Gérard Bauër, une terre de sable et de soleil


Par Miloudi Belmir
Jeudi 30 Mai 2013

Gérard Bauër, une terre de sable et de soleil
Il était journaliste et romancier .Après avoir donné des chroniques littéraires étincelantes à divers journaux. Il rédigeait  à partir de 1935 (Les billets de Guermantes) sous le pseudonyme de Guermantes. Cet écrivain de la vie élégante était devenu romancier. Ses romans se ressentent de ses expériences. Ce qui caractérise ses écrits, c’est outre la vérité de l’analyse psychologique, sa sensibilité et son imagination très finement colorée. Gérard Bàuer a obtenu  en 1959 le Grand prix littéraire de Paris pour son roman (Rendez-vous avec Paris). Depuis 1919, il a publié (Sous les mers); (Recensement de l’amour); (Eloge du désordre); ( Les métamorphoses du romantisme); ( La Parisienne); (Dix rendez-vous avec Paris); ( Instants et visages de Paris); (L’Europe sentimentale). Mais son écrit intime intitulé (Les billets de Guermantes) consacra sa réputation d’écrivain. Dans cet ouvrage, il a noté ses observations sur le Maroc avec le talent d’un témoin et la sagacité d’un admirateur.
Les (Billets  de Guermantes) est un récit historique et richement informé où palpite l’âme marocaine. Dans ce récit, Gérard Bàuer appartient à la lignée des écrivains qui ont fait des ouvrages excellents à tous points de vue, c’est-à-dire des ouvrages amusants, mouvementés, bien faits et pleins d’art et de noblesse : «Ce que je puis espérer, c’est d’avoir retenu ici quelques-unes des nuances fugitives du temps ; c’est d’aider plus tard un essayiste minutieux ou un romancier épris  de petits faits vrais à retrouver dans ces pages l’atmosphère que nous avons respirée ensemble».
C’est dans (Les billets de Guermantes) que Gérard Bàuer a écrit ses plus fortes pages sur le Maroc.  Ce pays lui apparaît comme le plus beau pays de l’Afrique et le plus ravissant du monde. Un pays de grâce, de charme et d’énergie. Lorsqu’il se trouvait dans les deux villes traditionnelles : Salé et Marrakech, il tenait un écrit intime, il écrivait ce qui pouvait le mieux servir sa mémoire. Dans cet écrit, il révélait un amour démesuré pour ce pays légendaire et son peuple qui aime à se bercer avec son passé glorieux.
Son passage à Salé lui commandait un souvenir inoubliable de sa vie. Ici, il fréquentait les quartiers mal famés de la ville, il y passait ses jours en flâneries : «Nous sommes deux Européens à nous promener dans la blanche Salé et toute la journée nous ne serons que deux. A l’ombre de la capitale, Salé a conservé son humeur réservée de ville sainte, son indifférence à ce qui n’est pas elle. Le dédale de ses rues est intact; ses souks toujours aussi animés et ses marabouts toujours aussi vénérés dans le sombre silence des mausolées.
A Salé, Gérard Bàuer pouvait pleinement exercer son esprit d’apprendre en toute  occasion, au contact de son endroit qu’il aimait : «Près de la mosquée, la Medersa, qui fut longtemps à l’abandon, s’est ranimée. Quand nous y sommes entrés, trois étudiants (les seules vestons de la ville) y discutaient nonchalamment sur des nattes. La voix du muezzin égrenait dans l’air chaud son appel ; et, çà et là, dans les autres mosquées de la petite ville, «étroites et sans minaret, des fidèles ayant interrompu leur tâche venaient prier».
Gérard Bàuer menait une vie passionnée pendant son séjour à Salé en partageant son temps entre ses découvertes de voyageur et ses travaux d’écrivain. Il aimait cette ville. Ses promenades devant les boutiques, ses flâneries dans les lieux  pleins de reflets lui permettaient de découvrir cette discrète ville qui suscitait des souvenirs imaginaires : « C’est alors que nous débouchâmes sur la place la plus puissante et la plus active. C’était jour de marché et il y avait un grand rassemblement de vendeurs, de charlatans et de guérisseurs. Il y avait aussi un écrivain. Il était assis les jambes repliées sous sa djellaba, immobile devant un petit fourbi où étaient réunis trois bouteilles d’encres de couleur variées, quatre ou cinq vieux livres, de jaunes papiers ornés de cette écriture arabe qui est bien la plus belle du monde».
Parmi les souvenirs les plus vivaces de Gérard Bàuer celui de cet écrivain public où il lui fut donné d’assister au plus beau spectacle : «Sa gravité était extrême. Sa tête basanée, ravinée comme il convient, s’éclairait de deux yeux fixes et brillants. Il avait le crâne rasé, sauf en une de ses parties, ainsi que les indigènes l’ordonnent pour leurs enfants voués à un marabout particulier. A côté de son matériel d’écrivain, trois boîtes de métal recelaient des graines mystérieuses et des peaux de serpent, de telle sorte qu’on était bien obligé d’admettre  que cet écrivain mêlait quelque charlatanisme à son art. Comme nous nous étions arrêtés devant lui et l’observions avec insistance, il leva son regard indifférent vers nous et nous rendit à peine l’intérêt que nous lui portions. »
La nature de cet écrivain était pour Gérard Bàuer dans ses expressions, sa vivacité et sa curiosité qui se mêlait au goût du faste : « Si vous lui demandiez d’écrire un de vos Guermantes, me dit Jean Tharraut qui m’accompagnait. Comme c’était loin de sa gravité, cette tâche profane ! J’eus de ce rappel de mon destin un sentiment étrange d’humilité et j’admirais éperdument les lignes secrètes, les belles arabesques de mystère posées sur la poussière entre les encres».
Admirateur passionné du Maroc, Gérard Bàuer consacrait dans (Les billets du Guermantes) un chapitre à l’Atlas qu’il aimait et admirait. Avec d’autres admirateurs, il tentait de recueillir les données sur cet univers de sable et de soleil. C’était alors qu’il apprenait par un ami que Marrakech fut une des villes les plus marquantes du Maroc. C’était à l’Atlas qu’il prolongea son séjour et qu’il alla conquérir ce Royaume dont parlaient les romanciers : « Depuis Marrakech, la route vers le col de Titzi-t-nest se déroule le long de l’Atlas, au-dessus de vallées asséchées. La nature, même lorsqu’elle y est cultivée, y a quelque chose de farouche, comme cette population berbère qu’on y rencontre, çà et là, à l’abri de petits douars ou des villages de terre rouge. Les femmes y sont moins voilées que dans les villes et se promènent le visage presque à découvert, le front et les pommettes tatoués de signes bleus. C’est une des trois routes qui mènent vers le Sud et conduisent à ces pays de sable et de soleil où l’on respire déjà une atmosphère d’Afrique noire».
Gérard Bàuer n’avait pas cessé d’errer au cœur de l’Atlas. Cet univers était le seul lieu où vivre en Afrique, le seul où l’on eût la vraie liberté : «Avant de parvenir à l’admirable Kasbah de Goundafa, qui a tenu pendant des siècles cette route fructueuse, à vingt lieues environ de Marrakech, on rencontre une maison longue et basse, bâtie au-dessus d’un petit oued, dans le style des auberges balnéaires. C’en est une, en effet. Sur une terrasse, ombragée par un plafond d’herbes sèches, des tables rondes de fer invitent à un déjeuner du genre caboulot ou partie de compagne, avec couscous au menu au lieu de navarin et une omelette légère dans la tradition de la mère Poulard».

Pour Gérard Bàuer, le Maroc
est la révélation d’un univers
où le bonheur est permis.


C’était à l’Atlas que Gérard Bauer était le plus libre et le plus heureux des écrivains. Libre et heureux, il méditait et contemplait ce panorama, cette symphonie  où le paysage jouait sa partie : «Et puis, il y a le paysage ! Et puis, il y a les autres personnes qui sont en train de déjeuner et où l’on reconnaît, comme par hasard, deux relations… Le Breton s’est approché. – Ah ! Monsieur connaît la comtesse de M…? Il sait déjà les  noms de ses clients. Sans doute ne font-ils que passer ; mais il les invite à se nommer et à se déclarer. – Vous signerez bien mon livre d’or… Vous verrez, la semaine passée, nous avons eu la duchesse de Guise. Hier, le comte et la comtesse de Paris, le prince Murat… Et tout ceci, en effet, est  exact. Ces Bretons de l’Atlas « alimenteraient » aussi un carnet mondain ! Et, à un quart d’heure de leur auberge, l’islam renait et l’Atlas essaime de nouveau sur ses chemins  de rudes visages».
Le Maroc commençait à le passionner. Dans ce pays de soleil, Gérard Bàuer pensait, sentait et goûtait le plaisir de vivre et de méditer le charme des choses : « Si on cherche la lumière, le soleil, l’indolence de l’été là où l’on sait les retrouver. » Dans (Les billets de Guermantes) Bàuer ne cachait point son admiration et son amour pour le Maroc : « Mais comment écarter l’occasion du voyage, lorsque, surtout, cette occasion prend l’importance d’un hommage, et la fidélité du souvenir».
Pour Gérard Bàuer, le Maroc était une révélation d’un univers où le bonheur est permis. Le Maroc permet à l’écrivain de penser, de retrouver le temps perdu et de découvrir l’harmonie. Dans son ouvrage ( Les billets de Guermantes), il y a un Maroc coloré, à savoir un pays multiculturel : « J’en ressens si fortement le sens que je ne puis repartir sans retourner une fois encore à ces paysages protégés par son goût, vers ces villes créées par son talent. Si j’oublie Paris durant une semaine, ce n’est ni ingratitude, ni flânerie : c’est en quelque sorte par piété. On pardonnera donc, l’espace de quelques jours, à l’irrégularité et à l’exotisme de ces billets, pour ce qu’ils signifieront, à leur manière, d’admiration».
Le but de Gérard Bauer semblait assez bien cristallisé dans son voyage. Pour lui, le Maroc n’était pas un pays à côté d’autres pays semblables, il était le monde entier, un univers bien organisé et régénéré, sauvé de l’anarchie et conduit à ses rêves : «Il y a dans le Sud du Maroc une atmosphère qu’on ne retrouve pas ailleurs, qui mêle l’aridité de la vie noire aux féeries de l’Islam. On est loin, vraiment loin,  des réalités auxquelles nos existences européennes nous soumettent, loin sur ce chemin des songes où nous nous sommes tant de fois promenés, sans espérer jamais les rejoindre. On est vite gagné par ce besoin d’immobilité délicieuse, d’abandon de la lutte, de rêverie lente qui permet au fils du Coran de vivre les pieds dans la poussière, mais une fleur à la main, et un oiseau au-dessus de la tête».
(Les billets de Guermantes) n’est pas le meilleur des ouvrages de Gérard Bàuer, mais c’est le plus connu et le plus prisé. C’est le commencement de sa renommée. A partir de cet ouvrage, Bàuer savait son genre littéraire.  On peut dire que les effets de ce voyage au Maroc l’ont marqué pour le reste de sa vie : «La renommée, je suppose, doit être une ivresse, mais quelle sécurité que l’obscurité ! N’être pas connu, c’est ne rien redouter de l’avenir. Je feuillette des catalogues de livres et d’autographes et j’y vois la façon dont la postérité agit à l’égard de ceux qui furent célèbres-ou le sont. Leur prose y subit un cours qui nous renseigne sur l’importance de leur gloire; et si cette gloire est encore considérable, rien d’eux n’échappe à la curiosité et aux jugements publics».
Les cahiers du journal de Gérard Bàuer offriront un jour le miroir de notre pays et de son passé. Et comme nous le découvrons au fil des pages de son journal, Bàuer a trouvé le Maroc comme un pays fertile à la découverte, et ne tardait pas à le découvrir dans son voyage.
Dans ce récit, il y a autre chose aussi. Des images et des souvenirs. Tout cela est contenu dans ce journal où l’on s’égare comme un aventurier qui possède le don de projeter le lecteur dans le passé du Maroc.

Gérard Bauër, une terre de sable et de soleil


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