour | Entretien | Archives | Vidéo | Expresso | En toute Libé | USFP | People | Editorial | Post Scriptum | Billet | Rebonds | Vu d'ici | Scalpel | Chronique littéraire | Chronique | Portrait | Au jour le jour | Edito | Sur le vif | RETROSPECTIVE 2020 | RETROSPECTIVE ECO 2020 | RETROSPECTIVE USFP 2020 | RETROSPECTIVE SPORT 2020 | RETROSPECTIVE CULTURE 2020 | RETROSPECTIVE SOCIETE 2020 | RETROSPECTIVE MONDE 2020 | Videos USFP | Economie_Zoom | Economie_Automobile | TVLibe









L M M J V S D
  1 2 3 4 5 6
7 8 9 10 11 12 13
14 15 16 17 18 19 20
21 22 23 24 25 26 27
28 29 30 31      





Flux RSS
p