Au début des années quatre-vingt-dix, Havelange était membre du CIO depuis trente ans, président de la FIFA depuis près de deux décennies, et, quelles que soient les sommes qu’il avait engrangées, il s’estimait encore bien loin du compte. Comment le sport pouvait-il le rendre aussi riche qu’il le désirait ? Il regarda autour de lui, cherchant la Grande Idée.
Première chose, il lui fallait de l’aide. Le grand et angulaire Jean-Marie Weber, ancien secrétaire particulier de feu Horst Dassler, était désormais le principal opérateur et visage public d’ISL. On racontait qu’il vénérait Horst et que des photos du Grand Innovateur ornaient les murs de son bureau dominant le lac de Lucerne. Weber avait été de tous les coups, il connaissait les recoins les plus obscurs du foot business. Il savait comment rendre Havelange riche.
Certains des supervendeurs du monde en expansion constante du marketing sportif n’étaient guère impressionnés par Weber. « Jean-Marie n’est pas créatif », disaient-ils. Ils riaient de lui dans son dos parce qu’il n’inventait pas des « offres groupées » ni de nouvelles manifestations nécessitant des sponsors et pouvant être vendues à la télévision. Mais ce n’était pas l’objectif de Jean-Marie. Il voulait faire rentrer le business dans la maison. Et c’est ce qu’il fit.
Ses collègues remarquèrent que, partout où il allait, il portait deux gros attachés-cases. Les supputations allaient bon train : « Sûrement ses accords confidentiels. Jean-Marie ne confierait jamais ses documents à un coffre-fort ».
Courtois, amateur d’opéra et de bons vins, Jean-Marie savait cultiver de bonnes relations. Il « sympathisait » avec tous dans les halls d’hôtel et les salles de congrès, serrait toutes les mains, baisait toutes les joues offertes, étreignait chaleureusement les vieux amis. On remarquait facilement sa silhouette longue et pâle d’échassier avançant d’un pas rapide, toujours en costume gris, sa crinière bouffante de cheveux blancs et ses lunettes à monture fine, dépassant d’une tête les autres dans une réception ou remontant une allée entre les gradins.
Qu’ils rient donc ! Il contrôlait les droits de trois des plus grands événements sportifs au monde : les Jeux olympiques, les championnats du monde d’athlétisme et la Coupe du monde de football. Chaque année, pendant quelques jours, toutes les télévisions du monde diffusaient ses programmes. Mais il devait encore faire la queue au portillon, son billet à la main, pour embarquer sur des vols réguliers. Il n’avait pas encore trouvé le filon. Tout comme Joao, Jean-Marie cherchait la grande idée.
Ercilio Marlburg, lui, pensait l’avoir trouvée. L’homme d’affaires brésilien alla d’abord trouver Helio Viana, l’homme qui en coulisses gérait les affaires de Pelé.
Ercilio avait eu la plus belle des idées: si on parvenait à convaincre la FIFA, on pourrait mettre sur pied grâce à la Coupe du monde l’opération de paris la plus colossale qui ait jamais existé ! Des matchs de qualification jusqu’à la finale. Il ne resterait plus qu’à enregistrer la société aux Caraïbes et par ici la monnaie. Des milliards de dollars chaque année !
Viana lui répondit à peu près en ces termes : « Vous êtes dingue ! Vous ne pourrez jamais faire accepter ça par tant de pays aux législations différentes. Ils vont vous matraquer de règlements jusqu’à ce que vous mettiez la clef sous la porte. Pelé n’est pas intéressé. Au revoir. »
Pelé avait un autre directeur commercial personnel, Celso Grellet. Ercilio Malburg alla le trouver.
« j’ai les relations qu’il faut, lui dit-il en substance. Je connais Canedo au Mexique, c’est le plus ancien membre du comité exécutif de la FIFA. C’est une grosse légume de Televisa (une société de télévision privée mexicaine), il sait comment faire du fric avec le football. Et ici, au brésil, on a son bon copain Havelange. Qu’est-ce qu’il nous faut de plus ?»
Grellet se montra vaguement intéressé, mais il ne voyait pas comment faire fonctionner le projet dans tant de juridictions différentes.
Toutefois, il y avait un autre Brésilien qui adorait parier. L’idée le séduisit immédiatement.
Venus de Russie, les parents de Matias Machline s’étaient installés à Bagé, une ville d’éleveurs de bétail tout au sud dans la pampa, près de la frontière avec l’Uruguay. En 1961, à l’âge de vingt-huit ans, Machline monta la branche brésilienne de Sharp, le géant japonais de l’électronique. Il noua des liens avec les généraux qui prirent le pouvoir en 1964, et les affaires fleurirent. Quand le régime militaire s’effondra, en 1985, son bon ami José Sarney, qui avait servi de façade aux généraux, devint le premier président civil en l’espace de vingt ans.
En 1990, l’entreprise familiale de Machline affichait un chiffre d’affaires de plus de un milliard de dollars par an. Entre-temps, Matias était devenu l’un des plus grands propriétaires de chevaux du Brésil…. Et l’un de ses plus grands parieurs. Quand l’économie battit de l’aile et que les affaires ralentirent, au début des années quatre-vingt-dix, il se mit à la recherche d’une nouvelle grande idée.
Son ami Antonio Carlos Coelho avait créé la prospère Banco Vega. Coelho et Machline étaient également des amis de Johnny Figueiredo, dont le père avait été le dernier militaire président. Johnny adorait le « fute-volei », un nouveau sport combinant le football et le volley-ball de plage. Une chose en entraînant une autre, les trois amis se retrouvèrent bientôt à discuter avec Ricardo Teixeira du plan d’Ercilio Malburg pour faire fortune grâce à la FIFA.
Le président Havelange déclarait fièrement : « Nous avons eu une fille, Lucia, qui nous a fait la joie de nous donner trois petits-enfants, Ricardo, Joana et Roberto. »
Leur père était Ricardo Teixeira. Le beau-père et son gendre étaient faits pour s’entendre. En 1989, bien que le couple se soit séparé, Joao installa Ricardo à la présidence de la confédération brésilienne de football, la CBF. Ricardo était lui aussi très intéressé par le plan de Malburg.
A SUIVRE