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Grace Ly est fille de réfugiés rescapés du régime khmer rouge. Cette ancienne juriste mène la lutte contre la stigmatisation,
en particulier celle des Asiatiques en France.
Cette militante très active et mère de trois enfants milite pour le droit à la parole des Asiatiques sous-représentés en France. De plus,
elle est derrière le blog “La Petite Banane” (“Jaune à l’extérieur et blanche à l’intérieur”).Elle a accordé cet entretien à Libé pour parler de son roman Jeune Fille modèle (éd. Fayard), une fiction inspirée par son histoire en France.
Libé : Votre dernier roman Jeune fille modèle donne la parole à la deuxième génération d’Asiatiques en France. Peut-on le considérer comme un livre contre les stéréotypes en France ?
G.L : Ce roman raconte l’histoire d’une jeune fille asiatique comme moi. C’était pour dire et expliquer que, quand on était enfant, on a subi beaucoup de pression dans nos familles pour être un enfant modèle. Il fallait faire le double travail du blanc pour arriver au même point. Il fallait être un modèle pour pouvoir survivre. Je l’ai écrit aussi pour faire référence à ce stéréotype généralisé, à savoir que les Asiatiques sont toujours considérés comme une communauté modèle. Ils sont plus assimilables et plus intégrables que d’autres minorités qui sont des «mauvais» immigrés. Ces idées-là ont imprégné toute mon enfance et j’essaye aujourd’hui de combattre ces représentations. C’est le sujet de mon intervention aujourd’hui à l’Unesco. Je pense que c’est important de ne pas enfermer les gens dans des cases issues du passé colonial. On nous y enferme encore aujourd’hui.
Les Français issus de l’immigration asiatique expriment-ils plus leurs droits aujourd’hui qu’hier ?
Les stéréotypes au bout d’un moment, on les intériorise, comme certaines femmes qui finissent par croire qu’elles sont mieux dans la cuisine et que les petites filles ne doivent pas jouer au foot.
Dans le même registre, quand on appartient à une minorité, on nous case selon notre faciès ou on nous ramène tout le temps à ce stéréotype. On peut intérioriser ces idées-là et baisser les bras. Je crois que, à ce sujet, ce sont les institutions, la société civile, le travail de chacun qui peuvent ouvrir un espace de liberté où chacun se définit au lieu d’être défini par les constructions des autres et par des cases.
Vous comptez beaucoup sur le rôle de la culture et le soft power pour changer les choses en France ?
Le soft power c’est comme ce que disaient de hauts responsables d’organismes internationaux : il ne suffit pas de faire des lois, encore faut-il, en tant que société civile, propager ces idées dans tous les domaines, à savoir les arts et l’éducation. Enfin on peut se libérer de ces représentations que la société nous impose.
Quand je parle de soft power, c’est ce qui n’est pas coercitif en soi. Quand vous regardez un film, ou vous écoutez de la musique ou encore vous lisez un livre, vous ne vous rendez pas forcément compte de la portée d’une œuvre. L’art n’est pas neutre, l’art constitue un pouvoir, le pouvoir de vous libérer des représentations.
Qu’en est-il en France de la question du racisme ? On a d’une part une évolution des lois qui protègent les gens et condamnent ces pratiques et d’autre part le développement de courants politiques racistes. On a même vu que le terroriste de la tuerie de la Nouvelle-Zélande contre des musulmans s’est inspiré du Grand Remplacement de René Camus.
Il y a le discours public qui nous exhorte à nous aimer les uns et les autres, ce discours de liberté, égalité et fraternité de la République, qui est tenu officiellement. Mais dans la vie de tous les jours, le racisme et la racialité des rapports entre les personnes existent. C’est à ce niveau qu’il y a des choses à faire pour mettre en place une stratégie visant l’élimination des fausses représentations. Nous en tant que citoyens de la société civile, nous devons nous engager chacun dans son domaine pour que nos enfants ne vivent pas cette dichotomie entre le discours public et la réalité quotidienne. Je crois que cela demande un effort permanent pour faire face à certaines pratiques racistes dans la société et à certains discours qui propagent la haine. Beaucoup reste à faire à tous les niveaux de notre société.
L’évolution rapide de l’extrême droite aujourd’hui en Europe avec la libération de son discours et sa propagation dans le monde, surtout aux Etats-Unis et au Brésil, ne vous fait-elle pas peur en tant que citoyenne française issue de l’immigration ?
Moi, je suis optimiste. Aujourd’hui, on a un débat à l’Unesco sur ces sujets ; jamais dans le passé, je n’aurais imaginé cela, je pense que nous pouvons accéder à d’autres horizons qui nous étaient fermés dans le passé. De la même manière, je crois qu’on fait un pas en arrière pour faire deux en avant. En ce moment, on fait deux pas en arrière, me semble-t-il, il y a une résistance au progrès. Je crois que dans tout mouvement de progrès, il y a toujours des résistances, liées à des pratiques du passé et à des privilèges qui sont ancrés. Mais je pense qu’il faut continuer, il ne faut pas lâcher. C’est vrai, tout ce qu’on voit fait peur, quand on voit que des personnes meurent justes parce qu’elles appartiennent à une communauté professionnelle particulière, ou une communauté de couleur ou d’origine différente. Hélas, le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, va très vite ; il est très sanglant, mais il a toujours été ainsi. Malgré tout, je reste optimiste et j’espère qu’on fera avancer les choses.
en particulier celle des Asiatiques en France.
Cette militante très active et mère de trois enfants milite pour le droit à la parole des Asiatiques sous-représentés en France. De plus,
elle est derrière le blog “La Petite Banane” (“Jaune à l’extérieur et blanche à l’intérieur”).Elle a accordé cet entretien à Libé pour parler de son roman Jeune Fille modèle (éd. Fayard), une fiction inspirée par son histoire en France.
Libé : Votre dernier roman Jeune fille modèle donne la parole à la deuxième génération d’Asiatiques en France. Peut-on le considérer comme un livre contre les stéréotypes en France ?
G.L : Ce roman raconte l’histoire d’une jeune fille asiatique comme moi. C’était pour dire et expliquer que, quand on était enfant, on a subi beaucoup de pression dans nos familles pour être un enfant modèle. Il fallait faire le double travail du blanc pour arriver au même point. Il fallait être un modèle pour pouvoir survivre. Je l’ai écrit aussi pour faire référence à ce stéréotype généralisé, à savoir que les Asiatiques sont toujours considérés comme une communauté modèle. Ils sont plus assimilables et plus intégrables que d’autres minorités qui sont des «mauvais» immigrés. Ces idées-là ont imprégné toute mon enfance et j’essaye aujourd’hui de combattre ces représentations. C’est le sujet de mon intervention aujourd’hui à l’Unesco. Je pense que c’est important de ne pas enfermer les gens dans des cases issues du passé colonial. On nous y enferme encore aujourd’hui.
Les Français issus de l’immigration asiatique expriment-ils plus leurs droits aujourd’hui qu’hier ?
Les stéréotypes au bout d’un moment, on les intériorise, comme certaines femmes qui finissent par croire qu’elles sont mieux dans la cuisine et que les petites filles ne doivent pas jouer au foot.
Dans le même registre, quand on appartient à une minorité, on nous case selon notre faciès ou on nous ramène tout le temps à ce stéréotype. On peut intérioriser ces idées-là et baisser les bras. Je crois que, à ce sujet, ce sont les institutions, la société civile, le travail de chacun qui peuvent ouvrir un espace de liberté où chacun se définit au lieu d’être défini par les constructions des autres et par des cases.
Vous comptez beaucoup sur le rôle de la culture et le soft power pour changer les choses en France ?
Le soft power c’est comme ce que disaient de hauts responsables d’organismes internationaux : il ne suffit pas de faire des lois, encore faut-il, en tant que société civile, propager ces idées dans tous les domaines, à savoir les arts et l’éducation. Enfin on peut se libérer de ces représentations que la société nous impose.
Quand je parle de soft power, c’est ce qui n’est pas coercitif en soi. Quand vous regardez un film, ou vous écoutez de la musique ou encore vous lisez un livre, vous ne vous rendez pas forcément compte de la portée d’une œuvre. L’art n’est pas neutre, l’art constitue un pouvoir, le pouvoir de vous libérer des représentations.
Qu’en est-il en France de la question du racisme ? On a d’une part une évolution des lois qui protègent les gens et condamnent ces pratiques et d’autre part le développement de courants politiques racistes. On a même vu que le terroriste de la tuerie de la Nouvelle-Zélande contre des musulmans s’est inspiré du Grand Remplacement de René Camus.
Il y a le discours public qui nous exhorte à nous aimer les uns et les autres, ce discours de liberté, égalité et fraternité de la République, qui est tenu officiellement. Mais dans la vie de tous les jours, le racisme et la racialité des rapports entre les personnes existent. C’est à ce niveau qu’il y a des choses à faire pour mettre en place une stratégie visant l’élimination des fausses représentations. Nous en tant que citoyens de la société civile, nous devons nous engager chacun dans son domaine pour que nos enfants ne vivent pas cette dichotomie entre le discours public et la réalité quotidienne. Je crois que cela demande un effort permanent pour faire face à certaines pratiques racistes dans la société et à certains discours qui propagent la haine. Beaucoup reste à faire à tous les niveaux de notre société.
L’évolution rapide de l’extrême droite aujourd’hui en Europe avec la libération de son discours et sa propagation dans le monde, surtout aux Etats-Unis et au Brésil, ne vous fait-elle pas peur en tant que citoyenne française issue de l’immigration ?
Moi, je suis optimiste. Aujourd’hui, on a un débat à l’Unesco sur ces sujets ; jamais dans le passé, je n’aurais imaginé cela, je pense que nous pouvons accéder à d’autres horizons qui nous étaient fermés dans le passé. De la même manière, je crois qu’on fait un pas en arrière pour faire deux en avant. En ce moment, on fait deux pas en arrière, me semble-t-il, il y a une résistance au progrès. Je crois que dans tout mouvement de progrès, il y a toujours des résistances, liées à des pratiques du passé et à des privilèges qui sont ancrés. Mais je pense qu’il faut continuer, il ne faut pas lâcher. C’est vrai, tout ce qu’on voit fait peur, quand on voit que des personnes meurent justes parce qu’elles appartiennent à une communauté professionnelle particulière, ou une communauté de couleur ou d’origine différente. Hélas, le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, va très vite ; il est très sanglant, mais il a toujours été ainsi. Malgré tout, je reste optimiste et j’espère qu’on fera avancer les choses.