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Guessous est toujours parmi nous


Par Abdessamad Dialmy *
Mercredi 12 Février 2014

Guessous est toujours parmi nous
Sans renier le mérite de tous les professeurs d’école, de lycée et d’université que j’ai eus, Mohammed Guessouss a une place particulière dans ma vie. Il a été le seul professeur de sociologie marocain que j’ai eu, et ce à partir de 1969. Il était le seul professeur marocain de sociologie à l’époque. Les autres étaient soit français (dans le département de philo en français), soit égyptiens ou syriens (dans le département de philo en arabe). 
Rentrant des USA en 1969, Guessouss venait à la fac en short, en chemises à carreaux et à manches courtes. Cette simplicité vestimentaire choquait certes l’esprit des étudiants, mais on a compris progressivement qu’elle était le signe d’une modernité assumée et profonde jusqu’au bout, au quotidien. On a compris progressivement que Guessouss ne pensait pas à s’imposer par l’habit. Il nous a appris sans jamais le dire que l’habit ne fait pas le professeur. Que d’ignorance sacrée peut se cacher derrière l’habit en effet ! 
La modernité de Guessouss ne s’arrêtait pas au vestimentaire. Elle résidait surtout dans sa façon d’enseigner, dans sa pédagogie participative, dans sa prédisposition à l’écoute du disciple. Il me rappelait Socrate. Au cours des séminaires de 4ème année de licence (1970-1971), il était le seul professeur à parler, à intervenir. Les autres professeurs, Français et Marocains, étaient là, écoutaient. Ils l’écoutaient avec respect. Je l’écoutais avec admiration. Cette année, j’avais préparé mon mémoire de licence sous sa direction, sur la jeunesse marocaine.
De façon plus particulière, la modernité de Guessouss réside dans le fait qu’il ait accepté en 1975 de diriger ma thèse de 3ème cycle sur la sexualité au Maroc. Il fut le premier professeur d’université marocain à accepter un tel sujet de thèse, et me permit, par là, d’avoir l’honneur d’être le premier étudiant marocain à soutenir en 1980 une thèse sur la sexualité au Maroc. Rappelons ici que tout cela se passe dans le cadre de l’université marocaine, celle de Rabat. En acceptant mon sujet «Sexualité et société au Maroc : Etude théorique et empirique», Guessouss a été d’un courage exemplaire et d’un académisme pionnier.
Ce faisant, il a, en fait, posé la première pierre dans la construction du champ marocain des études sexuelles et de genre.
Tout en préparant ma thèse sous sa direction, de 1975 à 1980, je lui rendais régulièrement visite à Rabat dans son appartement à l’Agdal, rue Draa. A chaque visite, il me rendait le chapitre que je lui avais remis auparavant. Et il me gardait pendant deux ou trois heures, à m’expliquer oralement ses commentaires tracés en rouge sur mon chapitre. Son épouse était là, ses filles… L’ambiance était à la fois cordiale, détendue, professionnelle, académique… Toujours habillé de manière simple, sans formalisme, il me recevait chez lui, comme son fils ou son frère cadet.
Chaque fois que je le quittais, il me donnait des livres à lire. Je rentrais à Casablanca (de 1975 à 1997) puis à Fès (de 1977 à 1980) toujours chargé des livres qu’il me donnait à lire. Ces livres n’avaient pas toujours de rapport direct avec la sexualité et/ou la femme. Ce n’est que progressivement que j’ai compris qu’il me donnait ainsi les armes théoriques pour faire de mon travail un texte académique, en plus d’être une arme de combat dans la cause sexuelle et féministe. J’ai toujours tenu à lui rendre ses livres même s’il ne m’a jamais demandé de les lui rendre.
En affrontant le terrain sur un sujet aussi sensible, Guessouss me faisait un « cours » sur la sociologie de la sociologie au Maroc : «Le Marocain ne connaît pas l’enquête sociologique »; « pour le Marocain, tout enquêteur est un agent de renseignement déguisé »; « le questionnaire/entretien sociologique n’est possible que si le Marocain a une opinion personnelle et individuelle distincte de l’opinion collective dominante »; « l’instruction généralisée est une condition de base de l’enquête sociologique. Plus tard, Emmanuel Todd écrira que la démocratie n’est réalisable que si le pourcentage de la population (véritablement instruite) dépasse les 70%. 
A la publication de cette thèse en 1985 aux Editions Maghrébines sous le titre « Femme et sexualité au Maroc » (en arabe), Guessous me fit le reproche de ne pas l’avoir publiée en entier. Il me reprocha plus précisément d’avoir résumé la partie empirique, celle de l’enquête de terrain ». Ce n’est que trente ans plus tard que je saisis à sa juste valeur cette critique. A l’époque, dans les années 1980, le sociologue marocain était surtout adepte de la théorie et de la critique révolutionnaires. Guessous, tout en étant le militant politique non corrompu que tout le monde connaît, était plus conscient de la valeur de l’enquête de terrain sans toutefois tomber dans la quantophrénie de l’école américaine.
Guessous ne voulait jamais minimiser le poids de la recherche empirique dans le métier du sociologue marocain. Pour moi, Guessous n’est pas mort, il ne mourra jamais. Son enseignement m’a toujours accompagné et m’accompagnera toujours. Pour moi, son enseignement sera toujours là pour l’ensemble des sociologues marocains. Pour moi, Guessouss n’est pas une référence pour les seuls sociologues, il est un modèle pour les intellectuels et les politiques.
 
* (Sociologue) marocain)
 


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