Entretien avec l’écrivain Georges Fleury : “Pour moi, Ben Barka a été incinéré dans l’Essonne”


Propos recueillis par Laurent Valdiguié pour “Le Journal du
Lundi 12 Octobre 2009

Quarante-quatre ans
après la disparition
de l’opposant marocain
en plein Paris, l’écrivain Georges Fleury, ancien
des commandos de marine, confie au Journal du Dimanche un “dossier secret” des gendarmes concernant cette affaire.

Quand avez-vous été destinataire de ce nouveau “dossier Ben Barka”?

Il y a vingt-cinq ans, dans un Salon du livre. Je signais des ouvrages quand quelqu’un s’est approché de la table et a posé devant moi une chemise grise remplie de documents. L’inconnu a juste dit “c’est pour vous” avant de tourner les talons.

Qu’est-ce que vous avez fait?

Ce qui saute aux yeux, en l’ouvrant, ce sont tous ces tampons “secret” qui barrent les pages. On y découvre que les gendarmes, dès 1965 et 1966, ont collecté tout un tas de renseignements d’informateurs anonymes. Tout ce dossier montre que Pierre Messmer, le ministre de la Défense de l’époque, était informé en temps réel du travail des gendarmes sur le terrain.

Qu’est-ce qui a retenu votre attention?

On tombe tout de suite sur la première fiche de renseignements concernant les truands qui ont participé à l’affaire. Chacun y est décrit par ses tatouages. Par exemple, Georges Boucheseiche, dit “Gros Jo”, chez qui Ben Barka a été séquestré dans l’Essonne: tatouage au bras gauche, une femme assise, un poignard, une inscription “Toto Robinson”, une mosquée, puis une autre inscription, “souffre et rien dire” et “j’ai soif”. Un autre truand, Palisse, a “une tête d’apache” sur l’avant-bras droit… Bref, à lire ces descriptions, on est tout de suite plongé dans le monde des voyous.

Y a-t-il des pistes sur la mort de Ben Barka?

Oui, il y a aussi cette piste étrange. Dans ce dossier on voit que les gendarmes ont un informateur qui leur livre des éléments précis sur deux personnes qui auraient incinéré le cadavre de Ben Barka. Les gendarmes ont leurs noms, leurs adresses, et même le montant de la somme qu’ils auraient touchée pour le faire, 5 millions de francs de l’époque, ce qui était une fortune. Et puis en deux phrases, dans un rapport postérieur, ils signalent à leur hiérarchie que les deux suspects ont été interrogés et “nient les faits”. C’est tout. Un peu plus tard, les mêmes gendarmes vont fouiller une propriété à Villabé. Ils sont accompagnés de deux policiers “de la préfecture de police”, “Legris et Lecoq”. Et ils découvrent, sur un tas de cendres, “un bout de tissu et un morceau de cuir”… Il n’y avait pas d’enquête ADN à l’époque, et ces deux éléments matériels sont alors confiés à la brigade de Mennecy, dans l’Essonne…

Avez-vous revu votre source?

Oui, je l’ai revue quelque temps après avoir lu le dossier. En discutant avec elle, j’ai compris qu’elle était persuadée que Ben Barka avait été incinéré dans l’Essonne. Et que c’est peut-être la raison pour laquelle elle m’avait confié ce dossier. En tout cas, pour moi, c’est que ce qui s’est passé, je crois beaucoup à cette piste. A-t-elle été exploitée à l’époque? Est-ce vérifiable aujourd’hui? Je me pose la question.

Avez-vous parlé de cette hypothèse à Constantin Melnick, l’ancien patron des services secrets?

Oui, et il m’a dit que tout cela était parfaitement plausible. Au moment de la disparition de Ben Barka, Melnick, ancien conseiller technique du Premier ministre Michel Debré pour “la sécurité et le renseignement”, a été prévenu par Edouard Behr, qui était le journaliste de Newsweek en poste à Paris, réputé proche de la CIA. C’est Melnick qui a ensuite prévenu Michel Debré qui a prévenu Pompidou puis de Gaulle. A moins que ce dernier ne l’ait appris par Foccart [le controversé conseiller aux Affaires africaines de l’Elysée], que Melnick ne tenait pas en grande estime… Foccart, lui, a souvent travaillé avec des truands. Toujours est-il que De Gaulle, qui disait que du côté français l’affaire Ben Barka ne touchait “que du vulgaire et du subalterne”, en a profité pour décapiter les services secrets, qu’il n’a jamais aimés… Il a même fait limoger le général Jacquier, un compagnon de la Libération.

Vous avez été proche de Pierre Messmer avant sa mort. Lui avez-vous parlé de l’affaire Ben Barka?

Plusieurs fois, oui. Il était toujours très évasif, il disait que c’était du passé et qu’il ne servait à rien de le remuer. Une fois, à propos d’une autre affaire, sur laquelle je le questionnais, Pierre Messmer s’est fâché et m’a dit: “Fleury, je n’ai jamais eu besoin de faire appel à des truands. J’avais assez de volontaires à la Sécurité militaire.”

Qu’avez-vous fait de ce dossier?

Je l’ai rangé chez moi et je ne l’avais jamais rouvert. J’ai fait cinquante-quatre livres* depuis 1973, je n’ai jamais voulu m’attaquer à l’affaire Ben Barka, la plus glauque de toutes. Je suis passé à autre chose et je croyais que cet épisode était oublié depuis longtemps. Et puis j’ai vu qu’un juge d’instruction français avait toujours une enquête en cours. J’ai repensé à ce dossier et j’ai eu un mal fou à le retrouver dans mes archives. Mais il était là, intact. En le relisant, j’ai découvert que la justice, dès 1966, s’était intéressée aux Marocains à l’encontre desquels le juge d’aujourd’hui lance en vain des mandats d’arrêt internationaux. Je me suis dit en refermant cette chemise grise que je ne pouvais plus garder tout cela pour moi.

Vous allez le remettre à la justice?

Bien sûr, si elle me le demande. La famille Ben Barka mérite de pouvoir faire son deuil. Je comprends le fils de Ben Barka, quand il dit qu’il se battra bec et ongles pour connaître la vérité. Je me souviens que, quand je faisais la guerre d’Algérie, dans certains villages, les familles étaient très soucieuses de retrouver leurs morts. C’est capital pour pouvoir faire le travail de deuil. La France et le Maroc doivent leur ouvrir toutes leurs archives. Pour pouvoir tourner la page et faire avancer la démocratie des deux côtés de la Méditerranée.

Etes-vous toujours en contact avec votre source?

“Long silence”, comme aurait dit Foccart. Non, je l’ai perdue de vue.


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1.Posté par DESBORDES Michel le 13/10/2009 07:11
Bonjour Monsieur Georges Fleury,
Le samedi matin du 30 Octobre 1965 vers 10h00, je me trouvais à Fontenay-le-vicomte chez Madame R...., voisine mitoyenne de la maison de Monsieur L...., il y avait une forte odeur âcre que je n'identifiais pas, à l'époque j'avais 20 ans et je venais tout juste d'être libéré de mes obligations militaires,(64, 1C, comme Johnny Hallyday). Je posais la question à Mme R...., sur l'origine de cette odeur forte qui flottait dans la brume du matin, elle me répondit que toute la nuit, elle n'avait pas fermer l'oeil, parce qu'il y avait eu une activité intense chez son voisin, avec des allers et venues continuels, qui troublaient la tranquilité nocture de ce petit village très paisible, enfin que la chaudière de la maison voisine, avait beaucoup fonctionnée, provoquant cette odeur forte, perçue dans tout le village ! Bien plus tard en fleurissant mes tombes familiales dans un cimetière parisien, j'ai reconnu cette forte odeur, à nulle autre comparable, alors j'ai demandé à l'un des gardiens du cimetière, d'où venait cette odeur âcre qui vous prend les muqueuse jusqu'au fond de la gorge ? Il m'a simplement répondu en habitué des lieux, que le matin, il y avait eu une crémation, et quand il n'y avait pas de vent , les fumées stagnaient !
Je me suis souvenu que quelques jours après la disparition de Monsieur Mehdi Ben Barka, les Gendarmes de Mennecy, qui connaissaient tout le monde dans les villages de leur secteur et que nous connaissions tous, ça c'était de la police de proximité ! avaient minutieusement investi la maison voisine de Madame R..., que je voyais professionnellement chaque semaine, généralement le lundi matin et le samedi matin, ma dit que la chaudière qui avait beaucoup fonctionnée dans la nuit du 29 au 30, avait été examinée avec soin, et qu'elle était d'une propreté exemplaire comme neuve, soigneusement nettoyée !!! Pourquoi si propre juste au début de l'arrivée des grands froids, alors même qu'elle avait déjà fonctionnée ?
Quant à "Monsieur Georges" comme nous l'appellions à l'époque, tous les jeunes le connaissaient, nous les jeunes du secteur, nous fréquentions son café à Ballancourt-sur-essonne, nous savions qu'il aimait aller à la pèche sur les étangs de la région (il y en a une quinzaine et justement ce matin du 30, il était allé à la pèche de bonne heure avec des copains, certains étangs, tous situés sur la rive gauche de la rivière l'essonne, ont des vannes mobiles faciles à manoeuvrer, qui permettent de créer un courant dans l'étang et de regénérer l'eau, qui s'écoule dans la rivière jusqu'à Corbeil-essonnes, puis rejoins la seine!
Quand les hommes grenouilles ont fouillé les étangs à l'époque, ils sont rentrés bredouilles.
Pour ma part je concluerai qu'il n'y a pas de fumée sans feu ! Si des cendres ? ont été dispersées dans les étangs, comme il a été dit à l'époque, un petit tour de vanne et le tour est joué !!! Ni vu ni connu !

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