Hanane Chaibainou : L’expérience marocaine dans la gestion du Covid-19 a été reconnue comme exemplaire


Paris : Propos recueillis par Youssef Lahlali
Jeudi 11 Juin 2020

Hanane Chaibainou est membre fondateur du Réseau des 
compétences marocaines aux Etats-Unis (AMCN). Depuis le début 
de la pandémie du nouveau coronavirus, elle est  membre actif 
du Comité médical AMCN Covid-19.
Auteure d’articles scientifiques de renom et doctorante à l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie, Hanane Chaibainou, native 
de Benguérir, dévoile dans cet entretien sa vision sur la gestion de la pandémie du Covid-19 aux Etats-Unis d’Amérique et au Maroc. 


Libé : Quel regard portez-vous sur la situation aux Etats-Unis, pays le plus touché par le Covid-19 et qui a enregistré le plus grand nombre de victimes dans le monde ?  
Hanane Chaibainou : Effectivement, à ce jour, les Etats-Unis d’Amérique restent le pays le plus fortement touché par la pandémie. Cette situation est principalement due au manque de réactivité initiale des autorités qui n’a pas permis à tout le monde de prendre conscience de la gravité du danger et de ce fait, mes compatriotes ici n’ont pas tous respecté immédiatement les consignes qui ont été données par les autorités gouvernementales et sanitaires. D’où les chiffres élevés de contaminés et de décès et c’est vraiment déplorable.  
Il est aussi à noter que les différents Etats ont réagi très lentement à cette pandémie, alors que partout dans le monde, des mesures très strictes avaient été déjà mises en place par les autorités sanitaires. Et cela a certainement contribué au nombre élevé, en valeur absolue, d’infections et de décès.   
La gestion de cette crise ne passe pas nécessairement par les moyens dont dispose un pays « a priori ». L’exemple du Maroc est éloquent à plus d’un titre et nous voyons qu’une réaction rapide avec des mesures stratégiques et opérationnelles fortes, accompagnées d’une mobilisation tous azimuts, a permis au Royaume de gérer cette grave crise avec fermeté mais aussi avec discernement et les résultats enregistrés, à ce jour, ne peuvent que faire la fierté des Marocains. 

Le Covid-19 a changé notre monde. Comment imaginez-vous celui d’après, surtout au niveau sanitaire ? 
 Malheureusement, cette pandémie qui affecte tous les pays du monde n’est pas encore définitivement vaincue. C’est pour cela que nous devons rester très vigilants par rapport à son l’évolution. Certes, les chiffres sont en baisse et nous observons le déconfinement progressif dans plusieurs pays. Néanmoins, la prudence est requise à l’avenir, surtout pour les personnes considérées comme « vulnérables » souffrant de maladies chroniques.  
Afin de revenir à une vie « quasi-normale » sans risque de « deuxième vague », des mesures draconiennes d’hygiène doivent être appliquées de façon rigoureuse, notamment avec le retour graduel des moyens de transport aérien, et ce afin de prévenir de nouvelles contaminations en attendant un vaccin éventuel.
L’utilisation de la télémédecine à travers plusieurs plateformes, qui a connu une expansion, est certainement une nouvelle opportunité pour l’avenir. J’estime qu’elle jouera un rôle de plus en plus important dans nos vies de tous les jours. Il est aussi fort probable que les téléconférences et l’enseignement à distance fassent dorénavant partie de notre routine quotidienne dans plusieurs secteurs, pas simplement au niveau sanitaire.  

Est-ce que la santé et l’environnement seront les sujets prioritaires dans le monde après le Corona ? 
 Comme disait Thomas Jefferson, «La santé est la chose essentielle après la moralité ».  Donc, la santé devrait être l’une des priorités de tout Etat, avec bien évidement l’éducation et les transports.  
Parmi les mesures prioritaires qui doivent être mises en place, et afin de prévenir une éventuelle pénurie de matériel et de personnel médical, comme nous l’avons observé depuis le début de cette pandémie, des investissements importants et continus dans les besoins sanitaires ainsi qu’une approche d’autosuffisance multisectorielle et multifacettes sont désormais incontournables.
Le monde doit retenir beaucoup de leçons de cette amère expérience, non seulement à cause du nombre important de décès, mais vu aussi l’impact économique et social important que cette pandémie a causé.  
Il est certain  qu’une meilleure préparation à une autre pandémie ou à une résurgence de celle-ci (ce qui est probable tant qu’un vaccin ou un médicament efficace ne sont pas trouvés et administrés au monde entier), est à mettre en place. Je présume qu’au niveau des instances internationales, des cellules spécialisées vont sûrement voir le jour afin d’analyser en permanence le suivi effectué par chaque pays et apporter expertise et conseils, selon les besoins. C’est une crise mondiale et ce n’est qu’uni et solidaire que le monde pourra vaincre cette pandémie.
Ainsi, il me semble nécessaire qu’un comité médical national et international d’évaluation visant la mise en place d’un état « d’autosuffisance mondiale » sur tous les plans soit mis en place et suivi par tous les pays, avec les meilleures pratiques apprises, ici ou là (OMS), afin d’anticiper une éventuelle résurgence de cas à l’automne 2020.   

Que pensez-vous de la demande insistante au déconfinement du président des USA ? Les tensions entre Donald Trump et les gouverneurs de certains Etats freinent-elles la lutte contre le virus ?  
 Il est très difficile de trouver une formule cartésienne et peu critiquable de déconfinement, d’où toutes ces tensions. Envisager un modèle universel pour un déconfinement par étapes en fonction des recommandations de chaque autorité sanitaire locale serait plus prudent afin d’envisager une éventuelle sortie de crise.Les dimensions économiques et sociales sont importantes, mais un arbitrage entre le business et la santé des populations  n’est pas chose aisée dans n’importe quel pays.

Croyez-vous que les autorités écoutent suffisamment les scientifiques ?  
 C’est une question délicate. On doit sans aucun doute changer d’approche quant à la relation traditionnelle et aller vers une relation de confiance et de co-développement et de coopération entre le gouvernement et les scientifiques expérimentés, afin de partager les connaissances et le  savoir-faire, et grâce à une symbiose à long terme, faciliter un esprit de collaboration positif et durable.  
L’avis scientifique est prioritaire dans cette phase mais la relance économique pour l’après Covid-19 est aussi importante. La question qui se pose avec acuité est de savoir  comment faire redémarrer les entreprises en tenant compte des conséquences du déconfinement. Un autre problème majeur que l’on constate dans plusieurs pays concerne l’état psychique d’une partie de la population suite aux mois de confinement vécus souvent, hélas, dans des conditions difficiles.
Un co-développement d’expertise et de compétences avec une vision partagée serait la seule approche afin de déboucher sur une relation bilatérale et un partenariat exemplaire.  

La recherche médicale aux USA trouvera-t-elle un vaccin contre le Covid-19 avant le reste du monde ?  
 Il serait prétentieux de faire une telle affirmation. Ce que je peux certifier, c’est qu’il y a une symbiose mondiale dans le domaine scientifique afin de trouver un vaccin contre le SARS-Cov2. Plusieurs sites comme le Paul Ehrlich Institute en Allemagne, Oxford University and Imperial College au Royaume-Uni, ou bien le Wistar Institute à l’Université de Pennsylvanie où je travaille, entres autres, ont passé le 2ème cap et ont déjà commencé à tester le vaccin sur des humains. 
Ce qui me réconforte, c’est aussi la nomination récente du Professeur Moncef Slaoui à la tête de l’« Opération Warp Speed », car il est sans aucun doute parmi les scientifiques les plus chevronnés au monde pour mener cette tâche comme il se doit et avec succès. 

Avez-vous complètement abandonné vos recherches précédentes pour vous occuper de celles consacrées au Covid-19 ?  
 Effectivement, tous nos cas opératoires et de recherches scientifiques ont été reportés à une date ultérieure. Je travaille en neurochirurgie et cela fait juste deux semaines que nous avons repris un flot quasi-normal. Le changement majeur qui nous a affectés était d’adopter des mesures immédiates afin de limiter la pénurie de matériels comme cela s’est passé à New York et dans le New Jersey avec l’adoption immédiate de la télémédecine. 
Durant la phase active de cette pandémie, nos efforts ont été redirigés vers des campagnes de sensibilisation sur l’importance de la distanciation sociale, du port des masques, des symptômes et sont maintenant focalisés sur le dépistage. 

Comment voyez-vous en tant que professionnelle de la santé la situation de la pandémie au Maroc ? Quel avis portez-vous sur la gestion de cette crise sanitaire par les autorités marocaines ?  
 La pandémie a été très bien gérée au Maroc et on peut s’en féliciter. En effet, l’expérience marocaine dans la gestion du Covid-19 a été saluée mondialement et reconnue comme   exemplaire, grâce aux mesures prises très tôt pour en minimiser l’impact. On peut certainement se féliciter de toutes les initiatives prises et les efforts consentis par le gouvernement marocain sous l’égide de Sa Majesté le Roi.  
Parmi les mesures prises, il y a la fermeture des frontières, la distanciation sociale, la suspension de tous les évènements publics et privés, la production massive de masques  à des prix abordables. Le Maroc évolue maintenant vers un déconfinement progressif et serein.  


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